Monter à l’Alverne avec frère Samuel

■ Depuis l’évènement des stigmates, l’Alverne, le « Golgotha franciscain », est devenu un sanctuaire pour toutes les générations de franciscains et de franciscaines, mais aussi un lieu de prière et de mémoire pour des armadas de pèlerins et de touristes.
15 Septembre 2024 | par

« C’est dans cette cellule que je ferai connaissance avec le plus aimable personnage de l’Alverne. Quel pèlerin est passé, ces dernières années, à l’Alverne, sans y avoir connu le bon père Samuel Charon ? Le père Samuel est l’expression vivante de l’hospitalité franciscaine. » Le témoignage du frère Ange-Marie Hiral rejoint l’expérience vécue par de nombreux pèlerins et touristes montés à l’Alverne au début du XXe siècle et accueillis par le père Samuel Charon de Guersac, « sanctuariste pour les étrangers », c’est-à-dire guide du sanctuaire.
En effet, au fil des siècles, le « Golgotha franciscain » s’est mué en un enchevêtrement de lieux de mémoire et de dévotion, rappelant la présence de François et de ses compagnons, bien entendu, mais aussi de tous les saints frères qui ont résidé sur la « sainte Montagne », au premier rang desquels Antoine et Bonaventure. À tous ceux qui sont venus ici se recueillir, ou plus prosaïquement, « visiter », il a fallu décrypter cet empilement de souvenirs ; montrer l’endroit vénérable entre tous, le lieu où François a reçu les stigmates, mais aussi sa cellule avec le faucon qui venait le réveiller, son « lit » de pierre, la première chapelle qu’il a fait construire, la « grande église », l’oratoire de saint Antoine de Padoue, les différentes parties du couvent, etc. Il a fallu aussi répondre à des questions sur les stigmates (leur authenticité) et présenter les nombreuses œuvres d’art (notamment les terres cuites émaillées des Della Robbia) dont les bienfaiteurs ont couvert le sanctuaire. D’où l’importance de ces sanctuaristes, parlant si possible la langue des visiteurs, comme le père Samuel.
Né en 1850 au village de Guersac, en Bretagne, Pierre Charon s’était enrôlé comme soldat pendant la guerre de 1870 avant d’entrer chez les Récollets, où il avait reçu le nom d’un martyr franciscain du Maroc, Samuel. En 1902, face aux mesures prises en France contre les religieux, il rejoint l’Alverne dont il publie un guide en français (1905) et où il reste jusqu’à sa mort en 1918.

Maurice Denis à l’Alverne
Maurice Denis (1870-1943), amoureux de l’Ombrie et ami de saint François, a souvent peint des scènes franciscaines. En 1904, il rencontre une première fois le père Samuel et note dans son carnet : « Montée à l’Alverne. Visite sous la conduite du P. Samuel, français expulsé, vieux breton ; les Andrea della Robbia, la chapelle des stigmates, le lit du saint sous les rochers par où venaient les faucons ; le coucher de soleil, le bois épais et sombre d’arbres tout droits, hêtres, sapins. Le bon vin au repas du soir ». En 1910, le peintre entreprend seul, à bicyclette, un périple au pays de saint François, avec un grand projet en tête : illustrer les Fioretti. Il retourne à l’Alverne et retrouve le père Samuel avec lequel il visite la célèbre pharmacie du couvent. Il poursuit : « Admirable matinée dans la forêt, peu après le lever du soleil, l’heure des stigmates. Chant des oiseaux, beauté des fonds qui se colorent de rose et de bleu. Promenade avec le père Samuel à la recherche de la fontaine miraculeuse, que nous ne trouvons pas. »

Johannes Joergensen et Andrée Carof
Autres éminents pèlerins, le franciscanisant danois J. Joergensen et A. Carof, sa traductrice et illustratrice. Ils se rendent à plusieurs reprises à l’Alverne et se lient d’amitié avec le père Samuel, à tel point que Joergensen en fait le personnage principal de sa Montée de l’Alverne (1923) : « Père Samuel aime l’Alverne plus que tout au monde, “surtout en hiver” dit-il, “quand il n’y a plus ni visiteurs, ni touristes, ni pèlerins, qu’il n’y vient plus que les pauvres et que nous sommes tout seuls ici dans la pluie, le brouillard et la neige” ». Après un dernier séjour à l’Alverne, J. Joergensen et A. Carof, revenus à Assise, apprennent le décès du père Samuel (le 23 octobre 1918), victime, comme nombre de ses contemporains, de l’influenza, ou « grippe espagnole ». Dans une lettre adressée au capucin Gratien de Paris, Andrée Carof revient longuement sur la mort de leur ami.
« L’épidémie nous a enlevé quelqu’un de bien cher… Le bon Dieu a permis qu’elle n’épargna pas la Sainte Montagne de l’Alverne et parmi les nombreux religieux du couvent que l’influenza a atteints, elle a frappé mortellement les deux êtres que probablement Notre-Seigneur trouvait les plus dignes d’aller fêter au Paradis la fête de Tous les Saints. Le même jour, le Mercredi 23 octobre, mouraient là-haut un jeune novice de 18 ans et notre bien aimé, paternel grand ami père Samuel.
Le mal prenant de suite la forme de pneumonie grave l’a emporté en deux jours. Le lundi il ne put achever sa messe. Le mercredi à 2 heures de l’après-midi, avant la procession journalière des stigmates, il rendait sa sainte âme à Dieu dans une paix et une résignation qui ont fait l’admiration de ses frères qui le pleurent comme un Saint. Pour Joergensen et pour moi […] cette mort est un grand chagrin.
Oh ! Nous savons bien que de Là-Haut il prie pour nous, mais quel serrement de cœur nous sentons quand d’ici nos regards s’en vont vers les cimes bleues qui ferment l’horizon vers l’Alverne et que nous nous disons : père Samuel n’est plus sur l’Alverne, sur ce Golgotha franciscain qu’il vénérait tant […]. Il avait 68 ans seulement, pauvre cher Père ; le Bon Dieu lui aura montré avant nous la Paix pour laquelle il passa tant d’heures nocturnes à prier, à supplier la Miséricorde Divine d’avoir pitié de nous ».
Du père Samuel, il nous reste aujourd’hui son guide de l’Alverne de près de 300 pages – un guide à l’ancienne avec beaucoup de texte et de modestes illustrations en noir et blanc. Tout l’inverse de nos guides actuels.

Père Samuel et nous
Mais le pèlerin un peu original qui voyage aujourd’hui avec l’ouvrage du père Samuel ne perd pas au change. Assis sur une pierre et plongé dans ce guide, il y apprend par exemple que saint Antoine, après le chapitre général de 1230, est venu s’établir sur la sainte montagne, notamment pour y rédiger des sermons ; que l’hiver arrivant, il a pris le chemin de Padoue ; et que la cellule en bois et en terre qu’il avait occupée a été progressivement transformée en oratoire.
Merci Père Samuel de nous avoir transmis la mémoire de l’Alverne.

Updated on 15 Septembre 2024
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