Parler d’écologie en famille
Dans le contexte du dérèglement climatique actuel, le phénomène de « l’éco-anxiété » est devenu prégnant parmi les jeunes, au point que certains en tirent un rejet radical du style de vie de leurs parents. Dans certaines familles, le basculement des nouvelles générations vers l’écologie s’inscrit en rupture avec un héritage spirituel, notamment dans le milieu agricole où la domination de la nature était autrefois une notion positive, souvent vécue dans une perspective de foi.
Dans l’après-guerre, les agriculteurs formés par la JAC, la Jeunesse Agricole Catholique, ont activement remodelé le paysage des campagnes françaises, défrichant et fertilisant de vastes parcelles. Cette période de développement extensif a conduit à l’autosuffisance alimentaire, et certains agriculteurs ayant connu des situations de misère dans leur enfance ont pu progressivement rencontrer un niveau de vie plus confortable. Mais les générations suivantes se sont éloignées de cette conception d’un effort de développement lié au catholicisme. « Mes petits-enfants ont tous été baptisés, mais aucun n’a fait sa confirmation... », regrette Marie-Thérèse, 86 ans, catholique fervente dont la foi a été forgée par la JAC. Elle constate que « le monde a changé » et que la dimension « communautaire » de la vie à la campagne s’est perdue au fil de l’évolution des techniques agricoles.
Se détacher des écrans
Venu lui aussi du monde agricole mais désormais cadre dans l’industrie, Samuel, 50 ans, a beaucoup évolué dans sa réflexion sur l’écologie. Les difficultés d’approvisionnement des usines de son groupe lui ont fait prendre conscience de la limitation des ressources dans son secteur – l’aluminium – et du fait que toute l’économie doit se réorienter sur un principe de sobriété et de rareté. Amené à se déplacer régulièrement, il continue à prendre l’avion mais essaie de réduire son empreinte carbone. « Avant la pandémie, il m’arrivait souvent de faire un aller-retour dans la journée entre Toulouse et Francfort pour une simple réunion. C’était une dépense totalement hors-sol et inutile. Maintenant, nous privilégions les réunions en visio », explique-t-il.
Attaché au principe d’une vraie « déconnexion » le week-end et passionné de permaculture, Samuel consacre son week-end au jardinage et aux randonnées en famille. Ses enfants sont donc sensibilisés au respect de la nature. Dans cette famille attachée aux livres et à la vie au grand air, pas question de garder les yeux vissés sur son téléphone toute la journée. Dans cette perspective, l’éducation à l’écologie est d’abord une éducation à une vie saine et détachée des écrans.
Responsabilité et résilience
Dans d’autres sphères culturelles, l’éducation à l’écologie est aussi une éducation à la paix. Alessandra, Paraguayenne, se souvient des séances de ramassage de déchets avec des groupes de jeunes fédérés autour de Pa’i Oliva, un jésuite « de gauche » qui incarnait la résistance au parti conservateur au pouvoir, dans la capitale, Asuncion, une ville saturée par les déchets. « Nous avons été éduqués dans la haine des Argentins qui ont massacré notre peuple au XIXe siècle, et jeter nos déchets dans le Rio de la Plata, qui débouche vers l’Argentine, était une façon de les “punir”, avec nos petits moyens à disposition. Il est donc très difficile de changer de mentalité, de former les nouvelles générations à une prise de conscience de la responsabilité collective sur la gestion de ces déchets qui finiront dans la mer, au détriment de tous », s’attriste-t-elle.
Mais ce pays sait aussi faire preuve de résilience. Dans le bidonville de Cateura, un orchestre de jeunes s’est constitué à partir d’instruments fabriqués avec des objets recyclés, et il est devenu une fierté nationale du Paraguay, au point de recevoir des invitations à se produire dans le monde entier. Peut-être est-ce cela, la véritable écologie : faire jaillir la vie là où on ne l’attend pas, en recyclant les ressources à disposition avec le plus de créativité possible. Loin des polémiques, cet orchestre paraguayen trace la voie d’une sobriété heureuse qui recrée du lien social et ouvre de nouvelles perspectives pour ces familles jusqu’alors assignées à l’humiliation sociale et à la pauvreté.