Les enfants de la guerre
Lorsque la guerre éclate, la vie des populations civiles est bouleversée. Du jour au lendemain, les jours paisibles deviennent des jours de terreurs et de peur. Comment réagissent les enfants ? Quelles influences et quels impacts ces événements historiques ont-ils sur leur vie future ? Aujourd’hui, psychologues et psychiatres étudient les conséquences des conflits armés sur l’enfance. Mais personne n’avait encore analysé de manière aussi systématique les effets de la dernière guerre mondiale sur une génération qui aujourd’hui a dépassé l’âge de 60 ans. Saluons donc le travail du musée de la Libération à Cherbourg qui s’est plongé dans les archives mais a aussi recherché des témoignages vivants. Ainsi ont été collecté des mots mais aussi des photographies, des jeux, des illustrés... tous ces objets qui entourent l’enfance et qui contribuent à faire de l’adulte ce qu’il deviendra avec toutes les influences éducatives et sociales qui se situent au-delà de la transmission parentale propre.
Le résultat est passionnant et interpelle le visiteur, qu’il soit petit ou grand. En effet, selon les publics, l’exposition peut être abordée de manière ludique, pédagogique ou nostalgique. Les enfants d’aujourd’hui rencontrent le quotidien des jeunes des années 40 à travers les reconstitutions, les jeux et photos d’époque tandis que ces mêmes objets, pour les enfants d’autrefois devenus adultes, évoquent l’atmosphère où ils ont grandi. La mise en scène suit le cheminement de l’exposition permanente du musée. On commence donc par descendre dans le sous-sol, descente symbolique puisqu’elle nous mène aux années sombres du régime de Vichy et de l’Occupation.
Nous découvrons les enfants sur les routes de l’exode, petits êtres paniqués par l’angoisse de leur mère qui parfois prennent sur eux, pour être fort et protéger les plus jeunes. Puis vient la période de l’occupation où la vie doit bien continuer, notamment dans les écoles. Une salle de classe sous le régime de Vichy a été reconstituée. Cette section prend en compte tout ce qui a trait à l’éducation, en particulier le choix de nouveaux modèles. Le sport prend une place beaucoup plus importante. C’est d’ailleurs curieusement au cours de cette période que fut décidée la construction de nombreux stades qui seront effectivement édifiés après la guerre.
Du jeu à l’idéologie
Epanouissement de l’enfant par le sport, les sorties en plein air, le groupe... On pense bien évidemment au mouvement du scoutisme, fondé en 1907 en Angleterre par Lord Baden-Powell, qui voit son plein développement en Europe justement dans les années 40. La création de la Fédération du scoutisme français date de 1941. Mais l’encadrement de la jeunesse, c’est aussi les “jeunesses hitlériennes”, nées à la même époque sur des bases pas très éloignées. On voit ainsi comment l’idéologie peut s’insérer dans ce type d’organisation et modeler des esprits encore immatures.
Le mérite de cette exposition est aussi de s’interroger, comme sur ce cas précis, sur ce qui se passait au même moment pour les enfants et les adolescents des autres pays belligérants. La section suivante consacrée au jeu est en ce sens assez exemplaire. Loin d’être anodin, le jouet est en effet fabriqué par des adultes pour les enfants. Par conséquent, il reflète une vision spécifique des faits et peut même quelquefois s’apparenter à un outil de propagande. Ainsi plusieurs “jeu de l’oie” sont-ils présentés, des français, des anglais et des allemands. Les règles du jeu sont les mêmes, mais les illustrations sont bien distinctes. Personnages et situations représentés se réfèrent à une manière de penser spécifique. Il est intéressant d’observer ces différences aussi dans un même pays, en fonction de l’époque, et c’est assez frappant entre l’avant-guerre, l’occupation et l’après-guerre.
