Réhabiliter la politique
Interview de Mgr Lacrampe, évêque d’Ajaccio
La Commission sociale des évêques de France a fait paraître, en mars dernier, un document d’une actualité brûlante : « Réhabiliter la politique. » A cette occasion, nous avons rencontré le président du Comité épiscopal socio-économique et politique, Mgr Lacrampe, évêque d’Ajaccio.
Le Messager: Pourquoi la Commission sociale a-t-elle décidé de faire entendre sa voix, en mars dernier, en faisant paraître le Document «Réhabiliter la politique»? Est-ce une réflexion provoquée par l’actualité ou déjà amorcée depuis longtemps ?
Mgr Lacrampe: L’actualité nous provoque, et elle est dure et complexe au plan local, national, international. Comment ne pas penser au Kosovo, au cœur de l’Europe ! Tout chrétien est appelé à témoigner de la foi au Christ et ce, dans toutes les sphères de son existence, y compris la politique. Il est appelé à penser à l’action à entreprendre, à rechercher le bien commun.
De nombreuses pages ont été écrites sur «Eglise, société et politique», sur «Politique et foi». Leur liste est longue. Dans notre déclaration, nous avons réexploré notre tradition pour dire ce à quoi nous tenons, au nom de l’Evangile ou de l’Enseignement social de l’Eglise.
Il était urgent, nécessaire de «réhabiliter la politique», de redonner la signification du politique, d’inviter hommes et femmes à un renouvellement des comportements, et de rappeler à l’attention des chrétiens la noblesse de l’action politique.
Nous ne pouvons, notamment, remettre en question ces nouvelles dimensions de la politique que sont l’Europe et la mondialisation, qui ne doivent pas nous tétaniser puisqu’elles peuvent être une chance pour la construction d’un monde pacifié.
Mais nous voyons la tâche qui nous attend encore !
Par qui et comment a été élaboré le Document ?
Les déclarations de la Commission sociale sont souvent accompagnées, précédées, d’un dossier de communications, de réflexions établies par des experts, des spécialistes, des témoignages de personnes engagées à divers niveaux. Ce mode d’expression n’est pas anodin. Il témoigne que la parole de l’Eglise ne tombe pas du ciel, ni du secret des cercles épiscopaux, mais elle naît du dialogue.
Pour cette déclaration, des consultations ont eu lieu auprès des maires et des conseillers généraux, des députés et sénateurs, des députés européens, hommes et femmes. Nous n’avons pas oublié les jeunes générations, leur apport a été important. Ceci traduit l’intérêt porté à notre initiative, l’attente qui se manifeste. Les réactions ont été positives. Notre déclaration entraîne et suscitera d’autres paroles et réflexions, l’objectif étant que le texte ne soit pas clos. Les événements récents interrogent notre texte.
Vous partez d’une constatation : la politique est dévaluée aujourd’hui. Vous redonnez ensuite sens à la politique, en rappelant ses objectifs. Quels sont, dans cette tentative de réhabiliter la politique, les points de réflexion les plus importants pour les chrétiens et pour le public en général ?
Pour le public en général, notre déclaration veut redonner la signification du politique.
La déclaration commence par le constat de la politique dévaluée. Elle souligne la désaffection des urnes qui révèle « l’impression d’impuissance » à résoudre les grands problèmes actuels, ressentie par de trop nombreux citoyens, les affaires qui sapent la confiance des citoyens.
Elle rappelle le chemin, la voie démocratique, une démocratie pluraliste, soulignant le rapport entre la politique et la vie du citoyen. La politique est ordonnée à une éthique dont on rappelle certains principes s’appuyant sur l’enseignement social de l’Eglise et de l’Evangile : liberté, justice, égale dignité de la personne. La démocratie a besoin de vertus.
Pour les chrétiens, nous rappelons leur vocation à témoigner de leur foi dans le champ politique, nous indiquons que la foi chrétienne apporte des points de repères qui éclairent réflexion et action. Chaque chapitre s’achève par quelques rappels pour se réapproprier ce à quoi nous tenons au nom de l’Evangile et de l’enseignement social de l’Eglise.
En conclusion, le souhait est émis qu’existent, pour les chrétiens, des lieux où ils puissent débattre de leurs engagements respectifs, dialoguer en vérité et dégager une cohérence toujours plus grande entre engagement personnel et appel de l’Evangile.
Cette déclaration rappelle, en effet, l’importance particulière, le rôle déterminant des laïcs dans la société.
Le chapitre III est consacré à l’Europe et à la mondialisation. Comment abordez-vous la question de l’Europe et comment l’Eglise se situe-t-elle par rapport à la mondialisation ?
Concernant l’Europe, nous disons que le chemin parcouru depuis cinquante ans témoigne d’une « belle réussite », mais également, qu’il a été marqué par des « lenteurs, des lourdeurs, parfois des désenchantements».
Si le chemin parcouru jusqu’à ce jour est important, il reste encore de la route à faire pour que l’Europe se définisse des objectifs pour demain et qu’elle clarifie le rôle de ses différentes instances, pour surmonter la distance entre ses institutions et les opinions publiques, pour contribuer à bâtir la paix dans le monde et d’abord en Europe, pour être ouverte sur le monde et spécialement vers les peuples du Sud et de l’Est.
L’Europe porte une certaine conception de l’homme, fruit de la philosophie antique et du message chrétien.
Nous appelons une participation active de tous les citoyens. Ce que nous explicitons en appelant à «s’informer sur l’Europe qui se construit, à participer au vote la concernant, à s’intéresser aux décisions qu’elle prend».
Quant à la mondialisation, c’est un défi pour la démocratie et l’avenir de l’humanité. Nous sommes invités à maîtriser la mondialisation, à l’humaniser en renforçant les solidarités entre les peuples, en moralisant le marché, en reconnaissant toute personne humaine dans son inaliénable dignité.
On constate, surtout aujourd’hui, l’écart entre l’idéal évangélique et la réalité politique. Quel est votre point de vue ?
Ecart ou tension ? Il convient de répéter qu’aucune option ne peut prétendre détenir le monopole de la vérité évangélique et que notre foi chrétienne donne des repères qui éclairent la réflexion et l’action politique. Ces repères sont rappelés avec clarté dans notre déclaration. Il m’apparaît qu’il convient de susciter l’engagement des chrétiens dans la vie de la cité, de valoriser la tâche politique et de rappeler la richesse de sens et de valeurs dans l’enseignement social de l’Eglise. Le texte élève la politique à sa vraie noblesse. A nous d’imprégner la réalité politique des valeurs évangéliques. Nombreux sont ceux et celles qui, animés par le souci de la justice et de la solidarité, se dépensent pour le bien commun. L’actualité en témoigne.
Propos recueillis par
Monique de Castellan-Farisy