Les héros populaires
Un Ange de la Renommée avec sa trompette prête à sonner accueille les visiteurs de cette intéressante exposition proposée par le musée des Arts et Traditions populaires. Cette magnifique pièce d'art forain rappelle d'emblée que la célébrité et la gloire couronnent les prouesses des héros et il arrive d'ailleurs que, comme Achille, ils les déclarent préférables à une longue vie obscure. Leur notoriété est propagée par les poètes, les aèdes, les bardes, les bateleurs, les comédiens, les écrivains, et aujourd'hui la radio, la télévision, Internet... Il est question ici de héros populaires, c'est à dire dont la réputation atteint toutes les catégories sociales. Parfois, cette popularité est si bien assurée que les noms des héros entrent dans la langue comme nom commun: un hercule, un don Quichotte...
Dans cette pièce d'accueil construite de manière très symbolique, un grand miroir voisine avec l'Ange de la Renommée. C'est qu'il existe toujours un phénomène d'identification avec le héros. Ils sont en effet des modèles de vie idéale et des exemples édifiants. Le héros devient parfois un porte-parole de catégories défavorisée. Il peut se qualifier aussi dans sa quête d'aventure mystique, sa soif de découverte, son désir de changer la vie ou encore servir de modèle à l'usage de populations qui se reconnaissent avec fierté en lui.
Les héros de Dieu
Les héros sont innombrables. Il y a ceux qui ont vraiment existé et qui appartiennent à l'histoire, et ceux, nés de l'imaginaire d'un narrateur, qui sont purement fictifs. L'exposition est de fait foisonnante ; pourtant, malgré le nombre impressionnant de héros présentés, on n'est jamais perdu sans doute parce qu'ils appartiennent à nos mémoires et que leur nom et leur geste ne nous sont jamais inconnus.
Saint Georges, vainqueur du dragon et saint Michel, l'archange qui engagea la lutte contre la bête de l'Apocalypse, appartiennent à la grande famille des héros populaires. Ce type de saint combattants est proche du héros chevaleresque médiéval, champion du christianisme qui, les armes à la main, rêvent d'ouvrir la voie à la Jérusalem céleste. Roland en est l'archétype.
Le neveu de Charlemagne armé de son épée Durandal est le lieutenant principal de l'empereur dans sa reconquête de l'Espagne. Surpris dans le défilé de Roncevaux, en 778, il oppose aux Sarrasins une résistance héroïque. Grièvement blessé, il se décide à sonner de l'olifant pour alerter Charlemagne. Mais par la faute du traître Ganelon, les secours arrivent trop tard. Charlemagne vengera Roland en punissant Ganelon et en battant les Sarrasins. Avec cette épopée, est née la plus ancienne chanson de geste française. Elle est inexacte historiquement, car la véritable reconquête de l'Espagne n'aura lieu qu'après la mort de Charlemagne. Mais peu importe, Roland, grâce à la chanson, est devenu la figure la plus héroïque du Moyen Age. Il se distingue par sa compétence guerrière, sa force surhumaine, sa fidélité absolue à son seigneur, sa patrie et son Dieu. Bref il devient le modèle auquel chaque chevalier souhaite ressembler!
Dans l'exposition, la conquête chevaleresque est illustrée entre autre par une remarquable série de marionnettes à tringle du XIXe siècle. On y reconnaît Charlemagne et les douze Preux, tous chevaliers parmi lesquels on compte Roland. Leur nombre n'est pas un hasard. C'est le même nombre que les apôtres qui entouraient Jésus. On découvre aussi des peintures sur bois représentant Godefroi de Bouillon, une boîte de berger décorée d'un chevalier croisé, une superbe affiche de théâtre consacrée à Richard Cœur de Lion. La diversité des objets - costumes de théâtre, boîtes, lanterne magique, déguisement d'enfants, livres illustrés - est l'un des principaux attraits de l'exposition. Jamais on ne s'y ennuie.
Tous les héros chevaleresques ont en commun leur action, de style épique, fondée sur la foi en des valeurs religieuses appelées à se réaliser en ce monde par la conquête. Mais le conquérant s'inverse en conquis lorsqu'il cède aux enchantements de l'amour fou : ainsi parmi les chevaliers de la Table ronde, corps d'élite du roi Arthur, Lancelot est le champion invincible et le parfait amant. Il restera toujours partagé entre ses fidélités à Arthur et son amour pour la reine, la belle Guenièvre. C'est aussi l'histoire de Tristan et Iseut unis à jamais par le philtre d'amour malgré le mariage d'Iseut avec le roi Marc. L'amour fou a bien d'autres héros au-delà de la chevalerie: Roméo et Juliette, Paul et Virginie, Carmen...
