Le Valais : et la modernité
Si je monte en Valais, c’est le plus souvent pour les obsèques d’un oncle ou d’une tante. Et chaque fois, que ce soit à Vernayaz ou à Chamoson, il y a une belle chorale, l’église est remplie, l’atmosphère recueillie. Signes de la persistance, précieuse, d’une communauté de vie et de foi. Nous sommes là en terre d’ancienne chrétienté. Saint Théodule, évêque d’Octodure (Martigny), participe au concile d’Acquilée en 381, l’abbaye de Saint-Maurice est fondée en 515. En 999, l’évêque de Sion devient comte et préfet du Valais, cumulant les pouvoirs temporel et spirituel (jusqu'à la fin du XVIIIe siècle). Juste avant Vatican II, des curés donnaient encore des mots d’ordre politiques en chaire, rappelle l’abbé Michel Salamolard. 86% de catholiques Et la modernité a fait irruption. Un peu avant la guerre et surtout après. Il y a eu la construction des grands barrages, l’industrie, le tourisme, l’argent facile avec les affaires, de Savro à Loèche-les-Bains. Cela a été un choc. Tout cela a entraîné l’implantation de gens d’ailleurs et d’idées nouvelles, avec d’autres confessions et même d’autres religions, et la montée de l’indifférence. Il n’empêche que le Valais, où n’a poussé aucune grande ville, garde ses racines et qu’il y a encore 86 % de catholiques dans la partie francophone du canton. Où en est-on aujourd’hui? Par comparaison avec d’autres, l’Eglise valaisanne peut se vanter de beaux restes. Même si l’on n’adhère pas à tous les articles de foi et si l’on n'observe pas scrupuleusement les normes morales, on se considère généralement comme catholique. Une grande partie des enfants sont baptisés, font leur première communion et leur confirmation. Les mouvements de jeunes manifestent une vitalité réjouissante. Quand on se marie, on passe encore par l’église. Le vicaire général, Bernard Brocard, évalue la pratique dominicale entre 10 et 15 % en moyenne. Pas si mal, par les temps qui courent... Cependant, met en garde Michel Salamolard, l’investissement consenti pour la formation des enfants aboutit trop souvent à un éloignement de l’Eglise, et les 18-30 ans sont les grands absents. Quand la génération actuelle aura disparu, il y aura une nouvelle cure d’amaigrissement. Si les forces sacerdotales restent importantes, 22 paroisses sont privées de prêtres résidents et la relève est insuffisante. Quant aux religieuses, certaines congrégations n’ont pratiquement plus de recrutement... Trois courants A l’issue de quelques excursions dans le canton, agrémentées de diverses conversations, je distingue, sommairement, trois courants, d’inégale importance: - Il y a la tradition, plus ou moins identifiée à Ecône. Avec des Valaisans attachés à leurs valeurs, épouvantés par les dérives actuelles, et une frange d’extrême-droite. On applaudit quand Mgr Brunner, l’actuel évêque de Sion, parle de jeu diabolique à propos de la gay pride, moins quand il prend ses distances avec Romandit. Il y a aussi, plus discrets, ceux qui fricotent avec les esprits ou se disent envoûtés... Cela inquiétait à tel point Mgr Schwery, prédécesseur de Mgr Brunner, qu’il avait nommé un groupe de sept prêtres pour s’en occuper. Il n’en reste plus qu’un en fonction, le père Bernard Jobin, qui révèle : Plus on est religieux, d’une religiosité faite essentiellement de gestes extérieurs, plus on est disposé à voir partout des influences maléfiques. - Il y a, ensuite, ce qu’on appellera le courant conciliaire. Avec, en vrac, les paroisses, la catéchèse, les chorales, les mouvements de jeunes, d’action catholique, la diaconie, les aumôneries, une présence marquée dans les médias, les chanoines du Grand Saint-Bernard et de Saint-Maurice, des initiatives comme les Chemins bibliques... (on en oublie!) A observer qu’au point de vue politique, les liens entre parti (démocrate chrétien) et religion se distendent : on peut maintenant être catholique et radical, voire socialiste ou écologiste! - Enfin, les