Martinique - Histoire d’hier, défis d’aujourd’hui

01 Janvier 1900 | par

Interview de Philippe Delisle, auteur d’ouvrages sur la Martinique *

Le Messager. Votre livre Histoire religieuse des Antilles et de la Guyane, rappelle dans quel contexte s’est déroulée l’évangélisation dans les Antilles et en Guyane. En cette année du 150e anniversaire de la fondation du diocèse de Fort-de-France, pouvez-vous en évoquer le contexte et les grandes étapes ?

Philippe Delisle.

L'évangélisation s'est déroulée dans un contexte bien particulier. Du début du XVIIe siècle jusqu'en 1848, les missionnaires catholiques ont été confrontés à des sociétés composées majoritairement d'esclaves noirs. Le clergé dans son ensemble ne s'engage pas contre la servitude. Il espère pouvoir amender peu à peu la société coloniale, grâce à la morale chrétienne. Mais les missionnaires se trouvent placés dans une impasse. Les maîtres ne veulent pas d'une instruction religieuse approfondie pour leurs esclaves, car ils redoutent la diffusion d'une éducation quelle qu'elle soit, et refusent d'accorder le temps libre nécessaire. Dans un tel contexte, les ecclésiastiques doivent se résigner à être peu actifs ou bien à affronter la colère des colons. Plusieurs curés seront d'ailleurs chassés des îles pour avoir osé élever la voix.
L'abolition de l'esclavage en 1848 marque une étape essentielle pour la vie religieuse des Antilles françaises. En effet, les ecclésiastiques peuvent enfin approcher de manière régulière la majorité de la population. Quant aux nouveaux libres, ils cherchent à se marier ou à faire leur première communion pour manifester leur dignité.

– Pourquoi la création du diocèse de Fort-de-France a-t-elle été si tardive, alors que l’évangélisation des colonies de la Caraïbe avait commencé dans la deuxième moitié du XVIIe siècle ?

La création d'un diocèse en Martinique est assez tardive, car l'administration coloniale a longtemps refusé d'avoir en face d'elle une autorité trop puissante. Au temps de l'esclavage, les gouverneurs, comme les colons, savent que le clergé peut exercer une réelle influence sur la masse des Noirs. En 1850, les esclaves ont été libérés. Le gouvernement français pense alors que le clergé catholique peut, par son influence, concourir à la stabilité sociale, il est donc disposé à accorder une juridiction religieuse renforcée aux Antilles. Quant à la Papauté, elle appelait depuis longtemps de ses vœux l'érection d'évêchés.

– Quelles sont aujourd’hui les spécificités de l’Eglise en Martinique ? Quelles en sont les limites et les richesses ?

De nos jours, comme d'ailleurs au XIXe siècle, le catholicisme vécu aux Antilles semble assez différent de celui pratiqué en France métropolitaine. Le caractère festif, le goût pour une liturgie majestueuse ou pour les pèlerinages paraissent particulièrement marqués. Le catholicisme martiniquais est assurément fait de chaleur et de démonstrativité. Les fidèles confectionnent, par exemple, de superbes rameaux avec des feuilles de palmiers et partagent des pâtisseries à Pâques. Il est aussi fait de ritualisme et de peurs. La frontière entre magie et religion semble bien fragile. Mais peut-on faire grief à des populations marquées par l'esclavage et frappées régulièrement par des cyclones ou des tremblements de terre, de rechercher une aide surnaturelle immédiate ?
Les mentalités africaines n'ont pas totalement disparu. Le poids de la magie et de la sorcellerie semble particulièrement fort. Le Martiniquais craint les menées occultes des quimboiseurs, et leur attribue la plupart des malheurs de la vie quotidienne. Les rites catholiques sont finalement intégrés dans tout un arsenal de protections magiques.

– Quels sont, aujourd’hui, les principaux défis pour l’Eglise en Martinique ?
La position de l'institution ecclésiastique n'est pas facile. L'anticléricalisme a été très vigoureux en Martinique à la fin du XIXe siècle. La bourgeoisie de couleur, désireuse de reproduire la situation française, a multiplié les attaques contre le clergé catholique. De nos jours, les intellectuels reprochent régulièrement à l'Eglise ses compromissions du temps de l'esclavage.
Puis, le chômage et la drogue frappent de plein fouet la Martinique actuelle. Les jeunes ne trouvent pas toujours d'emploi sur place et doivent se résoudre à émigrer en métropole. Le statut de département français soulève par ailleurs de nombreux débats. Il offre des avantages matériels considérables mais entretient un complexe de domination jamais évacué.
L'Eglise martiniquaise ne manque donc pas de défis pour le XXIe siècle. C'est une Eglise installée, créolisée, qui compte de nombreux séminaristes en formation en métropole. Mais c'est aussi une Eglise en recherche, tant les problèmes liés à une histoire douloureuse sont complexes.