Dès la fin du Moyen Age, la foi a perdu de son évidence et le doute est là qui ronge les héros. Hamlet s'interroge au bord de la tombe. Don Juan provoque le Commandeur. Faust pactise avec le diable. Dracula, résurgence comme seigneur vampire du roi Vlad, en est un ultime avatar. Avec Don Quichotte, la déshéroïsation serait achevée s'il ne personnifiait pas en même temps l'impossibilité de renoncer complètement aux valeurs chevaleresques.
L'inversion carnavalesque
Dans le schéma classique du récit héroïque, le petit est généralement la victime secourue par un grand. Mais le carnaval tourneboule cet ordre et le roi est doublé d'un fou qui, en le parodiant, révèle une vérité. Ces personnages, antihéroïques a priori, apprennent à transformer leur statut de victime en celui de héros positif, capable de secourir eux-mêmes, de protéger les leurs, voire la collectivité toute entière.
Gargantua est le premier de la liste. Avec ses joyeux compagnons ivrognes et vérolés, il ouvre la voie aux héros du rire. Les farceurs, Hanswurst, Tabarin... s'illustrent par des exploits fondés sur la goinfrerie, l'ivrognerie, la paillardise, la grossièreté et la dérision du langage, à l'opposé de l'ascétisme héroïque des chevaliers. De fait, le personnage de Rabelais acquiert une portée nouvelle. Il condamne la guerre de conquête et le rêve d'expansion sans freins. Par des moyens carnavalesques, il gagne la guerre contre Picrochole. Enfin, il prône la possibilité d'un bonheur terrestre dans un nouveau type d'abbaye, celle de Thélème.
C'est dans le droit fil de ces farceurs qu'apparaissent, dès le XVIIe siècle, Dame Gigogne, l'épouse de Polichinelle, le père Lustucru ou madame Blanchard qui s'envole en ballon avec ses enfants et finit par se casser la figure. Toutefois dans leur refus libertaire, tous ces personnages se rehéroïsent sur de modes non plus épiques mais comiques ou héroï-comiques. D'Arlequin à Figaro, les valets l'emportent sur les maîtres et, de Don Quichotte aux brigands aimés du peuple comme Robin des Bois, les héros picaresques, qu'ils soient désinvolte ou généreux comme Cyrano de Bergerac ou romanesque comme Casanova, parcourent le vaste monde pour leur plaisir, leur amusement ou leur revanche. Polichinelle est un héros de la contestation et de la transgression sociale et Guignol, né entre la fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe, est un homme libre qui défend son petit monde contre les gendarmes!
L'héroïsme humaniste
A partir de la Renaissance, les grands navigateurs comme Christophe Colomb, les savants et les philosophes sont les nouveaux héros. Ils montrent le chemin pour l'invention de nouvelles organisations sociales en accord avec de nombreuses visions idéales. Coté littérature, c'est le Robinson Crusoé de Daniel de Foe ou le capitaine Nemo de Jules Verne. Un héros comme Robinson montre comment un homme seul peut créer rationnellement des conditions de vie heureuse. Tous les héros révolutionnaires rêvent également de bâtir un monde nouveau conforme aux Lumières et à la supposée bonté naturelle d'un homme qui serait débarrassé des superstitions traditionnelles. L'individu, de sujet d'un prince, devient citoyen d'une nation recréée par l'autodétermination de ses membres. L'individu et la collectivité réconcilié, apparaît le patriote, spécimen anonyme d'un peuple héros.
L'épopée napoléonienne, avec son empereur prestigieux, la néochevalerie de ses maréchaux et sa Grande Armée soulève l'enthousiasme des peuples européens avant de susciter leur réaction nationale. En France, le culte de Napoléon dure plus d'un siècle car la catastrophe finale, l'exil de Sainte-Hélène, la mort de l'Aiglon et la réapparition de rumeurs sans cesse déçues concernant le retour de l'Aigle, loin de détourner ses fidèles transforment le héros en un saint martyr laïque.
Aujourd'hui, le sens du mot héros a bien changé. Depuis plusieurs décennies, on a pris l'habitude de décerner le titre de héros à toute personne ayant accédé à une quelconque notoriété ou ayant occupé l'espace médiatique ne serait-ce qu'un moment. Employé à tort et à travers, le terme connaît une véritable inflation et perd toute signification spécifique. Ainsi dans cette dernière partie intitulé A chacun son héros, on se trouve dans un véritable melting-pot d'idoles contemporaines allant de Lady Di à Jimi Hendrix en passant par le Che, Marilyn, James Dean... tous des héros mondialisés !
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Musée des Arts et Traditions Populaires, 6, avenue du Mahatma Gandhi 75116 Paris Tél.: 00 33 (0)1 44 17 60 00. Jusqu'au 10 juin 2002. Catalogue : 165 pages, 24,39 euros (160,00 FF).