Pour que vivent les enfants d’Irak
C’est la première fois que notre solidarité antonienne intervient dans un pays en guerre. Et ceci pour deux raisons : nous voulons célébrer saint Antoine auprès des enfants irakiens, et nous avons trouvé la voie pour y parvenir de manière efficace : avec les communautés chrétiennes d’Irak ; nous voulions apporter, le plus tôt possible, des semences d’espoir dans un pays qui peine à imaginer son avenir, en commençant par les enfants, premières victimes de la guerre, et parmi les “derniers”, les préférés d’Antoine.
Ainsi Ahmed ne fréquente plus l’école parce qu’il a peur, Fatema ne puise son eau que dans les flaques du quartier, Ali a perdu une jambe lors d’un bombardement. « Malgré cela, ils sont joyeux, rieurs, joueurs, ces enfants de Bagdad – explique Jean-Paul Silvesti, responsable de l’Association Services Volontaires International (ASVI) en Irak et notre référent pour nos projets –, mais ils vivent à l’ombre d’un drame difficile à surmonter. »
Les enfants, protagonistes et victimes
Une simple impression ? Pas du tout, répond Magne Raudalen, un psychologue norvégien qui a mené une enquête sur cent enfants irakiens, peu avant le début de la dernière guerre. « Shema, dit-il, 6 ans, bouchait ses oreilles pour ne pas entendre le journal télévisé. Les Américains allaient attaquer l’Irak et dans son imaginaire des hommes méchants allaient débarquer avec leurs masques pour piller et trancher la gorge à maman, papa et à elle-même : “Quand les bombes tomberont, expliquait-elle, l’air sera très chaud, la terre nous avalera et ils nous brûlerons les yeux.” Elle parlait de ses peurs, puis elle retournait à ses jeux, insouciante, en apparence. A la veille de cette guerre, poursuit-il, il y avait un mur de souffrance, de résignation, de terreur qui enfermait chaque individu en lui-même, et les enfants restaient seuls, avec leurs peurs. Conséquence, sans doute, de vingt années de conflits : guerre contre l’Iran, massacre de Kurdes, invasion du Koweit, guerre du Golfe, embargo économique de l’Onu, en 1991, désintérêt du dictateur Saddam Hussein. A présent, un après-guerre chaotique et violent, sur fond de fondamentalisme islamique et de menace de guerre civile.
Et, dans chaque conflit, les protagonistes, ce sont eux, les enfants. L’Irak est un pays jeune, car 41% de sa population a moins de 14 ans. Ce sont eux qui en paient le prix le plus élevé. Save the Children, une ONG internationale d’aide aux enfants mineurs, et l’Unicef parlaient de crise humanitaire, déjà avant la dernière guerre : 500 000 enfants irakiens sont morts de malnutrition et par manque des médicaments à la suite de l’embargo économique et encore aujourd’hui, la première cause de mortalité, c’est le manque d’eau : les infections les plus communes, tels que diarrhées et maladies respiratoires, provoquent 70% des décès. Un enfant sur quatre est sous-alimenté, un sur huit meurt avant l’âge de cinq ans, la moitié des femmes enceintes sont anémiques et accouchent des enfants avant terme.
En outre, la dernière guerre a provoqué la débâcle des services de santé du pays, que les forces de la coalition s’emploient à rétablir. Autre menace : les mines et les bombes non explosées provoquant de nombreux décès et de graves handicaps. « Dans les villes, explique encore Jean-Paul Silvesti, eau, lumière et nourriture font partie des premières urgences, le travail manque et, avec le travail, la possibilité de procurer aux enfants le minimum nécessaire. » De plus, l’insécurité dans les rues amène les parents à ne pas envoyer leurs enfants, surtout les petites filles, à l’école, remettant à un avenir incertain le retour à la normalité.
