Quels Franciscains en France ?
10 avril 2010 : les Franciscains de Narbonne ont fêté dignement le 750e anniversaire du chapitre général qui s’était tenu en mai 1260 dans leur ville sous la présidence de saint Bonaventure. Ces Franciscains qui appartiennent à l’Ordre des Frères Mineurs Conventuels et qui éditent le Messager méritent d’être mieux connus.
1260-2010 : 750 ans après l’important chapitre général des Frères Mineurs qui s’est tenu à Narbonne en présence de saint Bonaventure, les fils de saint François, qui continuent d’annoncer l’Évangile dans cette cité languedocienne, ont convié la famille franciscaine à faire mémoire de cet anniversaire. Ces religieux, qui sont en charge d’une paroisse, appartiennent à la branche dite “conventuelle” du Premier Ordre de saint François. Par le nombre, c’est la moins importante des trois branches (en chiffres ronds : 15 000 Frères Mineurs, 10 000 Frères Mineurs Capucins et 5 000 Frères Mineurs Conventuels), c’est aussi, en France, la moins connue. Pourtant, un grand nombre des anciens couvents de Cordeliers de nos villes ont été habités par des religieux conventuels. Il nous faut redécouvrir la mémoire conventuelle de la France.
“Conventuels” et “Observants”
Revenons à François d’Assise. Cet homme s’est montré « catholique et tout entier apostolique » (premières vêpres de sa fête), en déployant des formes d’action et de vie spirituelle qui pouvaient apparaître contradictoires. Avec le développement de l’Ordre, les Frères n’ont pas pu vivre tout ce qu’avait vécu François. Ils ont opéré des choix. La vie en ermitage ou la prédication en ville. La pure vie fraternelle ou la hiérarchie qu’implique la présence de clercs et de théologiens. Ainsi, peu à peu, des tendances, des courants se sont dessinés au sein de la fraternité primitive. En caricaturant à peine, on peut dire que les “Conventuels” et les “Observants” existent dès le temps de François. Les premiers privilégient la vie conventuelle au sein d’importants couvents urbains tandis que les seconds se retirent dans les ermitages, où ils pratiquent l’ascèse dans la pauvreté. Au XVe siècle, la tendance observante s’est renforcée au détriment de l’autre qui apparaissait jusqu’alors majoritaire (à tel point qu’on l’appelait la “communauté” de l’Ordre) et elle a cherché à prendre son autonomie institutionnelle. En 1415, des Frères Observants français sont allés plaider leur cause auprès des pères du Concile de Constance et ont obtenu de pouvoir regrouper leurs couvents au sein de “vicairies” pratiquement indépendantes à l’intérieur des provinces conventuelles. Cette double structure va se généraliser à toutes les provinces. Malgré de nombreuses tentatives de réunification, ces deux grands courants vont s’écarter toujours davantage l’un de l’autre. En 1517, le pape impose une solution, qui est en même temps un constat d’échec : par les célèbres bulles Ite vos et Omnipotens Deus, l’Ordre est divisé en deux, avec d’un côté, les Frères Mineurs de la Régulière Observance et de l’autre, les Frères Mineurs Conventuels ; chacun de ces ordres dispose désormais de son propre ministre général et de ses provinces.
En France, après 1517
En France, les réseaux princiers ne sont pas restés en dehors de ces querelles intra-franciscaines. Ainsi Charlotte de Savoie, la femme de Louis XI, favorise clairement les Observants. Alors que le Grand couvent des Cordeliers de Paris (dont subsiste le réfectoire, près de l’École de médecine) est tenu par les Conventuels, la reine permet aux Observants de prendre pied à Paris, en autorisant la fondation des Clarisses Observantes de l’Ave Maria. Plus généralement, il faut reconnaître qu’à l’époque les Observants bénéficient d’une meilleure image dans l’opinion que les Conventuels. Les premiers sont considérés comme des “réformés”, tandis que les seconds, opposés à la réforme, sont volontiers taxés de “déformés” voire de “décadents” – ce qui est souvent totalement injuste.
Tout aurait dû rentrer dans l’ordre après 1517. La province de France, conventuelle, et sa vicairie observante devenue province (la “France parisienne”), auraient dû rejoindre les deux nouvelles entités. De même pour la Touraine (conventuelle), et la Touraine pictavienne (observante), ou l’Aquitaine récente (conventuelle) et l’Aquitaine ancienne (observante). Mais cela ne s’est pas passé ainsi ! Le roi François 1er, favorable aux Observants, a fait passer de force les provinces conventuelles de France, de Touraine, de Bourgogne et d’Aquitaine au sein de l’Observance. En réalité, les religieux de ces provinces sont demeurés Conventuels par leur mode de vie, mais officiellement, ils étaient devenus Observants. Au total, personne n’était satisfait : les supérieurs de l’Observance cherchaient à enlever à ces anciens Conventuels leurs particularismes, tandis que les religieux manifestaient périodiquement leur désir de redevenir ouvertement Conventuels. C’est ce qui est arrivé en 1771, alors que le pape de l’époque, Clément XIV, est lui-même Conventuel. Plus surprenant, les religieux des anciennes vicairies observantes, dont le mode de vie s’était beaucoup rapproché de celui des Conventuels, ont demandé eux aussi à rejoindre la branche conventuelle. Ainsi, les deux martyrs Cordeliers de la Révolution, les bienheureux Jean-Baptiste Triquerie et Jean-François Burté, étaient-ils Conventuels.
Après la Révolution
Officiellement, après la Révolution, les religieux n’ont plus droit de cité en France. Pourtant, chaque congrégation a cherché à rouvrir des maisons, mais il faudra attendre les succès médiatiques remportés par Lacordaire (vers 1840), pour que le rétablissement des religieux soit effectif. Mais alors que les Capucins, puis les Observants (qui se font bientôt appeler “Franciscains”) parviennent à fonder des couvents et à reconstituer des provinces, les Conventuels, quant à eux, n’ont pas véritablement réussi leur retour. Certes, en 1874, ils ont ouvert une maison dans le quartier populaire de Belleville, mais, les expulsions de 1880 ont fait disparaître ce bourgeon chargé de promesses.
Au XXe siècle, les Frères Conventuels ont fait deux tentatives en direction de la France. Dans les années 50, les religieux de Suisse desservent la paroisse Notre-Dame du Cypressat à Bordeaux et assurent une présence chrétienne auprès des ouvriers du port. C’est ici qu’a vécu jusqu’en 1965 le père Léon Veuthey, lumineuse figure de théologien et de spirituel dont le procès de canonisation est en cours. L’autre tentative se poursuit heureusement sous nos yeux.
Les Frères italiens de Padoue s’installent en 1949 dans l’ancien couvent des Capucins de Narbonne (son merveilleux petit cloître vaut le détour), et aujourd’hui, renforcés par plusieurs religieux français, ils sont également présents à Tarbes et à Cholet. Pleins d’enthousiasme et de joie communicatives, les Frères Conventuels ne manquent pas de projets. Puissent-ils devenir suffisamment nombreux pour, un jour, revenir à Paris... Depuis 1230, ils y sont chez eux !