L'ISLAM EN FRANCE
Rencontre et dialogue On compte près de 4 millions de musulmans en France. Avec eux, c'est l'islam |
Le Frère Gwenolé Jeusset, franciscain, du Secrétariat pour les relations avec l'islam, explique les chemins de rencontre et de dialogue proposés par les évêques, à Lourdes, en novembre dernier.
Le Messager. Par quelles voies êtes-vous parvenu à vous intéresser à l'islam ?
Frère Gwenolé Jeusset. Par la voie pastorale et missionnaire principalement. J'étais en Côte-d'Ivoire lorsque, à la suite du Concile, l'archevêque d'Abidjan m'a demandé de créer une commission diocésaine pour les relations avec l'islam. Je n'avais pas de préparation théologique et universitaire, mais c'est la proximité pastorale de ces frères que Dieu m'avait donnés, qui m'a amené à m'occuper de l'islam.
Par la suite, en 1982, l'Ordre franciscain m'a invité à lancer une Commission à l'intérieur de l'Ordre, avec laquelle nous avons organisé deux grands congrès, à Grenade et à Orsay, en vue de déterminer quelle était notre approche franciscaine de l'islam. En 1996, j'ai été appelé au Secrétariat épiscopal pour les relations avec l'islam et, en 1997, je suis devenu responsable de ce même Secrétariat.
– La rencontre avec l'islam répond-elle à une nécessité – il serait difficile de faire autrement – ou à une approche évangélique des religions présentes dans nos pays?
– Au-delà de la nécessité imposée par la cohabitation, c'est bien d'une situation nouvelle qu'il s'agit : l'installation d'une nouvelle religion. Dieu a mis sur notre route des frères et des sœurs que nous n'avions pas dans le passé. Il s'agit donc d'un appel du Seigneur, et notre approche d'accueil et de rencontre, avec de vrais frères et de vraies sœurs que Dieu nous donne, ne peut être qu'évangélique.
– Comment s'établit aujourd'hui la pratique religieuse chez les musulmans de France ?
– Environ à 10%. Mais ce qu'il y a de différent avec les chrétiens, c'est que la pratique des jeunes musulmans est plus forte que la pratique des jeunes chrétiens. On note également une forte recherche de spiritualité. C'est pour cela que le texte publié par les évêques à Lourdes invite à « favoriser entre jeunes musulmans et jeunes chrétiens des rencontres qui répondent à leur attente spirituelle, intellectuelle et sociale ». J'ajouterai volontiers que le fait que des jeunes musulmans pratiquent peut être une invitation pour les jeunes chrétiens à pratiquer, eux aussi, leur religion.
– La foi musulmane est-elle, au même titre que la foi chrétienne, un chemin de Vérité et de Salut ?
– Je pense que, même si on en vient un jour à admettre qu'il y ait plusieurs voies de Salut, elles aboutissent, toutes, à la médiation de Jésus Christ. On ne peut cacher le fait que Jésus a sauvé tous les hommes, et que c'est par Jésus qu'on arrive au Père.
A travers l'islam, le bouddhisme, le judaïsme ou autre, les hommes peuvent trouver le salut, mais ce n'est pas au même titre que la foi chrétienne. En tant que chrétien, je ne peux dire cela sans tomber dans le relativisme religieux. Ce n'est pas parce qu'on admet, dans ces religions, des éléments de vérité que toutes les religions sont égales. Jésus est venu apporter davantage. Sans aucun mérite de notre part, nous avons la foi en lui, et je suis convaincu que mon chemin de vérité et de salut est plus direct que celui des autres croyants.
Le pluralisme religieux, c'est-à-dire la présence dans la même société de plusieurs religions ne signifie pas relativisme religieux. Je peux très bien accepter que les autres, en conscience, aient leurs propres convictions, mais moi, je garde entièrement ma foi chrétienne.
– En quoi consiste précisément la démarche de dialogue que l'Eglise demande à ses fidèles ?
– Il faut distinguer, comme le fait d'ailleurs le texte de Lourdes, rencontre et dialogue. Le dialogue, c'est l'échange, la confrontation des croyances, mais pour pouvoir se parler, il faut d'abord se rencontrer. Il ne peut y avoir de dialogue vrai – sinon ce serait l'affrontement – s'il n'y a pas eu, auparavant, rencontre et amitié. Le dialogue ordinaire fait déjà partie de la rencontre, mais peu à peu celle-ci va aboutir à un dialogue plus important, sur le contenu théologique de nos religions respectives, et ce dialogue suppose une connaissance approfondie de ce qui est spécifique à l'une et à l'autre religion.
– Le dialogue des chrétiens avec les musulmans connaît-il la réciprocité ?
– Ceux qui sont engagés dans la rencontre et le dialogue ne retrouvent pas une réciprocité à tous les niveaux, mais il y a une véritable demande, en France tout au moins, même si ce n'est pas le cas pour les pays à majorité musulmane. Chez les jeunes musulmans, en particulier, il y a une forte ouverture à la rencontre. Il y en a qui sont tentés par la fermeture et rejoignent les groupes terroristes, mais c'est une infime minorité. Ces jeunes vivent leur islam différemment de leurs pères qui ont vécu dans les pays musulmans. Eux sont de plein pied dans la société française, ils ont connu l'islam dans un pays où il y a d'autres religions et, automatiquement, non seulement ils vivent l'islam de manière différente, mais cherchent à rencontrer les autres croyants, dans une vraie quête de spiritualité.