Le relais de la Communauté catholique
Répondre à ces besoins n’est pas simple. Les attentats aux institutions internationales, la montée de l’opposition violente à l’intervention américaine, les doutes sur le transfert du pouvoir prévu pour le 30 juin, sont lourds d’incertitudes, tandis que toute aide humanitaire demande à s’appuyer sur des référents institutionnels autorisés. Aussi, l’urgence d’intervenir en faveur des enfants en Irak a-t-elle amené la Caritas Saint-Antoine à chercher la voie pour parvenir jusqu’à eux et cette brèche. Et cette voie, c’est précisément la communauté chrétienne, petite en nombre, mais peine de vitalité, comprenant 600 000 personnes, moins de 4% de la population, en majorité de rite chaldéen. « Ce sont eux – explique le père Luciano Massarotto, directeur de la Caritas Saint-Antoine – qui connaissant leur territoire et leurs problèmes, constituent le point de référence naturel pour attendre les enfants d’Irak. Les projets que nous proposons sont venus d’eux-mêmes et de leur volonté de faire quelque chose pour leur pays. »
Ces chrétiens vivent principalement dans le Nord, dans la région de Mossoul, considérée la capitale catholique de l’Irak. C’est une minorité religieuse qui survit avec difficulté et qui est de plus en plus touchée par l’émigration, mais qui jouit d’une certaine liberté de culte, le régime de Saddam Hussein, laïque, l’ayant épargnée, au moins jusqu’à présent.
Les rapports de cette communauté avec la majorité musulmane sont empreints d’amitié et de partage : « Durant la guerre, témoigne Mgr Shlemon Warduni, évêque auxiliaire chaldéen de Bagdad, nos églises sont restées ouvertes à tous. Musulmans et chrétiens y trouvaient un refuge sûr. » Des rapports confirmés par la position du Saint-Siège : « Le pape, affirme Mgr Dal Toso, responsable du Conseil pontifical Cor Unum en Irak, s’est opposé à ce conflit et cela a accru l’estime envers l’Eglise catholique auprès des musulmans qui ont exprimé publiquement leur gratitude. » Mais sur cette connivence, jusqu’ici pacifique, grève l’hypothèque de la future République et de la nouvelle constitution : sera-t-elle à même de garantir la liberté religieuse, et les droits de tous ? »
« Nous nous sommes demandé, en effet, affirme le père Luciano Massarotto, quelle serait la meilleure manière d’intervenir en Irak dans cette situation difficile et nous avons pensé que confier les projets en faveur des enfants irakiens à la minorité catholique qui souffre des mêmes maux, afin qu’elle en fasse bénéficier toute la communauté, serait un acte de pacification, une petite, mais positive brique dans la construction de l’avenir. L’Irak que nous osons rêver pour tous ces enfants est une Irak de justice sociale, de paix et de tolérance. Autant de petits germes que nous semons à Bagdad, à Mossoul et à Alquosh, au nom de tous les amis du Messager. »
Caritas Saint-Antoine 2004
Ecoles, orphelinats, hôpitaux
Pour que vivent les enfants d’Irak
Bagdad
Trois écoles maternelles dans les paroisses
« Les gens que je rencontre dans les rues de Bagdad ont une grande envie de retour à la normale. Lorsque je regarde la télévision de nos pays, je suis surpris : je ne perçois pas, ici, le climat de violence qui y est décrit, ni je n’ai pas la sensation de vivre dans une ville assiégée. » L’ingénieur Giuseppe Parma de l’Association Volontaires pour le Service International (AVSI), s’exprime ainsi en présentant les projets de construction et de restructuration de trois écoles maternelles qui seront financées avec l’aide de la Caritas Saint-Antoine, et donc de votre aide à tous, pour la somme de 100 000 euros. « Il y a des difficultés, certes, mais la population est décontractée. Dans les familles, tous parlent librement : chose impensable naguère. Les habitants de Bagdad craignent davantage la criminalité que les attentats, en particulier les enlèvements d’enfants à titre de rançon. Les écoles sont gardées par la police. Les enfants fréquentent nos écoles maternelles, accompagnés par leurs parents pour ne pas tomber dans les embuscades. »