La bande dessinée franco-belge, sous forme de feuilletons dans les magazines, est une manne pour le sociologue. Les illustrés dévoilent les cultures communes comme le western mais aussi les choix spécifiques de chaque pays. Ainsi dans la presse enfantine française, en particulier catholique, on assiste à un véritable culte pour le Moyen Age que l’on ne retrouve pas aux Etats Unis. A noter encore la même passion pour le modèle réduit d’avion chez les jeunes garçons de tous les pays.
Face à l’histoire
L’épisode le plus horrible de la seconde guerre mondiale est sans aucun doute le génocide juif. Le cas douloureux des enfants qui doivent se cacher, changer de nom, renier leur culture et qui, malgré tout, ont été trop nombreux à être déportés, occupe la place importante qui convient. Notons notamment comme support de réflexion, le remarquable “journal” de la petite Anne Franck.
Côté “Résistance”, il semble qu’il y ait eu peu de jeunes enfants “utilisés” pour porter des messages, par contre le nombre des adolescents engagés entre 15 et 17 ans est conséquent. On note une recrudescence de la participation des jeunes dans la période 1943-1944. L’histoire de certains d’entre eux, comme Guy Môquet, a été très tôt révélée. Ce fils de cheminot avait rejoint les jeunesses communistes à 16 ans. Militant actif, il sera arrêté sur dénonciation et fusillé en 1941 alors qu’il n’avait que 17 ans. Il a laissé une lettre à sa mère très émouvante : « Je vais mourir ! Ce que je vous demande, toi, en particulier ma petite maman, c’est d’être courageuse. Je le suis et je veux l’être autant que ceux qui sont passés avant moi. Certes, j’aurais voulu vivre. Mais ce que je souhaite de tout mon cœur, c’est que ma mort serve à quelque chose. »
Dans cette exposition, nous découvrons aussi que les enfants soldats ne sont pas l’apanage des pays d’Afrique. A la fin de la guerre, l’Allemagne exsangue n’a pas hésité à enrôler des garçons de 15 à 16 ans. Quelques-uns, peu nombreux certes, n’avaient même que 13 ans.
Libération et liesse
Après avoir plongé dans cette sombre période, le visiteur remonte au rez-de-chaussée et retrouve la lumière. Le moment est venu d’évoquer la libération. Il y a là beaucoup de matériel américain, surtout des photos et des films. En effet, photographes et caméramans attachés aux troupes américaines immortalisaient l’accueil favorable fait aux libérateurs. Les enfants sont l’un des principaux vecteurs. Ainsi sur ces images parfois un peu forcées, on voit un brave GI raccommoder la robe d’une fillette ; des militaires dans une jeep à qui l’on tend, en souriant, son enfant ; un petit garçon, l’air hagard avec son béret dans les bras d’un grand gaillard souriant ; un militaire portant la lourde valise d’une femme et de ses enfants qui peuvent enfin rentrer chez eux ; un GI qui réconforte une fillette blessée en train de pleurer.
Ces photographies si positives devaient justifier auprès du peuple américain l’engagement financier et humain. La méthode, comme on l’a constaté récemment, est toujours utilisée. Un intéressant film de 26 minutes, réalisé à partir de documents des archives américaines sur tous les pays et des témoignages de Normands ayant subi la présence américaine, montre que l’arrivée des Américains en territoire français n’était pas toujours aussi angélique que le laisse entendre les images de propagandes !
Les Alliés ont néanmoins libéré la France et ce fut une grande joie nationale et la reconnaissance était bien au rendez-vous. Les héros américains ont également apporté avec eux des habitudes et des objets que l’on va très vite trouver dans nos maisons, comme le montre la reconstitution d’une chambre d’enfants dans les années d’après guerre. Le fameux Coca-Cola… est débarqué ainsi que des nouvelles musiques. Une mode vestimentaire est directement issue de la guerre comme le blouson porté par les aviateurs qui deviendra vite le “must” pour les adolescents et les jeunes hommes. A noter d’ailleurs, une exposition sœur au musée Christian Dior de Granville, intitulée “De l’uniforme à la haute couture”. Les deux expositions organisées par le même commissaire font également livre-catalogue commun. C’est fou, de fait, ce que les uniformes militaires ont influencé l’habillement des civils : trench-coat (c’était les manteaux spécialement conçus pour les militaires anglais qui firent les tranchées durant la première guerre mondiale), saharienne, cape, double boutonnage, col officier...
