Mgr Brizard
- De l’Europe de l’Est au Proche- Orient, de l’Inde à l’Afrique, quels sont les points communs de ces communautés chrétiennes d’Orient ?
- Ces Eglises ont en commun d’être en situation délicate. Soit qu’elles sont persécutées d’une manière directe, comme c’était le cas en Europe Orientale du temps de l’Union Soviétique, soit d’une manière rampante, comme c’est le cas dans les pays où domine l’islam. Elles connaissent presque toutes des phénomènes graves d’émigration. D’un mot, on peut dire : ce sont des Eglises martyres. Le martyre, ça ne veut pas dire la mort : c’est l’expérience de la Passion du Christ, de Sa mort, et de Sa Résurrection Et de fait, nous voyons des Eglises ressusciter après d’effroyables persécutions, en Europe Orientale par exemple.
- Quelle est la situation des chrétiens dans les pays musulmans, alors que l’Islam se radicalise ?
- Gardons-nous de globaliser l’Islam, il n’est pas uniforme. Mais il y a des tendances fondamentalistes dans l’Islam, ce n’est pas douteux, qui “instrumentalisent” la religion musulmane. Cela a pour effet de déstabiliser la société traditionnelle, et les musulmans modérés comme les chrétiens ont du mal à s’y retrouver.
- Vous avez été choqué lors de la récente affaire des caricatures de Mahomet, par les réactions en Occident. Pourquoi ?
- On a occulté l’impact de nos actions occidentales sur le monde oriental, et spécialement sur les chrétiens. Concrètement, il y a eu, dans la suite des protestations contre les caricatures de la presse danoise, 7 ou 8 prêtres qui ont été tués en Irak, au Liban, sans parler des laïcs… on n’en a pas parlé ici. On n’en a parlé que le jour où un prêtre latin du diocèse de Rome a été tué par un énergumène à Trébizonde. J’ai trouvé que les déclarations manquaient de catholicité, de saisie de la totalité du problème…
- Quel regard portez-vous sur la situation en Turquie ?
Il y a un malentendu à propos de la Turquie. On nous a présenté, en France, la Turquie comme un modèle d’Etat laïque. Je persiste et je signe : la Turquie n’est pas un Etat laïque au sens français du terme. C’est un Etat où le pouvoir politique contrôle la religion musulmane, et souhaite un islam modéré. Les chrétiens en Turquie n’ont pratiquement aucun droit politique. De plus, depuis le mois de septembre 2005 il y a une campagne énorme contre le patriarcat de Constantinople. Le parti nationaliste turc prétend avoir réuni des millions de signatures et demande le départ de Bartholomeos Ier pour la Grèce. Il a monté un spectacle dans le port de Smyrne au cours duquel on a noyé l’effigie
du patriarche. C’est très amical ! Cela donne une idée de l’ambiance…
- La situation est difficile aussi en Egypte. Vous appeliez récemment à la « justice pour les coptes ». Est-ce que ça n’est pas un peu fort ?
- Ce qui est fort, c’est qu’il y ait une minorité qui veuille imposer sa loi. C’est d’abord ce parti des frères musulmans qui est une menace pour l’Egypte entière. Les chrétiens en Egypte sont sûrement 10% de la population. On ne fait pas passer 10% de la population par pertes et profits, ce n’est pas
digne d’un Etat moderne.
- Leur vie quotidienne est si difficile ?
- Ils n’ont pas pu exercer leurs droits de citoyens lors des dernières élections. Tous les chrétiens qui étaient sur les listes électorales, on les a priés de se retirer. C’est une démocratie où l’on met une partie de la population en situation de citoyens de seconde zone ! C’est allé si loin que le président Moubarak a dû désigner des députés chrétiens et nommer un chrétien gouverneur d’une province pour donner le change. En Haute Egypte, il y a des assassinats de chrétiens pratiquement tous les jours.
- Chrétiens palestiniens, libanais, irakiens… ces communautés sont marquées par l’exode. Que faire ?
- L’émigration est un phénomène qui existe depuis au moins aussi longtemps que “l’Œuvre d’Orient”. Ça tient à la difficulté d’être chrétien dans ces pays. Le Liban a un rôle à jouer, parce qu’il peut montrer aux autres pays qu’il est possible de vivre ensemble, de développer une démocratie, et que les
différentes composantes de la nation peuvent concourir au bien commun.