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* Philippe Delisle est maître de conférence à l'Université Jean Moulin de Lyon.
Deux de ses livres ont servi de référence pour ce dossier : Renouveau missionnaire et société esclavagiste. La Martinique : 1815-1848, éditions Publisud, 1997 ; Histoire religieuse des Antilles et de la Guyane françaises, collection Mémoire d’Eglises, éditions Karthala, 2000.

Une extrême diversité

M

gr Marie-Sainte, archevêque de Fort-de-France,
Martiniquais, décrit ainsi la population locale :
Ce qui nous caractérise, c’est d'abord
notre extrême diversité d'origines, africaine,
française, amérindienne, indienne, etc.
Diversité aussi de la langue, de la culture, dans
l'histoire et dans la politique : nous sommes un
morceau de l'Europe en Amérique !
C’est ensuite notre situation aiguë de migration :
400 000 Antillo-Guyanais vivent dans l'Hexagone,
tandis que nous accueillons des milliers de Haïtiens, Sainte-Luciens, Dominiquais... Enfin, notre problème sociologique et culturel numéro un est celui de notre identité : nous ne savons pas encore très bien qui nous sommes.

La Martinique en chiffres

L

a population du diocèse est de 381 467, dont 95,5 % sont catholiques (86,6 % de pratiquants), 2,2 %, protestants et le reste : 2,3% musulmans, hindous, athées.
Prêtres : 53.
Diacre permanent : 1
Séminaristes : 17, dépendant du séminaire d’Avignon.
Les séminaristes martiniquais font 4 ans en métropole, puis 1 an en Martinique (la 5e année). Ils reviennent en Avignon pour un trimestre puis retournent en Martinique pour la fin de la formation avec l'engagement au diaconat et au presbytérat.

Source : L’Eglise catholique en France, 2000 et Statistiques de 1980

David Rondof, séminariste, témoigne

J’

ai voulu, dit-il, donner sens à ma vie. Suite à de nombreuses interpellations, j’ai accepté de me poser la question de la vocation sacerdotale. Cela m’a conduit,
après des études de génie civil et une courte expérience professionnelle, vers un petit séminaire afin d’y réfléchir et discerner. Ensuite, j’ai réalisé que j’étais amoureux – et
je le suis encore – de Jésus-Christ. Ainsi pour moi, aujourd’hui, cet appel est une consécration, un acte d’amour et d’offrande de ce que je suis au Dieu Trinité... Etant tous les jours témoin de l’amour et de la fidélité de Dieu pour tous,
je ne dirai qu’une chose : ne ratons pas le rendez-vous que Lui nous fixe dans le temps et l’éternité.
C’est un rendez-vous pour le bonheur et l’Amour. Etre prêtre aujourd’hui en Martinique, c’est être pleinement l’homme de l’offrande et de la prière. L’homme de l’écoute et celui de la miséricorde…

Comme David, de plus en plus de jeunes Martiniquais se posent la question du sacerdoce. Si le nombre reste encore trop faible, face à l’attente de la population, c’est déjà un signe d’Espérance. L’Eglise est en marche en Martinique.

 

Les Antillais de Paris

C

onstituée des communautés chrétiennes de la Martinique, de la Guadeloupe ou de la Guyane implantées dans divers quartiers de Paris et dans diverses communes, en banlieue, ainsi que dans les sept départements d’Ile-de-France, l’Aumônerie Antilles-Guyane de Paris*, propose :
  • un siège régional (mardi, jeudi, et vendredi) : 5, rue de Belzunce, près de la Gare du Nord ;
  • un Conseil Pastoral et une Equipe d’animation pastorale ;
  • la revue Alizés, paraissant tous les deux mois : une excellente revue antillo-guyanaise d’inspiration chrétienne. Un numéro spécial 150 ans de l’Eglise en Martinique a paru en octobre-novembre 2000. Rens. : 5, rue de Belzunce 75010 Paris. Tél. : 00 33 1 42 80 09 00.
  • une émission de radio Jodi sé Dimanch ! , chaque dimanche matin, de 8h30 à 8h50, sur Média-Tropical : 92.60.
    Et le grand rassemblement régional, chaque année, autour de l’évêque des Antilles.

* Aumônerie Antilles-Guyane de Paris, adresse postale : 9, rue de Mouzaïa, 75019 Paris. Tél. 00 33 1 42 41 46 12 ; fax : 00 33 1 42 00 22 48.

Updated on 06 Octobre 2016