Une importante section est consacrée aux créations de l’imaginaire, essentiellement dans la littérature et au cinéma. Un plus ou moins grand nombre d’années ayant passé, les créateurs ont fait de leur expérience d’enfant de la guerre, une œuvre. On pense bien sûr immédiatement à Louis Malle qui, en 1987, avec son Au revoir les enfants a su émouvoir des milliers d’individus. La section est particulièrement riche. Il y a les œuvres immédiates comme le “Journal” d’Anne Franck, puis celles qui suivent la guerre comme les films “La cage aux rossignols” réalisé dès 1945 par Jean Dreville, Allemagne année zéro de Roberto Rossellini, qui date de 1948 ou l’émouvant Jeux interdits de René Clément en 1951. Mais vivre la guerre, c’est être marqué pour la vie comme le fait remarquer Paul Virilio qui justifie ainsi toutes ses études sur l’architecture de guerre, en particulier les bunkers.
L’exposition s’achève avec une salle consacrée au Japon et notamment Hiroshima qui a inspiré de nombreux livres et films.
Musée de la Libération, Fort du Roule 50100 Charbourg-Octeville. Tél.: +33-(0)2-33 20 14 12. Jusqu’au 31 décembre.
“De l’uniforme à la Haute Couture”, Musée Christian Dior, les Rhumbs Jardin Christian Dior 50400 Granville. Tél. : +33-(0)2-33 61 48 21
Autres expositions
George Sand au Musée de la Vie Romantique
De nombreuses manifestations célèbrent le bicentenaire de la naissance de l’auteur de La Mare au Diable, de La Petite Fadette, mais aussi des Maîtres Sonneurs. Notons tout particulièrement l’exposition du musée de la Vie Romantique à Paris. L’hommage trouve merveilleusement sa place dans cet ancien atelier d’artiste où se rendit à plusieurs cette amoureuse des arts. L’exposition propose en effet une évocation de son “musée personnel”. George Sand conservait sept toiles de Delacroix dont certaines furent exécutées à Nohant, deux dessins de Ingres, un paysage de Théodore Rousseau et encore des toiles de Fromentin et Corot et même des sculptures de Clésinger. Toutes ces œuvres sont réunies ici avec un ensemble d’aquarelles réalisées par la romancière. On découvre ainsi ce talent inattendu de la dame de Nohant.
Musée de la Vie Romantique, Hôtel Scheffer-Renan, 16, rue Chaptal 75009 Paris. Tél.: +33-(0)1-55 31 95 67. Jusqu’au 28 novembre.
Pour connaître toutes les manifestations du bicentenaire notamment la programmation du Musée George Sand à Nohant (Indre) : www.bicentenaire-george-sand.com
Chefs d’œuvre de la Phillips Collection de Washington à Martigny
Une cinquantaine de toiles de cette somptueuse collection sont exposées à la Fondation Pierre Gianadda. Elles sont signées Van Gogh, Cézanne, Monet, Degas, Gauguin, Picasso, Bonnard, Klee. Le choix est celui de Duncan Phillips (1886-1966), un collectionneur au regard exceptionnel qui a su rassembler les œuvres de ses contemporains en fonction de leurs résonances réciproques qui révèlent les accords visuels par lesquels l’art de son temps était lié aux grands prédécesseurs: Delacroix, Ingres, Gréco. Notons que d’emblée ce mécène a souhaité faire partager sa collection au plus grand nombre puisqu’il avait transformé deux pièces de sa maison en musée ouvert à tous dès 1921.
Fondation Pierre Gianadda Rue de la gare 1920 Martigny. Suisse. Tél.: + 41 27 722 31 13. Jusqu’au 27 septembre.