Prier comme Antoine
Si l’un de vous, ayant un ami,
s’en va le trouver au milieu de la nuit,
pour lui dire :
« Mon ami, prête-moi trois pains »…
et que de l’intérieur l’autre réponde :
« Ne me cause pas de tracas ;
maintenant la porte est fermée,
et mes enfants et moi sommes au lit ;
je ne puis me lever pour t’en donner » ;
je vous le dis,
même s’il ne se lève pas
pour les lui donner en qualité d’ami,
il se lèvera du moins à cause de son impudence
et lui donnera tout ce dont il a besoin
(Lc 11, 5-8).
Que, de l’intérieur l’autre réponde…
Notre ami est à l’intérieur, et nous, misérables, sommes encore à l’extérieur, car nous sommes projetés, de devant ses yeux, dans la misère du présent exil.
C’est pourquoi nous devons crier : « Mon ami, prête-moi trois pains », mais la porte est fermée.
La porte est fermée et le ciel se fait d’airain quand le rayon de la grâce divine n’illumine pas l’esprit de l’homme, et que sa prière ne pénètre plus le ciel, car il devient pour lui d’airain. Et si le ciel est d’airain, ni le soleil n’éclaire ni la pluie ne descend…
Ainsi quand le ciel de la grâce divine est fermé, le pécheur demeure dans les ténèbres de la conscience et la pluie de la componction vient à manquer ; la terre qui est sous lui, sa vie active ne reçoit plus aucune consolation et dans la vie contemplative il n’éprouve aucune douceur de l’esprit…
Mais, faut-il désespérer ? Faut-il cesser de prier ? Certainement pas ! Même si la porte de la grâce est fermée, à cause de nos péchés ou pour nous enflammer à supplier plus intensément. Même si les enfants, les esprits angéliques, ne sortent pas pour nous servir, faudrait-il néanmoins cesser de demander du pain ?
Si celui-là persévère à frapper, je vous dis que…
Si un ami humain se lève et donne les pains, non par amitié mais poussé par l’ennui, combien plus Dieu donnera-t-il, lui qui, sans s’ennuyer, accorde à pleines mains ce que nous demandons !
Pour aller plus loin
Dans ce passage extrait du sermon pour les Rogations, Antoine connaît l’angoisse de celui ou de ceux qui, même lorsqu’ils prient beaucoup, avec insistance et au milieu d’une forte souffrance, ont l’impression que Dieu ne les écoute pas. Nous le sentons ainsi proche de nos propres préoccupations ; nous avons l’impression, réconfortante, qu’il se joint lui-même à notre prière et qu’il intercède pour nous. Serait-ce là la raison profonde du pouvoir d’intercession que la piété chrétienne lui reconnaît, qui justifie notre confiance et la permanence de son culte ?
Car, Antoine fournit aussi la réponse à notre angoisse, sous une double forme. Ce serait stérile, dit-il, de se plaindre et de céder au découragement, car la raison de la non-réponse peut venir, soit de nous-mêmes : notre foi est faible, nos préoccupations sont intéressées, « pécheresses », c’est-à-dire éloignées de ce que Dieu veut réellement pour nous ; soit de Dieu qui veut éprouver, rendre notre confiance plus forte et plus solide, mais qui finira par nous écouter.
Car, si un ami-homme finit par céder, si ce n’est par amitié, au moins à cause de notre insistance, à plus forte raison Dieu répondra-t-il à notre prière, lui qui nous aime d’un amour sans limites, tendre et attentif, qui connaît nos vrais besoins et tout accorde en abondance plus que nous n’osons demander.