– Dans quelle mesure le dialogue aide-t-il le chrétien à mieux vivre sa foi ?
– Il faut d'abord être convaincu que c'est Dieu qui a mis ces croyants sur notre route, et que nous devons être, pour eux, comme des frères. C'est la meilleure manière de rendre compte de notre foi. Il faut donc faire le premier pas, sans attendre la réciprocité. «Quelqu'un te requiert-il pour une course d'un mille, fais-en deux avec lui», dit l'Evangile (Mt 5,41). Et tous ceux qui, comme moi, se sont lancés dans ce genre de rencontre, sont convaincus que le dialogue avec les musulmans aide le chrétien à mieux vivre sa foi. Certaines valeurs, comme l'hospitalité, la foi au Dieu unique, le jeûne, la prière, sont communes aux chrétiens et aux musulmans, mais les musulmans vivent l'hospitalité de manière plus forte que nous en Europe ; leur idée de la grandeur de Dieu est un appel à ne pas négliger la transcendance et nous empêche, comme nous serions tentés de le faire, de « prendre Dieu pour un copain »... Pour ma part, je rencontre beaucoup de personnes qui disent : plus je fréquente les musulmans, plus j'approfondis ma propre foi de chrétien.
– Ce dialogue vaut-il uniquement au niveau théologique ou est-il possible aussi au niveau du quotidien ?
– Au niveau du quotidien, sûrement. Certes, les chrétiens de la base ne sont pas préparés pour savoir dans quelle mesure et dans quels domaines le dialogue va approfondir leur foi, mais c'est le rôle des prêtres et des religieux de les accompagner, de les éclairer, afin qu'il y ait, pour eux aussi, un vrai dialogue théologique.
– Nous sommes des franciscains. Le Messager est une revue antonienne. Comment pouvons-nous vivre cette rencontre et ce dialogue dans l'esprit de François et d'Antoine ?
– C'est vraiment là l'expérience de toute ma vie de relation avec les musulmans. Elle est basée sur l'Evangile, mais elle se fonde aussi sur l'expérience de saint François. Le fait que celui-ci soit allé voir le sultan, en pleine croisade, est pour moi un fait éblouissant, un événement prophétique, en avance de huit siècles. Il faut, en effet, attendre le XXe siècle pour qu'on comprenne l'attitude de François, reprise à la fin du siècle dernier par le Père de Foucauld et entérinée par Vatican II. François, qui pense qu'il va être tué, finit en fait par proposer à ses frères deux méthodes de vie parmi les musulmans : vivre parmi eux, comme des frères, en confessant en toute simplicité qu'on est chrétien, et leur faire découvrir que ce Dieu très grand est aussi un Dieu-Amour, un Dieu-Père. Et si l'on ne peut pas le dire par nos paroles, qu'on le dise par notre vie...
– Et saint Antoine ?
– On ne peut pas savoir ce qu'il aurait fait, puisque l'histoire est restée muette à ce sujet. Mais je pense qu'étant pétri d'Evangile, saint Antoine aurait agi dans le même esprit que saint François.
– Comment Le Messager peut-il aider à créer l'esprit de dialogue dont nous venons de parler ?
– Une revue comme Le Messager peut, en effet, favoriser l'esprit de rencontre et de dialogue en insistant tout particulièrement sur les rencontres au quotidien. Beaucoup pensent que le dialogue est une affaire de spécialistes, mais si on leur dit que la rencontre se joue aussi dans les relations de tous les jours, à l'occasion des fêtes religieuses, parmi les enfants à l'école, voire même dans les cours ou les escaliers, ils verront que tout cela est tout à fait à leur portée. On peut aussi aider à connaître les musulmans, leur foi, leurs habitudes, leurs modes de vie.
Le Messager est une revue ouverte sur tous les plans. Dans la mesure où il ouvre les esprits sur un terrain, il les aide aussi à s'ouvrir sur tous les autres, dans le sens de l'Eglise et de l'Evangile.
Propos recueillis par Valentin Strappazzon
Pour approfondir le dialogue
Gilles Couvreur, Musulmans de France. Les Editions de l'Atelier. 112 pages, 65 FF. Les statistiques et les analyses socio-religieuses de ce livre ont servi de base à la réflexion des évêques à Lourdes, lors des Assemblées plénières de 1997 et 1998.
Catholiques et musulmans, un chemin de rencontre et de dialogue. Document des évêques de France sur le dialogue avec l'islam. Documentation Catholique, n° 2193, 6 décembre 1998, p. 1031-1037.
Un rendez-vous pour la foi, Lourdes 1997. Centurion/Cerf. 120 FF.
Aux pages 75-129, le dossier sur l'islam comprend une introduction, par Mgr Bernard Panafieu, archevêque de Marseille, et deux conférence ;
– Chrétiens et musulmans en Europe, par Mgr Michael Fitzgerald, secrétaire pour le Conseil pontifical du dialogue interreligieux ;
– Foi islamique et pastorale chrétienne, par Mgr Joseph Doré, actuel archevêque de Strasbourg.
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Population musulmane en Europe occidentale
France | 4 000 000 |
dont naturalisés français. | 2 000 000 |
Grande Bretagne | 1 750 000 |
Allemagne | 2 500 000 |
Belgique | 300 000 |
Espagne | 200 000 |
Italie | 400 000 |
Pays-Bas | 500 000 |
Source : Dossier du Secrétariat pour les Relations avec l'Islam (SRI),
in Gilles Couvreur, Musulmans de France, p. 9.