En fait, explique Giuseppe Parma, notre association a déjà restructuré quatre écoles maternelles dans des paroisses catholiques. « Certaines paroisses, en avait déjà, bien que dans des locaux étroits et délabrés ; d’autres voulaient en ouvrir, mais ne trouvaient pas l’argent nécessaire. Aujourd’hui, le Ministère de l’Education du gouvernement provisoire et l’Unicef considèrent ces restructurations comme une expérience pilote à étendre à la ville entière. Ils observent comment nous distribuons les espaces, nous répertorions les besoins, nous formons les enseignants. Au Moyen-Orient, l’école maternelle est déjà le début de la scolarisation et ce service, encore très insuffisant à Bagdad, est fondamental pour les parents qui doivent travailler. »
Aussi les secours les plus urgents concernent-ils la restructuration des édifices, le mobilier, le matériel d’enseignement et le salaire des enseignants, car souligne Giuseppe Parma, « pour un enfant de Bagdad, fréquenter l’école maternelle signifie disposer d’un lieu bien à sa taille où il se sent en sécurité, en un mot, retrouver la normalité. » Et de rappeler un souvenir qui l’a particulièrement frappé : « L’année dernière, raconte-t-il, à Dora Mecanic, un quartier très pauvre de Bagdad, j’ai aperçu des enfants qui jouaient dans la boue. A cet endroit, les égouts sont à ciel ouvert et les déchets sont accumulés sur les tas de terre qui séparent les rues. S’y promènent librement chèvres et moutons… Mais cette année, à l’inauguration de l’école maternelle du quartier, j’ai retrouvé les mêmes avec des habits propres, très joyeux car ils avaient, finalement un espace tout pour eux. J’ai compris que c’était cela leur espérance ; et qu’elle valait la peine d’être poursuivie. »
Mossoul
Un hôpital et une école d’infirmières
Procurer une assistance sanitaire accessible aux plus démunis, offrir du travail à des jeunes filles : voilà les deux motifs qui sont à la base du projet lancé avec détermination par les évêques d’Irak à Mossoul, au Nord du pays et comprenant la construction d’un petit hôpital de 50 lits et la création d’une école d’infirmiers. « Il y avait déjà, un cabinet de consultation avec un dispensaire, géré par l’Eglise catholique, explique Mgr Dal Toso du Conseil pontifical Cor Unum, où travaillaient comme volontaires des médecins et des infirmiers, mais la nécessité d’étendre ces services à la population la plus démunie, c’est-à-dire aux enfants, aux personnes âgées et aux femmes enceintes, a poussé l’Eglise locale à miser beaucoup sur ce projet. »
De fait, la guerre a dégradé une organisation sanitaire déjà inefficace en créant une sorte d’urgence dans l’urgence. « Le problème médical le plus grave, constate “Médecins sans frontières”, était le manque de direction dans un système sanitaire hautement centralisé et tombé dans le chaos à la suite de la guerre et ceci a coûté, d’après Morten Rostrup, président de MSF a Bagdad, au cours de la guerre « un nombre inacceptable de vies ». A la dégradation du système sanitaire, s’ajoute la difficulté de travailler pour les organisations humanitaires, dans un contexte où le personnel de santé est particulièrement visé « comme le symboles de la présence occidentale en Irak ».
« Le point d’encrage de notre projet, souligne le père Luciano Massarotto, directeur de la Caritas Saint-Antoine, réside dans le fait qu’il est né et il est géré par les Irakiens eux-mêmes. Ce sera, pour des couches les plus faibles de la population, une référence de premier ordre. »
Par ailleurs, le projet de créer une école d’infirmiers répond, selon Mgr Dal Toso, à la nécessité de pouvoir disposer de cette qualification, encore très rare dans le pays, et permet de créer des postes de travail, autre grande urgence de cet après-guerre ».
La participation de la Caritas Saint-Antoine pour ce projet s’élève à 100 000 euros.
