Lourdes, 150 ans de vie franciscaine
Assise apparaît bien loin de Lourdes. Le fils de Pierre Bernardone n’a pas connu la vie misérable de la fille d’un meunier ruiné ; sans être un lettré, il appartient à un monde infiniment plus cultivé et raffiné que celui de la petite bergère de Bartrès. Pourtant, il existe des affinités spirituelles entre François et Bernadette. Tous les deux ont entendu un appel pressant à faire pénitence, et la chapelle réclamée par Marie n’est pas sans rappeler l’invitation adressée à François par le Christ de Saint-Damien : « Va et répare ma maison qui, tu le vois, tombe en ruine. » La joie, la simplicité, l’humilité, le sens de la fraternité cosmique, mais aussi l’amour des pauvres et de la pauvreté rapprochent également les deux saints. Bernadette partage même avec François une forte répulsion pour l’argent : « Çà me brûle ! », s’écrie-t-elle, quand on tente de lui glisser une pièce d’or dans la main, et lorsque les Soubirous deviennent célèbres, elle n’a qu’une peur : que ses parents s’enrichissent !
Bernadette a-t-elle entendu parler de François d’Assise au cours de son enfance ? Rien ne permet de l’affirmer. Ce qui est certain, c’est qu’après sa première Communion (3 juin 1858), entre la dix-septième et la dix-huitième apparition, elle fait connaissance d’un fils de saint François appelé lui aussi à devenir célèbre, le Capucin Marie-Antoine de Lavaur (1825-1907). L’ardent prédicateur, qui vient d’être envoyé à Toulouse avec pour mission d’y rétablir un couvent (1857), célèbre la messe à Lourdes, une messe à laquelle Bernadette assiste et communie. Comme il connaît bien les dialectes méridionaux, il recueille sur les lèvres de la voyante les mots prononcés par la Sainte Vierge ; à plusieurs reprises, il se fait raconter les Apparitions. Il
est très vite convaincu de l’authenticité de l’expérience spirituelle de Bernadette. « Nous l’avons longuement interrogée peu de temps après ses heureux entretiens avec la Reine du Ciel, écrira-t-il plus tard, et chacune de ses paroles a été pour nous une perle précieuse que nous avons pieusement enchâssée dans l’écrin de nos plus religieux souvenirs ». Le père capucin est définitivement acquis à la cause. Il devient l’ami du curé de Lourdes, l’abbé Peyramale, et revoit plusieurs fois Bernadette.
Au contact du saint capucin, la voyante développe « un culte affectueux pour le Poverello » et manifeste le désir d’entrer dans le Tiers-Ordre. Sur ces entrefaites, Bernadette devient religieuse, mais les constitutions des sœurs de Nevers lui interdisent d’appartenir à un autre Ordre. Le 8 décembre 1878 (quatre mois avant sa mort), elle reçoit néanmoins le cordon de saint François des mains d’un confrère du père Marie-Antoine, le père Emmanuel de Montagnac, gardien du couvent de Toulouse, venu à Nevers prêcher une retraite. Devenue “cordigère”, Bernadette se trouve donc d’une certaine manière associée à la Famille franciscaine et elle en éprouve une grande joie – en un temps où elle connaît la nuit du doute et de la souffrance.
Désormais, le père Marie-Antoine sera « le grand ouvrier de Lourdes ». Dès 1860, c’est-à-dire avant même la reconnaissance des Apparitions par l’évêque de Tarbes (1862), il organise avec son ami Peyramale les premiers pèlerinages paroissiaux. Par la suite, il ne cesse de conduire des foules toujours plus nombreuses vers la Grotte de Massabielle. Il passe ses journées à confesser et provoque de nombreuses conversions.
Les Annales de Lourdes, jusqu’en 1902, mentionnent quatre-vingt-dix-sept fois la présence du père Marie-Antoine à divers pèlerinages, et elles en omettent probablement. En 1874, il emmène à Lourdes six mille hommes du diocèse de Rodez et pour donner du relief à une soirée, il a l’idée d’inventer la grande procession aux flambeaux, dont aucun pèlerinage ne peut désormais se passer. En 1882, il rapporte de Jérusalem une croix monumentale qu’il fait transporter solennellement par six cents hommes déchaussés en présence de dix mille pèlerins. Le « saint de Toulouse » se trouve également à l’origine de la procession du Saint-Sacrement avec bénédiction des malades. Il compose aussi des litanies destinées à être chantées à la Grotte, publie des petits ouvrages de dévotion mariale, et chaque fois qu’il prêche une mission, il fait ériger une statue de Notre-Dame de Lourdes. C’est donc bien Bernadette qui a vu la Vierge à la Grotte de Massabielle, mais c’est au père Marie-Antoine que l’on doit le pèlerinage tel que nous le connais-
sons aujourd’hui.
Les fils de saint François n’ont jamais cessé de venir à Lourdes. L’année même de la mort du père Marie-Antoine (1907), un Franciscain, le père Déodat de Basly, s’écrie : « Vive Jean Duns Scot ! Gloire au docteur de Notre-Dame de Lourdes ! » et il demande à Marie de manifester sa reconnaissance à l’égard du premier théologien de l’Immaculée Conception en obtenant sa béatification. En 1930, le père Maximilien Kolbe se rend à Lourdes avant de partir au Japon. Peu à peu, se constituent des pèlerinages spécifiquement franciscains.
En 1929, le Journal de la Grotte, signale la guérison d’un Frère Mineur belge,
le père Séverin Simon. Tombé du toit de la chapelle de son couvent, il se traîne
à l’aide d’une canne et souffre le martyre. Tandis qu’il attend son tour à la piscine et récite son chapelet, il éprouve soudain un grand bien-être avec ces-
sation de toute douleur. Il se lève et sans mot dire il se dirige vers la Grotte. Plus de doute possible, il est guéri.
Dans les années 30, le frère Norbert Pellet, un Franciscain de Lyon, réunit des Tertiaires et organise l’embryon de ce qui deviendra en 1947 le « pèlerinage national franciscain ». Actuellement, il réunit près de sept cents pèlerins – dont plus d’une centaine de malades – accompagnés par une quinzaine de Franciscains et quelques Capucins. Les participants sont unanimes : c’est une belle expression de la vie de la famille franciscaine.
En cette année jubilaire, si vous avez la chance de vous rendre à Lourdes, n’oubliez pas de vous arrêter devant la chapelle franciscaine aménagée sous la troisième arche de la promenade gauche de l’Esplanade du Rosaire. Elle a été inaugurée il y a tout juste cinquante ans, le 16 mai 1958. Une occasion de plus pour rendre grâces !