Qu’est-ce qu’une saine laïcité ?
Il existe de multiples façons de comprendre et de vivre la laïcité. L’archevêque de Paris, Mgr Vingt-Trois, voit deux faces à cette réalité. Une ouverte qui voit en la laïcité la « condition nécessaire à la liberté de conscience et de religion » et l’autre fermée qui est « la négation du fait religieux comme réalité sociale ». Cette dernière vision tend à être la plus regardée. Or, la laïcité est avant tout une vie en commun construite sur le respect mutuel ; elle doit être le lieu d’un espace pour le dialogue constructif et respectueux et non un lieu d’affrontement. En France, le concept de laïcité est vu par le biais de la Révolution française et de la loi de séparation de l’Église et de l’État de 1905. Pour Jean-Paul II, la laïcité n’est autre que « le respect de toutes les croyances de la part de l’État, qui assure le libre exercice des activités cultuelles, spirituelles, culturelles et caritatives des communautés de croyants ». L’État et l’Église ne sont pas des concurrents, mais des partenaires ! Le pèlerinage annuel à Rome de 260 élus de la région Rhône-Alpes en est un bel exemple.
Des élus en pèlerinage
Maires, conseillers municipaux, élus départementaux, régionaux et nationaux, de tous bords et tous « serviteurs » selon l’évêque de Viviers, ont été pèlerins romains il y a quelques semaines. Le maire de Lyon estime « important d’aller rencontrer les grands chefs spirituels », par respect pour les Français qui ont une religion, et rappelle que la loi de 1905 « n’est pas contre les religions ». « Dans un contexte international marqué par des frustrations et des peurs, intensifiées par les attentats et la violence aveugle qui ont si profondément meurtri » la France, le pape François a exhorté ces élus de la région de Lyon à rechercher et « développer le sens du bien commun et de l’intérêt général ». En somme, à faire entendre leurs convictions, dans la droite ligne de la Constitution pastorale Gaudium et Spes : « Les chrétiens sont des citoyens qui doivent participer à la construction de leur pays et ne sont pas désengagés de leurs responsabilités vis-à-vis de la société en général ». Jean-Paul II a toujours encouragé les laïcs à « une participation toujours plus active à la vie publique ». Au nom de leur foi, les chrétiens, de manière personnelle ou par le biais d’associations, doivent pouvoir prendre la parole publiquement pour exprimer leurs opinions et manifester leurs convictions. Lors de son voyage en Arménie, le pape François avait souligné que l’identité chrétienne de ce peuple était « loin de faire obstacle à la saine laïcité de l’État » et favorisait même « la citoyenneté participative de tous les membres de la société, la liberté religieuse et le respect des minorités ».
Une République laïque
L’État laïc ne doit privilégier aucune religion et toutes les respecter, en veillant à ce que leur exercice ne perturbe pas l’ordre public. Selon le père Stalla-Bourdillon, directeur du service pastoral d’études politiques, la République laïque se doit d’être « gardienne de la liberté d’expression de tous ». À ses yeux, « lorsque la laïcité est invoquée pour contenir la place des religions », cela traduit une « difficulté croissante à comprendre le rôle des religions et leur contribution à la vie personnelle et sociale ». Il apparaît évident que l’Église regrette une forme de laïcisation de la société, isolant les convictions religieuses des citoyens dans le seul espace privé et engendrant un sentiment d’exclusion et de rejet. Quant à la laïcité de l’État, cela devrait donner un cadre de vie respectueux de tous les citoyens et de leur diversité de croyances et laisser la pleine autonomie à l’Église.
Autonomie de l’Église
Tournons notre regard vers un autre pays européen. La notion de laïcité est beaucoup plus neutre dans le contexte italien ; la « sana laicità », dont parlait Pie XII en 1958, qualifiait la nécessité pour l’État d’assurer à l’Église une pleine autonomie, sans empiéter sur son domaine. La saine laïcité implique l’autonomie des réalités terrestres. La distinction de l’Église et de la société civile repose évidemment sur les Évangiles, et en particulier sur les paroles du Christ : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » (Mt 22, 21). Mais Benoît XVI a vu en la laïcité un « emblème » caractérisant particulièrement la démocratie moderne.
Exclusion de la religion ?
Aujourd’hui, la laïcité est le plus souvent comprise comme la mise à l’écart, l’exclusion et l’effacement de la religion des différents domaines de la société et comme sa restriction au domaine de la conscience individuelle. Pour les 100 ans de la loi de séparation de l’Église et de l’État, Jean-Paul II avait jugé qu’elle « réglait la façon de vivre en France le principe de laïcité » et « reléguait du même coup le fait religieux dans la sphère du privé » et « ne reconnaissait pas à la vie religieuse et à l’institution ecclésiale une place au sein de la société ». Expulser les signes et symboles religieux des lieux publics (bureaux, écoles, tribunaux, hôpitaux, prisons, etc.) n’est pas un facteur de paix car cela signifie que les religions n’ont aucun rôle positif dans la vie sociale. Cette « chasse aux religions », selon Mgr Vingt-Trois, « risque plus d’exacerber les tensions que de les apaiser » et se transforme en source de violence. Agir ainsi montre la « vision areligieuse de la vie, de la pensée et de la morale : c’est-à-dire une vision où il n’y a pas de place pour Dieu », déplore Benoît XVI. Espérons que cette traque cesse et que chacun retrouve sa juste place.