Baghdad
Enfants handicapés
Chez les Missionnaires de la Charité
A la veille de la guerre, le gouvernement indien avait rappelé au pays les sœurs Denzy, Rosylin e Thresiana qui, avec une sœur Missionnaire de la Charité du Bangladesh, géraient à Bagdad un orphelinat pour enfants handicapés. « Nous ne pouvions quitter l’Irak, raconte sœur Denzy, car personne n’aurait pris en charge nos enfants. Nous nous sommes dit : “ Quoi qu’il arrive, nous restons. » Ces quatre religieuses de Mère Teresa étaient venues en Irak d’un pays aussi plein de besoins comme l’Inde, pour témoigner de leur proximité et de leur partage au lendemain de la guerre du Golfe, en 1991, répondant à une invitation de Saddam Hussein lui-même. Aujourd’hui elles s’occupent de 24 enfants, de 2 à 12 ans, demeurés orphelins à la suite des bombardements américains ou parce que leurs parents sont restés exposés à de l’uranium appauvri. Certains d’entre eux ne parlent pas, d’autres sont aveugles, d’autres encore ou n’ont ni jambes ni bras, d’autres enfin souffrent d’un grave handicap mental. L’orphelinat situé au centre de Bagdad a été miraculeusement préservé de la destruction, « mais l’expérience a été terrible, raconte sœur Rosylin, les enfants étaient terrorisés ; le seul bruit des avions provoquait le panique ; tout autour, il n’y avait que fracas assourdissant d’explosions. Nous résistions grâce à la prière… »
Pour ces enfants, le seul port de salut, ce sont l’amour et le dévouement sans limites des religieuses, mais la structure dans laquelle vivent les enfants et celles qui les assistent est sans proportion avec les besoins. « Les lecteurs du Messager de saint Antoine, explique le père Luciano Massarotto, contribueront, avec leurs dons, à l’achat d’une maison plus spacieuse et mieux adaptée qui pourra accueillir un plus grand nombre d’enfants qui vivent avec des handicaps graves et ne bénéficient d’aucun soin dans les orphelinats de la capitale. »
La participation de la Caritas Saint-Antoine pour ce projet s’élève à 120 000 euros.
Alquosh
Les orphelins du père Mofeed Toma Marcus
Sur les montagnes qui dominent la ville assyrienne d’Alquosh, au Nord de l’Irak, se détache le monastère de Rabban Hormiz, symbole de la chrétienté depuis l’an 640 jusqu’aux années 80, lorsque le régime en décréta la clôture. Mais le monastère a survécu prenant en charge des enfants orphelins de la guerre ou de l’embargo. Un travail de titan, conduit avec courage par le responsable du monastère et de l’église Notre-Dame. C’est lui qui, après avoir accueilli les enfants dans les locaux de l’église, a construit un orphelinat qui accueille aujourd’hui 28 orphelins, entre 4 et 14 ans.
Mais les difficultés sont énormes, car le monastère ne vit que des dons des paroissiens, eux-mêmes très pauvres. « Ici, les hivers sont rigides, raconte le père Marcus, et nous n’avons aucune installation de chauffage. » Et il poursuit en égrenant ce qu’il faudrait changer pour améliorer un tant soit peu la qualité de vie de ceux qu’il considère comme ses enfants : « Beaucoup d’interrupteurs et de robinets ne fonctionnent pas ; il n’y a pas d’armoires pour les habits, et peu de lits pour les enfants qui dorment sur des matelas à même la terre, sous des couvertures déjà usées qui ne les réchauffent pas. » Sans parler de l’école elle-même : « Ils n’ont ni bancs pour travailler, ni plumes et cahiers pour les devoirs. Pire encore : pour se rendre à l’école, ils doivent affronter un long chemin à pieds, dans un territoire infesté de serpents venimeux. Un minibus les protègerait de ce danger et nous permettrait de transporter vite les enfants à l’hôpital, en cas de morsure de serpents.»
Le père Marcus souhaiterait pouvoir faire bénéficier de son aide 12 autres enfants, portant leur nombre à 40 dans les prochains mois. Répondre à sa demande, c’est donner une vie digne et l’espoir d’un avenir meilleur à des enfants très éprouvés dans leur corps et dans leur cœur.
Interrupteurs, robinets, 16 meubles, poêles, linge, matériel de bureau, ordinateur et minibus d’occasion ne dépassent pas les 25 000 euros. Oserions-nous les leur refuser ?