Mary Vienot, foi de clown
Mary Vienot, qui est ce clown qui témoigne dans votre livre ? Qui êtes- vous ?
Je suis Mary parce que je suis anglaise, Vienot parce que je suis mariée avec Michel Vienot, qui est français. Je suis venue en France pour étudier le clown à l’école de théâtre de Jacques Lecoq, qui est basée sur un théâtre très physique. C’est ce travail-là qui m’a amenée à travailler dans les cités : j’ai beaucoup joué du théâtre de rue, j’ai essayé de rejoindre un théâtre populaire. Petit à petit on a voulu, avec mon mari, faire des spectacles sur la Bible. Ce travail a intéressé quelqu’un des éditions de l’Atelier, qui a proposé que j’écrive un livre sur ma vie. Et puis, il y a un autre aspect de ma vie qui est un peu particulier : je suis mère de 5 enfants et j’ai continué à être clown. Enfin, une autre dimension vient du fait que notre quatrième enfant est autiste, et nos spectacles évoquent aussi cela, le rapport à la différence…
Parlons d’abord de votre théâtre : pourquoi écrire en s’inspirant de la Bible ?
Je m’inspire de la Bible parce que j’ai envie de faire connaître ces histoires-là. Quand on monte un spectacle, on met un an ou deux ans pour le faire, alors autant que ce soit une histoire qu’on a vraiment envie de raconter. Et puis je crois que, malheureusement, il y a beaucoup de choses à dépoussiérer par rapport à l’image que l’Eglise a aujourd’hui dans le monde. Un de mes spectacles s’appelle d’ailleurs Gertrude et le plumeau. Le plumeau est l’instrument des femmes de ménage pour ôter la poussière, ce n’est pas par hasard !
Quelle est la particularité de vos spectacles ?
La particularité de nos spectacles, c’est le clown, le clown qui est fragile, qui est pauvre, qui est simple. Dans deux de mes spectacles, je suis femme de ménage, et ce clown-femme de ménage, avec sa simplicité, peut dire des choses fortes, parce qu’elle va à l’essentiel, elle voit l’essentiel, et elle ose le dire. Le clown n’a pas de barrière qui l’empêche de parler : s’il veut dire quelque chose, il le dit. C’est peut-être une naïveté, mais c’est cette naïveté qui permet à la parole de toucher juste. Et puis, le clown n’est pas seulement quelqu’un qui nous fait rire, c’est quelqu’un qui nous émeut. Il peut évoquer toute la gamme des émotions humaines. En ce moment, je suis en train de monter un spectacle sur Marie-Madeleine et, pour moi, c’est important aujourd’hui que des gens qui croient disent ce qu’ils ont à dire, après que d’autres se sont emparés de cette histoire. Donc, ma question c’est : comment le clown peut porter cette histoire ? Je crois que le clown peut nous amener loin dans ce qu’on peut ressentir, ça permet de dire ces choses-là.
Avec votre compagnie, combien de spectacles avez-vous mis en scène ?
Enormément, parce qu’on a mis en scène beaucoup de spectacles dans les cités, quand on travaillait avec le mouvement international ATD Quart-monde. Depuis, on a mis 4 spectacles sur scène et on les joue encore : il y a Le pays d’Igor, Gertrude et le plumeau, Berthe se jette à l’eau – qui est la Samaritaine de saint Jean – et J’inspire Shakespeare.
Venons-en a votre vie de mère de famille, quel âge ont vos enfants ?
Ils ont de 25 à 16 ans. Celui qui est autiste a 19 ans. Il s’appelle Igor.
Comment faites-vous avec cinq enfants pour continuer votre activité de clown ?
Ce n’est pas simple, mais je crois que c’était pour moi essentiel de garder les deux. Quand mes aînés étaient petits, j’ai diminué un peu mon activité, mais j’ai toujours gardé un pied dedans. Je crois que la mère qui a beaucoup de choses à faire avec sa famille et a peu de temps pour travailler, est très structurée dans le temps qu’elle a. Donc, si on a une demi-heure on l’utilise. C’est plus ou moins facile. Il y a trois mois, j’ai reçu une mauvaise nouvelle médicale concernant les yeux d’Igor, et j’étais très triste. Et tout de suite après, je devais jouer le clown. Cette combinaison-là est difficile. Mais parce que le clown doit puiser dans la vie, qu’il doit s’inspirer des émotions de la vie, j’ai pu jouer le clown.
Parlons d’Igor. Qu’avez-vous appris de lui ou avec lui ?
