Moine-peintre... ou peintre-moine ?
Le Messager. Etiez-vous moine avant de devenir peintre ou peintre avant de devenir moine?
Frère Laurent Knaff. Je suis moine-peintre. J’ai exercé la peinture en amateur il y a longtemps, mais c’est dans ma vie monastique, après un certain nombre d’années, que j’ai repris le goût de peindre, commencé à exercer la peinture. Pour un moine débutant, le premier art, c’est apprendre à prier. Les études terminées, j’ai eu du temps pour faire ce chemin de peintre.
• Cela a-t-il été facile dans le monastère? Vous a-t-on donné d’emblée la possibilité de peindre ou est-ce que ça a posé des problèmes?
• La peinture est un mode d’expression personnel. Etant dans une communauté, on m’a demandé d’exercer un métier d’art complémentaire. Je fais donc de l’émail sur cuivre. Mais pour nourrir l’inspiration de l’émail, je fais de la peinture et du dessin.
• Etes-vous peintre comme on est peintre d’icônes, la démarche du peintre d’icône étant une prière qui monte vers Dieu pendant qu’il peint ?
• Le climat de la prière est le support du moment où je peins. Je ne prie pas d’une manière explicite quand je peins, on ne peut donc pas m’assimiler à un peintre d’icônes. Le cadre de la vie monastique, la prière de la communauté, ma propre prière, nourrissent de l’intérieur mon inspiration.
• Vous êtes actuellement un peintre non-figuratif, est-ce une évolution ? Comment en êtes-vous arrivé là?
• C’est une évolution. J’ai commencé par peindre les bords de la Loire, les paysages, les bouquets de fleurs, pour finalement découvrir la liberté de m’exprimer sans recours à la figuration, bien que la nature soit omniprésente par toutes sortes d’éclairages dans mon travail.
• Comment l’abstrait peut-il parler en général et comment peut-il parler de la foi, de la spiritualité, de la prière particulièrement?
• Parce que devant une toile, c’est la lumière qui doit s’exprimer, venir de l’intérieur du tableau. Etant sous-entendu qu’elle est d’abord à l’intérieur du peintre. Le fait de ne pas travailler sur un sujet déterminé laisse à cette lumière la possibilité de s’exprimer et de s’épanouir.
• L’acte de peindre est également une respiration…
• Oui, c’est le souffle. D’abord physique : on respire avant de commencer à travailler. C’est aussi une relation à l’esprit. Quand je commence à travailler, je laisse l’esprit, l’inspiration (les mots sont voisins), monter en moi.
• Certains écrivains disent que quelqu’un écrit à travers eux. Allez-vous jusque là?
• J’ai quand même bien l’impression que c’est moi qui peins. (Rires). Je suis un médium, le mot est plus exact, un intermédiaire, je prête à l’esprit, au souffle qui m’anime, la main, le cœur et le goût, l’enthousiasme pour peindre. Le fait de manipuler de la matière, de barbouiller, de tartiner, procure une joie particulière, de l’ordre du sensible, qui, elle-même, par l’approfondissement, est porteuse d’esprit. C’est ce que je pense, mais c’est au spectateur, à celui qui regarde la peinture d’en juger.
• La peinture a-t-elle transformé votre vie spirituelle? Cela ressemble aussi à une forme de conversion, de retournement du regard.
• Dans la vie monastique, il y a des temps consacrés au travail. Saint Benoît dit : «L’oisiveté est ennemie de l’âme». Je me suis donc demandé ce que je pouvais faire. J’en ai parlé à mon supérieur, à l’abbé, qui m’a dit «cherchons». Et parmi les choses que je pouvais faire, j’ai trouvé la peinture, l’art, afin de ne pas rester en deçà des possibilités ou des talents déposés en moi par Dieu.
• Dans l’atelier vous êtes seul avec la matière, (…et avec l’esprit !), il n’y a pas de spectateurs. Vous disiez qu’une lumière doit sortir du tableau. Est-il purement une projection vers le spectateur ou est-il également un miroir? Quand la toile est exposée, quelle est la relation entre ce que vous y avez mis et ceux qui regardent?
• En tant qu’auteur de la toile, il m’est difficile de répondre avec précision, parce que celui qui vient la voir est différent du peintre. J’observe cependant que, lorsque quelqu’un se met devant l’œuvre et ne dit rien, se pose une question, c’est moi, à l’intérieur, qui réponds en quelque sorte. Quelque chose est passé à travers moi à mon insu. Ce silence de la personne qui regarde et s’interroge est la meilleure réponse. Le discours vient ensuite. On peut expliquer ce que j’ai voulu dire, faire. Mais avant tout, il y a la surprise du spectateur qui est la récompense de mon travail.
• Celui qui regarde vos tableaux y trouve-t-il autre chose que ce que vous avez voulu y mettre? Vous explique-t-on parfois ce que vous avez fait?
• A ma grande surprise, certains voient des choses que je n’ai pas vues. Chacun projette un peu l’image de son subconscient. D’autres ne sont pas réceptifs à cette peinture parce que la figuration est pour eux nécessaire. Si l’on est un peu silencieux, attentif, sans à priori, quelque chose peut passer entre l’observateur et l’œuvre.
• Avez-vous des couleurs préférées ?
• Pendant longtemps j’ai utilisé la brosse, le pinceau. Aujourd’hui je découvre le travail au couteau. Le couteau est une forme d’expression très forte qui permet de ne pas s’amollir dans la couleur, à cause de l’épaisseur, à cause de la matière. Actuellement je suis sensible à la matière. La lumière ne vient pas forcément du contraste entre le clair et l’obscur, entre une couleur et sa complémentaire, mais par le fait que, à l’intérieur du tableau, par l’épaisseur des taches de couleur, une lumière se diffuse dont la quintessence est le blanc. Braque disait: «Dans notre métier de peintre, il faut arriver à la toile blanche». On part d’une toile blanche et on arrive à une toile blanche. Je n’ai pas de préférence pour une couleur.
• Il existe peut-être un rapport entre cette lumière dont vous ne cessez de parler et l’Evangile où Jésus dit «Je suis la lumière du monde»…
• Certainement. Ma vie monastique est, en filigrane, omniprésente, pour exprimer cette lumière. Car elle n’est pas volontaire, je ne peux pas exprimer la lumière pour la lumière. S’il y a une lumière, elle est donnée.
Propos recueillis par
Evelyne Sellés-Fischer