Les 1 200 ans de Compostelle
Visitant Compostelle au XIIe siècle, l’émir Ali ben Yoûsouf demanda à son guide : « Qui est ce personnage si grand, si illustre, pour que les chrétiens aillent vers lui afin de prier depuis les Pyrénées et de plus loin encore ? La multitude de ceux qui vont et viennent est si grande que c’est à peine si elle laisse libre un passage sur la chaussée en direction de l’Occident ! »
Ce personnage, c’est saint Jacques ou Jacques de Zébédée, dit Jacques le Majeur, l’un des douze apôtres du Christ. Si à son propos, il est parfois difficile de démêler l’histoire de la tradition, voire de la légende (d’autant plus que les Évangiles mentionnent plusieurs Jacques), on sait qu’il était pêcheur sur le lac de Tibériade comme son père Zébédée, et qu’il avait saint Jean pour frère. Il fut l’un des tout premiers disciples à suivre Jésus, et l’un de ses plus proches. Présent lors de la prière au Mont des Oliviers, témoin de la Transfiguration, il assista aussi à la troisième apparition de Jésus après sa mort, sur les bords du lac de Tibériade, lors de l’épisode de la pêche miraculeuse.
Selon la tradition, il fut l’un des premiers évangélisateurs de l’Occident, en particulier de l’Espagne, dont il est devenu le saint patron. Il revint ensuite à Jérusalem où il dut subir le martyre, vers l’an 44, et sera le seul apôtre dont la mort est mentionnée dans le Nouveau Testament : « Il [Hérode Agrippa, roi de Judée] fit périr par le glaive Jacques, frère de Jean ».
Une étoile dans la nuit
Par la suite, deux de ses disciples auraient mis son corps dans une barque qui aurait dérivé miraculeusement jusqu’à la plage d’El Padron, en Galice, à l’extrémité occidentale de l’Espagne, où ils l’auraient enseveli. Son tombeau serait tombé dans l’oubli si par un beau jour de juillet 813, un ermite nommé Pélage n’avait pas été guidé pendant la nuit par une étoile, vers un mausolée contenant un corps décapité tenant sa tête sous son bras. Une dépouille que l’évêque Théodomire reconnut comme celle de l’apôtre. Le roi Alphonse ordonna alors la construction d’une église autour de cette tombe, qui deviendra avec le temps la grande cathédrale de Santiago de Compostela. L’origine du nom Compostelle est discutée. Il pourrait venir soit de compositum (cimetière), soit de campus stellae (champ de l’étoile). L’interprétation des reliques de Compostelle a subi récemment une évolution doctrinale. Si en 1884, le pape Léon XIII a authentifié les restes de saint Jacques par la bulle Deus Omnipotens, les deux derniers papes ont préféré utiliser des expressions telles que le « mémorial de saint Jacques » (Jean-Paul II, qui par ailleurs y organisa les JMJ en 1989).
Au Moyen Âge, le culte des reliques va lancer la vogue des pèlerinages. Les fidèles se déplacent de très loin pour se rapprocher de ces objets matériels, espérant y trouver un rapport plus direct avec la divinité et se protéger du mal et du péché. Godescalc, évêque du Puy-en-Velay, est en 950 le premier pèlerin documenté, initiant une des plus importantes routes européennes, celle qui va du Puy à Santiago.
Patrimoine de l’humanité
Le succès de Compostelle sera d’autant plus grand qu’en 1120, le pape Calixte II proclame que les années Saintes ou Jacquaires, celles où le jour de la Saint-Jacques (le 25 juillet) tombe un dimanche, les pèlerins obtiendront l’indulgence plénière. Mais dès le XVe siècle, en partie à cause de la grande peste, le pèlerinage de Compostelle amorce un certain déclin. En outre, en 1590, devant les menaces du corsaire anglais Francis Drake, l’évêque de Santiago décide de cacher les reliques tout en omettant de dire où elles sont. On les retrouvera le 28 janvier 1879, lors de travaux dans la cathédrale, ce qui sera le départ d’un renouveau des pèlerinages.
Mais c’est vraiment durant les dernières décennies du XXe siècle que le Chemin de Compostelle va connaître à nouveau un dynamisme sans précédent depuis le Moyen Âge. La quête de spiritualité, la richesse culturelle et architecturale de l’itinéraire, le goût pour la marche méditative en pleine nature, associés à d’importantes campagnes de promotion lancées par les régions traversées vont replacer le Chemin de Compostelle au premier rang de nos aspirations contemporaines. Cette renaissance sera parachevée par la déclaration par l’UNESCO, en 1993, de ce chemin comme Patrimoine de l’Humanité. Les témoignages qui rapportent la profondeur de cette expérience ne manquent pas ; parmi eux le dernier livre de Jean-Christophe Rufin, Immortelle Randonnée, qui figure depuis plusieurs semaines – est-ce un hasard ? – parmi les meilleures ventes de livres en France.