Mineurs et Minimes, une même famille ?
Rome, 11 juin 1863. Retiré au couvent de la Madone du Rosaire, Franz Liszt reçoit la visite de Pie IX. Avant de commencer à jouer, il annonce à son illustre visiteur le titre des deux pièces qu’il va interpréter : « Très Saint-Père, ce sont deux légendes pour piano. Je les ai écrites en souvenir de deux saints que j’aime particulièrement, deux saintes figures de l’Ordre franciscain, saint François d’Assise et saint François de Paule. Vous savez, très Saint-Père, que j’ai été admis, en 1858, à la fraternité du Tiers-Ordre de Budapest... » Ainsi, pour Liszt, le fondateur des Minimes, François de Paule, appartient à la grande Famille franciscaine. Or, c’est totalement inexact. Pourtant l’erreur est très souvent commise, y compris par certains historiens qui considèrent que les Minimes sont ni plus ni moins des Franciscains réformés. Alors, essayons d’y voir plus clair : qui sont les Minimes, et pourquoi sont-ils si souvent confondus avec les Frères Mineurs ?
Les pauvres ermites
L’histoire des Minimes commence à Paola, une petite ville de Calabre. Un couple sans enfant s’en remet à l’in-
tercession de saint François d’Assise, et, le 27 mars 1416, donne naissance à un petit garçon, évidemment prénommé François. Mais l’enfant est infirme, et François d’Assise est une fois encore sollicité pour le guérir. A l’âge de 13 ans, le jeune François passe une année dans un couvent de Franciscains, puis se rend en pèlerinage à Assise. Sa vocation semble toute tracée, et pourtant François n’entre pas chez les Frères Mineurs. Il vit en ermite, pratiquant une vie d’ascèse et de prière continuelles. Mais très rapidement, son désert va se peupler. Les gens se déplacent en foule pour lui demander conseil, chercher du réconfort, implorer une guérison – car François a le don des miracles. D’autres ermites viennent le rejoindre et partagent sa vie pénitente.
Dans les années 1450, commence le long processus qui aboutira à la fondation d’un nouvel Ordre religieux : les Minimes. En 1474, le pape Sixte IV autorise la « société des pauvres ermites de saint François d’Assise à Paola ». Dans la pensée du Pontife (lui-même franciscain), cette fondation doit se rattacher à l’obédience franciscaine, comme bien d’autres mouvements de la même période. Mais François ne l’entend pas de cette oreille. Il tient à la spécificité de sa petite congrégation.
Le « Bon Homme » de Tours
Sur ces entrefaites, le destin de l’ermite de Paola croise brusquement la grande Histoire. Malade, notre roi Louis XI cherche à obtenir la guérison par tous les moyens possibles et imaginables. Ayant entendu parler du “saint calabrais”, il demande au Pape et au roi de Naples d’ordonner à l’ermite qu’il vienne en France. La réponse de François se fait attendre plusieurs mois, mais elle est finalement positive. François prend le bateau à Naples, fait escale à Rome, débarque à Marseille puis continue son voyage à pied, pour rejoindre Tours où réside le roi de France (1483). Dès lors, François vit dans une petite maison de la basse-cour du château de Plessis-lès-Tours. Cet humble frère laïc, le « Bon Hom-
me » comme on l’appelle à Tours, mène une vie religieuse originale qui emprunte à la fois aux ermites et aux ordres mendiants. Il pratique un Carême perpétuel et ne consomme jamais de viande. Tous ceux qui, à l’époque, sont attachés à la réforme de l’Eglise vont favoriser le développement de ce nouveau groupe religieux. Finalement, en 1506, une bulle pontificale enregistre définitivement l’existence de l’Ordre des Frères Minimes, et de ses trois branches, religieux, moniales, tertiaires. Après la mort de François de Paule à Tours
(2 avril 1507), et sa canonisation (1519), l’Ordre se répand en France, en Espagne et en Italie, et compte jusqu’à 450 couvents et 12 000 religieux.
Au XVIIe siècle, en France, il est réputé pour sa vitalité intellectuelle (le père Mersenne, le correspondant de Descartes, était Minime) et la richesse de ses bibliothèques. Le bienheureux Nicolas Barré, l’équivalent de saint Jean-Baptiste de la Salle pour les petites filles, appartenait également à l’Ordre des Minimes. La Révolution fut fatale aux fils de François de Paule, et aucune tentative de réimplantation n’a pour l’instant réussi en France.
Pourquoi les Minimes sont-ils si souvent confondus avec les Mineurs ? Essentiellement, parce qu’il existe toute une série de ressemblances objectives entre les deux Ordres. François de Paule porte le même prénom que François d’Assise (et pour cause !) et comme lui, il n’est pas prêtre. En donnant le nom de minimi (les “plus petits”) à ses religieux, François de Paule paraît renchérir sur l’appellation franciscaine (les petits frères, les minores), et donne l’impression de vouloir réformer les Frères Mineurs ; les habits des deux Ordres sont assez proches et un œil peu averti peut les confondre ; les Minimes, comme les Mineurs connaissent une même structure tripartite (religieux, moniales, Tiers-Ordre) ; plusieurs passages de la Règle des Minimes sont directement repris à celle des Frères Mineurs, etc...
Malgré ces points de convergence, les fils de François de Paule ont toujours affirmé l’originalité de leur “petite famille”. Ils ne sont pourtant aujour-
d’hui en tout et pour tout que deux à trois cents religieux (c’est-à-dire bien peu de chose par rapport aux 30 000 fils de saint François d’Assise), mais ils ne manquent ni d’enthousias-
me ni de projets – notamment à Tours. Du couvent que le roi de France avait fait construire auprès du château de Plessis-lès-Tours, il ne reste aujourd’hui qu’un vaste dortoir délabré, et une petite chapelle construite à l’emplacement du tombeau de François de Paule. Le dortoir, qui appartenait jusqu’ici au CHU de Tours, vient d’être racheté par les Minimes et sera bientôt rénové. 2007, l’année du cinquième centenaire de la mort du « Bon Homme », devrait également marquer la première étape du retour des Minimes en Touraine.
Puisse cette renaissance faire redécouvrir François de Paule et son appel à la conversion.