Les pieds, moteurs de la foi !
Vivre à 4 km/h. Un rêve accessible uniquement l’été ou un mode de vie à adopter tout au long de l’année ? Cette façon de vivre est quelque peu parallèle au monde normal tout comme l’est la vie des chrétiens. Face au monde contemporain de la vitesse, de l’utilité, de l’efficacité, la marche du chrétien apparaît comme un acte de résistance, privilégiant la lenteur, le silence, l’écoute, la gratuité, la générosité, la fraternité.
La marche est l’identité du croyant. La Bible regorge d’histoires de marche. Jésus, le Ressuscité, celui qui marche, est celui qui nous met en route et nous donne de marcher à sa suite. La marche est un passage qui permet d’aller de la peur à la confiance, du doute à la foi. Mais la marche est aussi une épreuve : c’est la fatigue, la peur de ne pas trouver un abri pour le soir, ne pas trouver à boire...
La marche nous réapprend à accueillir les petites choses de la vie et à nous en émerveiller, elle permet ainsi de nous rapprocher de Dieu et de nous-mêmes. La marche permet à l’homme de mieux se connaître : seul celui qui a déjà marché comprend qu’il faut boire avant d’avoir soif, bien se nourrir avant de se mettre en route et prendre soin de son corps. Avec ceci comme bagage, le marcheur est prêt à vivre des rapports dénués de liens hiérarchiques ou sociaux et sait que la fraternité qui se tisse lors d’une marche est forte.
Admiration, douleur, fraternité
Les points communs des marcheurs et des pèlerins sont la fraternité, l’admiration pour les paysages, la contemplation de la nature, la souffrance partagée et la douleur quotidienne. Tous, à un moment donné, ont mal quelque part en marchant : aux pieds, au dos, aux mollets... Les marcheurs se soignent les uns les autres et une fraternité naturelle et spontanée naît entre eux.
Marcher expose aux intempéries météorologiques, à la fatigue, à la solitude mais aussi à l’émerveillement qui permet de lâcher prise. Au-delà de la beauté des paysages traversés, la démarche physique est fondamentale pour le pèlerin. En éprouvant dans son corps la fatigue et l’effort, il prend conscience de ses limites et de sa finitude.
Fragilité
La marche fait découvrir la fragilité et le déséquilibre qui en découle. Marcher, c’est mettre un pas devant l’autre et cet « entre-deux » n’est pas stable. Chaque pas est important, le marcheur doit être vigilant et regarder là où il met les pieds. Marcher, c’est réapprendre à se tenir debout. C’est aussi vivre entre deux pas et pas seulement à chaque pas. Les « entre-deux » sont un écho à la vie de foi qui est rarement régulière et connaît des pas fondateurs et des « entre-deux » plus obscurs. Ces deux moments sont pourtant inséparables.
Le marcheur apprend aussi la persévérance, la patience et avance jour après jour avec courage. Il se désencombre du superflu : le poids du sac à dos conditionne une bonne marche. Il redécouvre la dépendance car il ne peut pas tout porter pour une journée : dépendance de la fontaine qui permettra de boire, de l’abri alors que la pluie tombe, du paysan qui remet sur le chemin quand on est perdu. Les gestes simples du quotidien prennent alors une autre saveur.
Avoir du temps
Tout marcheur vit l’instant présent et considère la lenteur comme un trésor. Il
prendra des jours pour parcourir à pied une distance qui s’effectue en deux heures de voiture. La lenteur de la marche apprend à se laisser porter, à ne plus chercher à être efficace et productif.
Cela devient un temps propice pour rêver, respirer, délier sa pensée, se ressourcer, se détacher, recevoir toute rencontre et prier. Ces paroles du pape François prennent alors tout leur sens : « Quand on ne marche pas, on s’arrête ». Le silence, qui découle naturellement d’une marche, permet d’unifier le corps et le cœur dans la prière.
Selon l’écrivain Alix de Saint-André, « le pèlerin est quelqu’un qui marche, souffre, admire et aime : il est en plein cœur de Dieu ». Le pèlerin, qui retrouve le goût du temps et de la réalité, renoue avec l’essentiel de la vie et sort de lui-même.
Marcher, c’est prier avec les pieds
Marcher permet de se décentrer de soi, de se rendre disponible à la beauté de la Création et incite à la louange. Marcher, c’est prier avec les pieds ! Le marcheur, en sortant de lui-même, apprend à écouter et à s’émerveiller. La marche entraîne toujours un déplacement intérieur et spirituel et rappelle la vocation naturelle de l’homme au mouvement : un pas devant l’autre, il se met en route, il avance, même s’il ne sait pas toujours où il va.
La marche joue pour le corps le rôle d’une dynamo. Plus on marche, plus on a envie de marcher et plus notre corps trouve les ressources pour avancer. Plus le chrétien prie, plus il a envie de prier et ne peut plus s’en passer. Le chrétien qui arrête de marcher et de prier tombe. Le corps participe pleinement à notre vie spirituelle.
En Occident, notre éducation nous amène souvent à croire que tout se passe dans notre tête, mais vivre dans son corps et être à son écoute, notamment par la marche, ouvre à la vie spirituelle. Le pape François nous rappelle souvent que la spiritualité est incarnée !
Alors, si trop souvent, nous pensons avoir la foi dans la tête, le pèlerinage nous rappelle que la foi est appelée à prendre toute notre vie, à se déployer dans le temps, le mouvement et la marche. Dans les Béatitudes, le mot « heureux » se dit en hébreu « en marche », alors être heureux, c’est déjà être en chemin !