- S’il n’y a plus de chrétiens, cela manquera à la civilisation arabe ?
- Oui. La civilisation arabe est faite d’apports autant musulmans que chrétiens. Et les juifs y ont aussi tenu leur rôle même si aujourd’hui ils ont pratiquement disparu du monde arabe en se regroupant en Israël.
- Et si l’une de ces Eglises d’Orient venait à disparaître, il manquerait quelque chose à l’Eglise ?
- Cela manquerait à l’expression de la Foi de l’Eglise, oui.
Ces dernières années on a pris conscience qu’il n’y a pas une manière uniforme d’exprimer la Foi. Nous devons accepter les différentes expressions de la Foi et de la vie ecclésiale. La catholicité de l’Eglise s’exprime dans une symphonie, et chaque tradition joue son rôle. Ces Eglises sont vivantes et ne sont pas des reliques !
- A l’occasion des 150 ans de “lŒuvre d’Orient”, vous avez déclaré « 2006, année de l’Orient Chrétien ». Ça veut dire quoi ?
- Cela veut dire qu’au long de cette année nous, “Œuvre d’Orient”, nous allons nous ingénier à faire connaître les différentes facettes de cet Orient chrétien. Et nous aurons des relais, dans la presse mais aussi avec des mouvements : c’est ainsi que “Pax Christi” fera sa campagne annuelle sur la paix, au 4e trimestre, sur les problèmes des chrétiens d’Orient. 150 ans, on peut les présenter comme une notice nécrologique : “1856-2006”. Là on est complètement tourné vers le passé. Ce que je veux au contraire, c’est que cet anniversaire soit l’occasion de marquer la communion avec les Eglises d’Orient et de relancer les liens qui nous unissent.
- Et comment peut-on aider les chrétiens d’Orient ?
D’abord en élargissant l’espace de notre tente ! Nous ne sommes pas chrétiens simplement entre occidentaux, mais aussi avec nos frères orientaux, de qui nous avons tout reçu : nous avons été évangélisés par eux, ils nous ont donné la Foi, ils nous ont fait connaître Jésus Christ, et nous vivons du même Salut qu’eux. Nous devons prendre en compte les besoins de nos frères orientaux pour qu’ils puissent exercer leur mission : témoigner de Jésus Christ sur ces terres aujourd’hui musulmanes. Concrètement, il faut que nous manifestions une charité telle entre chrétiens d’Occident et d’Orient, que les non-chrétiens puissent s’écrier, comme les païens d’autrefois : « Voyez comme ils s’aiment ! ».
Questionnaire de Saint Antoine
- Connaissez-vous saint Antoine de Padoue ?
- C’est un prédicateur populaire extraordinaire !
- Etes-vous déjà allé à Padoue ?
- Oui, j’en garde le souvenir de la Basilique. C’est là que j’ai appris que saint Antoine n’était pas né à Padoue et qu’il devait son nom de Padoue à ses prédications dans cette ville après beaucoup d’autres en France et dans la région de Bologne.
- A quel moment vous sentez-vous le plus proche de Dieu ?
- J’ai le sentiment de vivre habituellement dans la présence de Dieu. La messe que je célèbre chaque matin, le plus souvent ici (à “lŒuvre d’Orient”, dans le 6ème arrondissement de Paris, NDLR) est un moment qui me met justement en relation avec toute l’Eglise, même si je suis tout seul.
- Y a-t-il un lieu ou un moment qui favorise votre prière ?
- Ce qui favorise avant tout ma prière c’est la méditation de l’Ecriture. Ecouter, méditer la Parole de Dieu, me rend heureux, quelles que soient les circonstances, que je sois dans ma chambre, dans mon bureau ou dans la chapelle.
- En quoi voyez-vous des raisons d’espérer ?
- Des raisons d’espérer ? Le Salut est enclenché, il ne peut pas rater. Nous sommes dans le “déjà là” : Jésus est déjà ressuscité, et dans le “pas encore” : nous sommes en route, nous aussi,
pour gagner les rives du royaume de Dieu et la plénitude dont le Christ jouit maintenant.