Parler de la mort aux enfants
Il n'est pas facile aujourd’hui de réagir contre la tendance de nos contemporains à occulter la mort. Les réactions sont souvent excessives : ou bien on caricature certains aspects de la mort en instituant une fête joyeuse pour les enfants qui évident des citrouilles, se déguisent en sorcières au moment de halloween, fête qui a commercialement bien pris dans nos écoles et dans nos magasins. Ou bien, à Berlin, on se rue à l'exposition des morts-vivants, ces corps humains traités d'une manière telle que l'artiste les fige dans des attitudes de vivants. Ne parlons pas du mépris total de la vie qui conduit des terroristes à donner la mort à des milliers d'hommes, de femmes, d'enfants, indifféremment, en quelques instants dans une horreur innommable. C'est au moment de la mort d'un proche, due au grand âge, à la maladie ou à un accident, que les questions des enfants plongent souvent les adultes dans un grand désarroi, les obligent à réfléchir aux réponses qu'ils ont eux-mêmes entendues dans leurs jeunes années. Certains sont alors surpris de constater qu'ils ont laissé passer le temps sans ajuster leur foi à leur culture, et qu'ils ne sont guère plus avancés que leurs propres enfants.
La mort de papi
Le père de Vincent vient de mourir brusquement à la suite d'un cancer douloureux. Il en parle à Paul, son fils aîné, dix ans, qui aimait beaucoup son grand-père ! « Demain soir, après l’école, nous irons tous chez mamie pour préparer les textes de la messe, des poèmes, des chants que papi aimait bien.» Paul a du' chagrin, mais il réfléchit à ce qu'il va dire à sa grand-mère, dont il pressent la peine, et il pense déjà au texte que son grand-père lui avait montré quelques semaines auparavant.
Mais Vincent avoue avoir très mal trouvé les mots pour en parler à Clémence, six ans. « Je lui ai dit : Papi est mort. Tu vois, je n'ai plus de papa. » Il a vu Clémence pâlir, se raidir, rester silencieuse. Vincent est conscient de ne pas avoir atténué le choc qu'il a ressenti en apprenant la mort de son père, en avoir transmis la violence brute à sa fille : elle est encore à âge où l'on est très dépendant de ses parents, où l'évocation de leur disparition risque d'ébranler sa confiance dans la vie.
Le secours d'une grand-mère
Cet aveu de Vincent à sa belle-mère est un appel au secours : Laure comprend que l'émotion de son gendre – fils aîné de celui qui vient de mourir – l'a empêché de trouver les mots qui pourraient permettre à la petite fille de garder un lien avec son cher papi, et de ne pas se sentir menacée d'abandon par son propre papa. A l'écart de l'agitation, elle commence à parler à Clémence de son grand-père : « Je sais qu'il t'aimait beaucoup. Quand tu es née, c'est lui qui est venu te voir le premier après moi, et il a dit : Comme elle est mignonne ! Et petite ! Elle aura toute sa vie pour grandir.»
Clémence se détend peu à peu, commence à parler de bons moments passés avec papi qui l'emmenait parfois toute seule au manège ou lui offrait le gâteau de son choix chez le pâtissier. Ce grand-père reprend une place de vivant, et Clémence peut enfin pleurer dans les bras de sa grand-mère, en comprenant que maintenant, ce ne sera plus comme avant. « Je lui parlerai quand je serai toute seule, conclut la petite fille, mais j'ai de la peine comme papa parce que je ne le verrai plus. »
Exprimer son chagrin
On est loin de certains salons funéraires étrangers dont la publicité affiche : « Ici, seuls dix pour cent des proches pleurent.»
La peine des enfants rejoint en effet la tristesse des adultes, sans toutefois s'exprimer de la même façon. Un petit enfant peut éprouver un vrai chagrin, mais être un peu nerveux et prendre une attitude désinvolte que certains adultes peu compréhensifs risquent de lui reprocher: « Tu dis que tu aimais ta grand-mère, et tu ris avec ton cousin! » Il serait fâcheux de charger un enfant d'une culpabilité qui n'a pas de raison d’être.
Il faut aussi accepter que la douleur de la séparation, ce chagrin profond n’empêche pas une foi vraie en la résurrection. Mais il faut du temps, aux adultes comme aux enfants, pour s'habituer à une autre forme de présence, mystérieuse, où les corps ne se voient plus, ne se sentent plus, ne se touchent plus. Après une longue maladie où une femme ou un homme a soigné, porté, baigné, allongé, relevé son enfant ou son conjoint jour après jour jusqu'au dernier instant, serait-il naturel qu'elle, ou il, reste de marbre à l'instant où se ferme le couvercle du cercueil ? Les enfants le sentent bien qui entourent leurs parents ou grands-parents de baisers, d'étreintes, de caresses dans les premiers temps du deuil.
Les enfants au cimetière ?
« Il est trop petit, dit la mère de Ludovic, huit ans. Je lui ai dit que sa grand-mère – qui l'a en partie élevé – est au ciel. J'ai peur de le traumatiser s'il voit le trou au cimetière, le cercueil, la terre... »
A huit ans, un enfant comprend et sent tout. Le pire, c'est de mentir, de faire croire que la grand-mère si aimée est partie en voyage, si bien que le petit-fils attend indéfiniment son retour. Ce qui peut manquer aux enfants, c'est de pouvoir trouver des mots pour cerner leurs émotions et de rencontrer des adultes attentifs qui les écoutent.
Ils ont aussi besoin de se sentir partie prenante de la famille, comme le jeune Paul cité plus haut. Kévin, lui, envoyé chez des amis le jour de l'enterrement de son parrain, a eu l'impression qu'on le mettait à l'écart, qu'il n'était pas digne de partager le chagrin des grandes personnes et de recevoir sa part de consolation.
A tout âge, il est moins difficile de faire le deuil d'un proche très aimé si l'on est présent à tous les stades des cérémonies qui aident à vivre cette séparation toujours douloureuse. Il n'est pas difficile de donner une place aux enfants lors d'une messe ; par exemple, poser une bougie sur l'autel ou le cercueil, mais seulement s'ils le veulent bien. Ne jamais forcer reste aussi essentiel.
Une petite Janine restait traumatisée parce que sa grand-tante l'avait obligée à embrasser sa grand-mère morte depuis deux jours... Les parents veillent en général à ce que leurs enfants encore trop jeunes n'assistent ni à la mise en bière, ni à la crémation. L'étape du cimetière peut être refusée par l'enfant qui s'en fait une représentation trop pénible. Il sera temps, plus tard, de lui proposer d'aller porter des fleurs sur la tombe, s'il y est prêt.
Parler de la mort aux enfants, est-ce si difficile ? Tout dépend de la conception que nous en avons, nous les adultes. Si seulement nous pouvions penser à la mort comme le fait Olivier Clément ! Un jour, un journaliste demandait avec une pointe d'humour (au sujet de Marthe Robin) :« Faut-il être malade pour voir Dieu ? » Olivier Clément a répondu : « C'est beaucoup plus fort que cela : il faut mourir. » (1)
(1) Petite vie de Marthe Robin, par R. Peyret. Desclée de Brouwer.