Nouvelle sortie du Saint Suaire
Du 10 avril au 23 mai, les pèlerins du monde entier peuvent se recueillir devant le Saint Suaire de Turin. 10 ans après la dernière ostension, BenoÎt XVI souhaite que celle-ci soit l’occasion de réfléchir au thème : « Passion du Christ, passion de l’Homme ».
Durant six semaines, Turin vit au rythme de la dévotion. Du 10 avril au 23 mai, le Saint Suaire est exposé aux pèlerins au Duomo, la cathédrale de la ville. Une décision de Benoît XVI. Il espère que cette ostension sera « une occasion propice pour contempler ce mystérieux Visage, qui parle silencieusement au cœur des hommes, en les invitant à y reconnaître le visage de Dieu, “qui a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais ait la vie éternelle” (Jn 3, 16) », a-t-il affirmé dans un discours aux pèlerins de l’archidiocèse de Turin, le 2 juin 2008. En visite pastorale à Turin le 2 mai, le Saint-Père vénérera lui-même le Saint Suaire.
Plus d’un million de pèlerins attendus
Le fait est assez rare pour susciter un grand engouement. Cette relique n’a été exposée au public que neuf fois en un siècle. Et la dernière ostension datait de l’année jubilaire, en 2000. Un million de pèlerins étaient venus prier devant ce drap de lin mesurant 4,41m de long et 1,13m de large, portant les traces d’un homme mort qui a été torturé et crucifié, et qui selon la tradition aurait servi à envelopper le corps de Jésus dans le tombeau. Cette année, entre un et deux millions de pèlerins devraient se rendre à Turin d’ici la fin du mois, principalement des Italiens. Parmi les étrangers, les Parisiens et les Viennois seraient les plus nombreux. Pour “canaliser” ces pèlerins, près de 4 500 volontaires et un parcours bien cadré.
Comment expliquer une telle ferveur ? Simple curiosité pour cette énigmatique relique pour certains, mais pour beaucoup c’est une véritable démarche spirituelle. « Pour des personnes qui ne peuvent se rendre à Jérusalem, en allant à Turin elles font un pèlerinage aux sources de notre foi, méditant sur le mystère central de la foi de l’Église », explique le père François Duthel, directeur des pèlerinages pour le diocèse de Lyon. Il accompagne une cinquantaine de fidèles à Turin.
Miroir de l’Évangile
Ce drap jauni par le temps interroge les hommes depuis des siècles. Pour certains, c’est dans ce linge que Jésus fut enveloppé tout de suite après sa mort en croix, pour d’autres, c’est un faux pour alimenter la dévotion chrétienne. Objet de multiples études scientifiques pour prouver ou infirmer la véracité de son historicité, le Saint Suaire, n’est pas considéré comme un objet de foi par l’Église. « L’Église n’attend pas une “preuve” scientifique définitive », précise Chantal Garde, présidente de l’association “Fraternité de la Sainte Face”. Si elle s’y intéresse aujourd’hui encore, c’est parce qu’il est un signe. « Le linceul n’est pas une preuve qui enferme les gens, mais un signe très fort et privilégié que le Christ nous laisse de son incarnation, poursuit Chantal Garde. Il constitue un moyen de rencontrer la personne du Christ, l’invisible s’est fait voir, chacun de nous peut s’offrir à cette Présence ».
Signe mais aussi miroir de l’Évangile. Ainsi, les spécialistes ne cessent de mettre en parallèle les marques de ce Linceul et les récits de la Passion : les blessures du dos flagellé évoquent les coups de fouet reçus par Jésus juste après sa condamnation par Ponce Pilate, les coulées de sang dans les cheveux font penser à la couronne d’épines, les plaies sur les épaules et le dos, le frottement dû au port du patibulum (partie horizontale de la croix qui pesait environ 40 kg), la plaie à la jonction de la main et de l’avant-bras, le crucifiement.
Signe de la souffrance du Christ et de l’Homme
Que nous révèle aujourd’hui le Suaire de Turin ? « Nous sommes dans un monde où le mystère de la Croix ne dit plus grand chose, avance le père François Duthel. Il est donc important de rappeler le sens de la mission salvifique du Christ, pour que nos contemporains retrouvent la vérité du mystère chrétien ». C’est d’ailleurs le sens que Benoît XVI veut donner à cette ostension dont le thème est : « Passion du Christ, passion de l’Homme ». Il est intéressant de rapprocher cela des réflexions de Jean-Paul II. Venu vénérer le Linceul en mai 1998, il affirmait dans son homélie en la cathédrale de Turin : « [le Saint Suaire] rappelle à l’homme moderne, souvent distrait par le bien-être et par les conquêtes technologiques, le drame de tant de frères, et l’invite à s’interroger sur le mystère de la douleur pour en approfondir les causes. [...] Comment ne pas penser aux millions d’hommes qui meurent de faim, aux horreurs perpétrées dans les si nombreuses guerres qui ensanglantent les Nations, à l’exploitation brutale de femmes et d’enfants, aux millions d’êtres humains qui vivent de privations et d’humiliations en marge des métropoles, spécialement dans les pays en voie de développement ? Comment ne pas se souvenir, avec désarroi et pitié, de ceux qui ne peuvent jouir des plus élémentaires droits civils, des victimes de la torture et du terrorisme, des esclaves d’organisations criminelles ? »
Affermir sa foi, mesurer la souffrance du Christ et des hommes, reconnaître et lutter contre ses péchés… Pour Chantal Garde, le Saint Suaire est aussi « un signe donné pour le troisième millénaire par le Seigneur, pour la nouvelle évangélisation ». Comme en son temps sainte Thérèse de Lisieux.
Certes, reconnaît le père François Duthel, mais il temporise aussi : « Même si les signes sont importants, Jésus reprochait à ses contemporains de s’en arrêter aux signes. La foi ne repose pas sur des signes, mais sur l’adhésion à la parole même du Christ, sur l’amour que l’on a pour lui en réponse à son amour infini ».
Icône du Christ
« Tous les hommes verront ton Salut ». Oui, le pèlerinage que des foules nombreuses sont en train d’accomplir vers cette Ville est vraiment un “venir voir” ce signe tragique et éclairant de la Passion, qui annonce l’amour du Rédempteur. Cette icône du Christ […], qui depuis des siècles est objet de représentations significatives, et qui depuis cent ans, grâce à la photographie, est diffusée en de très nombreuses reproductions, exhorte à aller au cœur du mystère de la vie et de la mort. […] Le Suaire devient ainsi une invitation à vivre chaque expérience, y compris celle de la souffrance et de la suprême impuissance, avec l’attitude de celui qui croit que l’amour miséricordieux de Dieu triomphe.