Je crois qu’on a appris beaucoup de choses : comment devenir plus patient, comment ralentir notre rythme. Je crois que moi et mes enfants et mon mari, on a appris que le succès ne passe pas forcement par les bons résultats. Que parfois le succès, c’est le rire entre deux frères, un qui est autiste et l’autre qui a toutes ses facultés. Ou le succès, c’est quand Igor se promène à la messe et s’assoit sur les genoux de quelqu’un et cette personne vient me dire après : « J’avais besoin de lui, ce matin. » C’est toute la découverte de cette présence qui est dans la personne blessée. Je crois profondément que le Seigneur peut travailler et qu’il travaille avec des personnes très blessées, comme Igor. C’est comme des brèches à travers lesquelles il arrive à passer. J’ai appris aussi qu’il y a un regard à changer : que les gens sont très loin de comprendre que le succès ne passe pas par l’intelligence, la perfection. Voilà pourquoi on a écrit le spectacle Le pays d’Igor, parce que on a essayé de dire que lui, il était une source d’amour, qu’il nous donnait tellement qu’il nous changeait de l’intérieur !
En ce qui concerne l’autisme, a-t-on avancé dans la compréhension, la thérapie de la maladie ?
On a beaucoup avancé dans les trente dernières années. Il y a trente ans, en France, il y avait un regard terrible sur la mère qui accouchait d’un enfant comme ça : c’était sa faute. Quand on voit quelqu’un aujourd’hui qui est autiste et qui a trente ans, on sait que ses parents sont passés par là. Nous sommes aussi passés par là avec Igor. Les enfants qui naissent aujourd’hui ont heureusement un diagnostic un peu plus rapide. Et il y a des centres qui font du travail vraiment intelligent. Mais je dirais, sans vouloir être pessimiste, qu’il y a peut-être 5 ou 6 centres qui font des choses intelligentes. Donc en fait, on est beaucoup renvoyés à nous-mêmes en tant que parents. Nous nous formons, nous faisons des stages à droite et à gauche pour apprendre à aider nos enfants. Et le problème c’est qu’après on arrive dans les centres et on est menaçant pour les professionnels qui n’ont pas la même formation que nous. Comment faire ? Je crois qu’il faut qu’on ait beaucoup d’humilité et qu’on sache qu’on parle de notre propre enfant et pas de tout le monde. Mais on a quand même quelque chose à dire de notre expérience, et on aimerait être entendu.
Plus d’info sur la troupe et les spectacles sur le site www. compagnielepuits.com
QUESTIONNAIRE DE SAINT ANTOINE
Qui est saint Antoine pour vous ?
Quand j’étais petite et on perdait quelque chose, ma mère qui aimait beaucoup saint Antoine (son troisième fils s’appelle “Anthony“), me disait toujours de le prier et qu’il m’aiderait. Je trouvais cela très pratique, et je me rappelle que ça marchait ! En grandissant j’ai eu plus de mal à intégrer les saints dans ma foi. En réfléchissant maintenant, saint Antoine était un homme de prière, si proche de Jésus, que je pense qu’il peut nous aider à retrouver notre chemin vers nous-mêmes, et donc vers Dieu.
Qu’évoque Padoue pour vous ?
J’associe Padoue avec saint Antoine, mais aussi avec Shakespeare, avec la Commedia dell ‘Arte et avec l’école de théâtre Kiklos, qui fait revivre aujourd’hui tout cet art-là. Padoue, c’est aussi ses rues, ses belles maisons, ses odeurs, ses marchés, ses cafés…
Quand vous sentez vous le plus proche de Dieu ?
Je crois que je me sens le plus proche de Dieu quand je me sens en unité avec moi-même, avec ce qui m’entoure et avec Dieu. Ce sont des moments où j’arrive à mettre mes idées de côté, mes peurs de ce qu’on pense de moi, que je m’accepte pauvre comme je suis, et Dieu m’enveloppe avec son amour. Parfois ce sont des très courts moments, mais qui me donnent du courage, qui me donnent l’impression d’être à ma place tout simplement.
Y a t-il un lieu ou un moment qui favorise spécialement votre prière ?
Chez moi, on a aménagé une petite chapelle. Ça permet de s’entourer d’images qui nous parlent, de livres qui nous aident. Je prie aussi beaucoup en voiture.
En quoi voyez-vous des raisons d’espérer ?
Je crois que malgré la façon dont le monde nous est reflété par les médias, il y aurait d’autres histoires à raconter… Les bonnes nouvelles ne nous sont pas données, pourtant beaucoup de gens dans ce monde essayent de bâtir un monde plus juste, et plus aimant.