Les animaux conduisent-ils à la sainteté ?
Les animaux peuvent-ils nous aider à devenir des saints ? La question pourrait sembler naïve pour certains, et pour d’autres, un brin provocante. Pourtant, si on examine les noms des saints et mystiques ayant lié avec leur « frère » animal une amitié exceptionnelle, la question paraît moins saugrenue. Saint Serge et son ours, saint François et les oiseaux, saint Roch et son chien... Derrière ces « têtes d’affiche » se cachent aussi pléthore de chrétiens qui, en se rapprochant du Créateur, se sont liés avec ses créatures. « Sans doute est-ce dû au fait qu’un saint prend au sérieux la Création par amour pour le Créateur », souffle Tugdual Derville, fondateur d’Alliance Vita et auteur du livre Animaux dans l’Évangile (2010, Salvator). Un constat que partage Jacqueline Kelen, auteure du passionnant ouvrage intitulé Les compagnons de sainteté (Cerf, 2020). « Jésus nous dit : “Tout ce que vous avez fait à l’un des plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait”... Nous avons parfois tendance à oublier que le plus petit de nos frères, c’est aussi le plus modeste des animaux que nous croisons sur notre route, c’est la petite mouche que sainte Thérèse veut épargner alors qu’elle l’embête », rappelle l’écrivaine.
Cette relation étroite entre l’homme et l’animal est présente dans le récit de la Genèse. « L’animal et l’homme sont créés le même jour, le sixième », fait observer le frère capucin Éric Bidot. Si l’homme est le seul à être créé « à la ressemblance de Dieu », il doit reconnaître les êtres inférieurs comme bons et beaux et leur prêter sa voix pour exprimer la louange au Créateur. « Car l’existence des animaux en elle-même est louange, mais seul l’homme peut l’exprimer et l’adresser directement au Créateur », souligne le religieux qui vient de signer La création retrouvée, l’écologie selon saint François (Emmanuel, 2021).
Un rempart à l’orgueil
La présence animale – plus ou moins discrète et plus ou moins éloignée – aux côtés de l’homme est même pour certains un rempart contre l’orgueil. « Je remarque que les animaux ont cette capacité à attendrir les cœurs », confie Jacqueline Kelen, expliquant que le curé d’Ars disait d’ailleurs qu’ils humanisaient les cœurs des hommes en les éveillant à la contemplation d’une part mais aussi à la compassion et à l’humilité. Comment ne pas s’émerveiller du spectacle d’une parade nuptiale de paon ? Comment ne pas être fasciné par les cohortes de milliers d’étourneaux volant à l’unisson ? Par ces saumons capables de remonter des centaines de kilomètres d’une rivière pour frayer ? « Ces prouesses inimaginables et cette complexité déployée par le vivant – notamment à travers les lois de la prédation - nous laissent bien humbles », résume Tugdual Derville.
Dans ce catalogue prodigieux, le chrétien pourra puiser d’innombrables enseignements. Certains animaux sont connus pour vivre instinctivement des vertus que les disciples du Christ peinent à pratiquer au quotidien. On pense évidemment à la fidélité absolue d’un chien pour son maître (voir entretien p.12). On peut citer aussi l’endurance et la patience des fourmis dans leur tâche, le courage et le sens du sacrifice d’un volatile protégeant sa couvée, l’humilité de l’âne servant aux travaux, etc.
Le frère Éric Bidot rappelle d’ailleurs que saint Antoine de Padoue a lui aussi mis en évidence les qualités symboliques de nombreux animaux. Et de faire ainsi l’éloge de l’abeille : « Elle est dure à la fatigue et invite à l’endurance ; elle est colorée et peut rappeler le religieux tiède et orgueilleux ; comme l’abeille se pose sur une fleur, de même le Fils de Dieu s’est posé sur Marie avec douceur ; comme l’abeille vole autour de la ruche pour la surveiller, de même veillons sur les sens du corps et chassons les suggestions du démon ; les abeilles craignent la fumée, craignons les pensées d’orgueil, d’avarice ou d’impureté ».
« Jésus est un très fin observateur »
La Bible regorge évidemment de récits et de références à la faune. Elle cite plus de 150 animaux différents dont une trentaine pour les Évangiles. Jésus s’en sert d’ailleurs régulièrement pour enseigner ses disciples et les foules. Agneau, bœuf, serpent, renard, corbeaux, moineaux, poule, porcs, loup, vautours... la liste est bien longue ! « Jésus est un très fin observateur de la nature », relève Tugdual Derville. « Il a souvent recours à eux pour dire l’amour de Dieu pour l’homme », poursuit-il, expliquant que son enseignement ne se périme pas. « Les animaux n’ont pas changé depuis 2 000 ans. Contrairement aux êtres humains qui évoluent de génération en génération, ce que nous dit Jésus en parlant des animaux est toujours valable », souligne-t-il.
Dans les récits de saints également il est souvent fait éloge de l’animal, et notamment de sa docilité. Pourquoi ? « Pour mettre en contraste l’incrédulité des êtres humains », répond le frère Éric Bidot, qui cite en exemple l’histoire de saint Antoine prêchant aux poissons parce que les humains ne l’écoutent pas. Le capucin rappelle d’ailleurs que François d’Assise, dans une admonition, avait mis en lumière le fait que toutes les créatures sous le Ciel servent le Créateur, le connaissent et lui obéissent mieux que l’homme. « Il y a donc une contradiction tragique entre l’excellence humaine et la ressemblance divine, d’une part, et le refus de servir Dieu, d’autre part », résume le religieux. Dès lors, il n’est ni naïf, ni provocant de trouver en l’animal un compagnon de sainteté.