Les jeunes et les smartphones, quel usage ?

​En deux décennies, le téléphone portable puis le smartphone ont bouleversé nos modes de vie. L’impact des objets connectés est particulièrement fort sur les jeunes. Quels sont les risques d’une utilisation inappropriée, et comment poser des limites ?
22 Janvier 2018 | par

En deux décennies, le téléphone portable puis le smartphone ont bouleversé nos modes de vie. L’impact des objets connectés est particulièrement fort sur les jeunes, dont les parents et éducateurs peinent à en modérer l’utilisation. Quels sont les risques d’une utilisation inappropriée, et comment poser des limites ?

« Quand ma fille est rentrée en pension, en classe de troisième, je lui ai rétorqué, sûre de moi, qu’elle n’aurait pas besoin de téléphone portable, puisque, étant passée par la même pension, je savais très bien qu’il y avait des cabines téléphoniques ! » Julie, mère de cinq enfants, très vigilante quant aux écrans, en a été pour ses frais : le jour de l’inscription, elle a découvert que France Télécom avait supprimé les cabines quelques années auparavant. Et s’est décidée à doter sa fille d’un portable.

Autres temps, autres mœurs. Depuis son apparition en Europe dans les années 1990, le téléphone portable a considérablement changé nos comportements… et l’ambiance des cours de récréation. 93 % des 12-17 ans sont équipés d’un smartphone, selon Boris Manenti et Céline Cabourg, deux journalistes du Nouvel Observateur, dans leur ouvrage Portables : la face cachée des ados (éd. Flammarion, Enquête) publié en février 2017. Leur enquête met au jour les effets néfastes d’une consommation souvent excessive, que leurs parents peinent à maîtriser, et qui implique de nombreux risques comportementaux, relationnels, sanitaires et sécuritaires.

Devant l’évolution fulgurante d’un phénomène qui n’a cessé de s’amplifier, parents et éducateurs peinent à trouver une ligne équilibrée, entre adaptation à la vie moderne, et prévention face aux multiples tentations cachées derrière l’objet connecté et le fantasme du tout illimité. « Mon critère, c’est celui du besoin. Mais attention, je parle d’un vrai besoin », explique Julie, qui n’a jamais jugé bon d’offrir à ses enfants un téléphone pour les savoir en sécurité : « Il n’est pas dit qu’un portable les sauve d’une agression, et ni qu’ils sont quelque part quand ils disent y être, contrairement à un téléphone fixe ! » Alors quand son fils de troisième lui a réclamé un téléphone parce que tous ses amis en avaient un, elle l’a aidé à trouver une parade : « Il a apporté des balles de baby-foot à l’école, et l’ambiance a tout de suite changé ! », se félicite-t-elle. En revanche, quand celui-ci a été amené à faire du baby-sitting dans des maisons sans téléphone fixe, elle a sauté le pas, estimant, cette fois, le besoin fondé. Chez elle, les téléphones ne montent pas dans les chambres, et l’accès à la télévision et à l’ordinateur est règlementé. Un apprentissage qui ne se fait pas sans débats houleux, mais la mère de famille persiste et signe, surtout depuis qu’elle a pris conscience qu’ils avaient une culture générale plus fournie qu’une bonne part de leurs amis, grâce à la livraison quotidienne de la presse à la maison.

« Plus que d’empêcher son usage, notre but est d’éradiquer l’utilisation néfaste des téléphones portables, témoigne quant à lui Matthieu, Conseiller Principal d’Éducation en lycée professionnel. Première d’entre elles, le harcèlement scolaire, pour lequel les réseaux sociaux ont changé la donne, offrant aux harceleurs l’entremise de l’écran, la possibilité de faire circuler photos et vidéos, et une grande liberté d’action, puisque les contacts entre élèves ne s’arrêtent plus au portail de l’école… « De plus, avec les réseaux sociaux et la dématérialisation de l’intention de l’action, les jeunes n’ont plus l’impression de faire quelque chose de mal. Avant, il fallait traverser la cour de récré pour porter la main sur quelqu’un ou pour lui cracher dessus. Aujourd’hui, lorsqu’ils cliquent sur la photo d’une camarade dénudée, en la likant, en la commentant ou en la partageant à leur réseau, les jeunes ne se rendent même plus compte qu’ils envoient un message insultant, qui peut causer un lourd préjudice moral… » Autres incidences, le manque de sommeil des jeunes qui dorment leur portable allumé dans leur lit, sans jamais se déconnecter de leur réseau, avec ses multiples conséquences sur la santé et la sphère relationnelle. Au-delà de ces risques, Matthieu ne se veut pourtant pas catastrophiste sur l’utilisation des appareils connectés, dont l’utilisation pédagogique pourrait se généraliser. Et se dit convaincu que l’école doit miser sur l’apprentissage de l’autonomie plus que sur des politiques répressives.

L’éducation à l’autonomie, c’est aussi la ligne directrice dont on se réclame à Châteauneuf-de-Galaure, établissement héritier de la spiritualité de Marthe Robin, qui accueille des jeunes filles externes, demi-pensionnaires et internes dans la Drôme. « C’est un sujet sur lequel nous remettons en question régulièrement nos principes éducatifs tant la question est complexe et évolue vite », expose une des éducatrices. L’équipe pédagogique entend sensibiliser les élèves aux possibles dérives, sans taxer l’objet de tous les maux : « Attention, les objets connectés ont des atouts fantastiques. L’année dernière, nous avons pu entrer en contact avec Thomas Pesquet en direct, c’est fantastique ! Mais nous sommes attentives à ce que nos élèves développent un rapport sain à ces objets, et qu’elles y réfléchissent. Nous souhaitons notamment éduquer leur liberté par rapport à ce qui doit ne rester qu’un outil ». Ici comme ailleurs, hors de question de fouiller les externes à leur arrivée, donc la présence de ces objets est autorisée dans l’école, mais leur utilisation est bannie lors des heures de classe, comme le veut la loi, et sérieusement encadrée pour les internes : les collégiennes remettent le leur pour la semaine, tandis que les lycéennes ont droit à une heure d’utilisation quotidienne. Comme des élèves de leur génération, il leur est souvent difficile de s’en passer. « Cela leur demande un vrai sacrifice, admet l’éducatrice. Mais c’est aussi l’occasion de leur faire goûter les bienfaits du silence, qui fait aussi partie de notre spiritualité. Si elles savent l’apprivoiser, nos élèves seront bien moins démunies lorsqu’elles se retrouveront, dans quelques années dans leurs chambres d’étudiantes. C’est ainsi que nous en ferons des adultes ». 

 

Updated on 22 Janvier 2018
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