communautés nouvelles, de la mouvance charismatique, qui semblent avoir trouvé ici une terre de prédilection. Avec, d’un côté du canton, les Béatitudes, et de l’autre, Eucharistein ou Myriam. Ces communautés répondent à une certaine sensibilité, en particulier de jeunes convertis qui trouvent là de quoi se structurer , me confie-t-on. Si l’on met à part Ecône, tout ce monde cohabite, avec des tensions, mais aussi une volonté, plusieurs fois exprimée, de vivre ensemble. J’essaie, pour ma part, de développer l’œcuménisme entre catholiques ! , s’exclame une Blandine Bornet. Catéchisme ou enseignement religieux? S’il existe un lieu particulier de confrontation entre catholicisme et modernité, c’est bien l’école. Il s’agit, souligne Michel Salamolard, qui fut responsable du Centre de catéchèse, d’achever un processus de deuil. Même si l’Eglise avait perdu son pouvoir temporel, le catholicisme était resté (jusqu’en 1974), seule religion officielle. On apprenait donc le catéchisme dans les écoles publiques. Avec la montée du pluralisme et une nouvelle définition des relations Eglises-Etat dans la Constitution, il fallut réexaminer la question de l’enseignement religieux à l’école. On se mit d’accord sur un principe de base : en classe, on dispenserait des connaissances, une culture religieuse ; la catéchèse, en paroisse invitant, elle, à une démarche de foi. Depuis deux ans, un groupe de travail était chargé d’élaborer un programme pour la scolarité obligatoire. On vient d’aboutir. Ce programme aura comme support essentiel les documents ENBIRO (Enseignement biblique romand). Cependant, pour l’école primaire, des compléments doivent encore lui être apportés. Ces compléments devraient porter entre autres sur les grandes fêtes, les sacrements, le service d’unité du pape, la présentation de témoins de la foi valaisans , indique le vicaire général, Bernard Brocard. Par ailleurs, l’Etat souhaite qu’à l’école primaire, ce soit le maître ou la maîtresse de classe qui assure désormais les cours de religion, à la place des catéchistes. Cette perspective suscite une inquiétude parmi ces dernières : Actuellement, on apprend à prier, on parle de la Trinité ou de la vie éternelle. Les enfants qui ne fréquentent pas la catéchèse paroissiale seront privés de tout cela , m’a-t-on dit à Sierre. Il faudra renforcer cette catéchèse paroissiale , souligne Michel Salamolard, conscient qu’on ne touchera pas tout le monde de cette façon. Mais a-t-on le choix? La pratique en pratique Le même Michel Salamolard craint que, sur un thème comme celui que nous venons d’évoquer, l’Eglise ne mène des combats d’arrière-garde. Notre diocèse n’a peut-être pas encore pris la mesure des changements survenus et fonctionne un peu comme si l’on était toujours en chrétienté, en s’efforçant de maintenir tout ce qui peut l’être. C’est au fruit qu’on reconnaît l’arbre (Mt 12,33). Vu de l’extérieur, l’arbre semble toujours vert, plein de vigueur, dans un contexte, malgré tout, de sécularisation. Il porte sans doute de beaux fruits, bien juteux, c’est d’ailleurs une spécialité du canton. Cependant, si l’on est attentif, par exemple, à la politique menée envers les réfugiés, on n’a pas l’impression que le canton du Valais se montre d’une générosité débordante. Sœur Marie-Rose Genoud, qui s’est lancée dans la défense des requérants d’asile, incrimine la peur d’être dérangé, de perdre son identité et un esprit de soumission à l’autorité. Elle trouve des appuis auprès de certains membres du clergé, mais aussi et surtout d’organismes laïcs. Nombre de ceux qui s’engagent au service des plus démunis se montrent critiques vis-à-vis de l’institution ecclésiale, constate un prêtre. Ils vivent des valeurs chrétiennes, mais ne les reconnaissent pas dans une Eglise censée les proclamer. Il y a là quelque chose de tragique. C’est un peu le même reproche que formule un Camille Carron, qui a fait un séjour en Amérique latine : L’Eglise n’occupe pas assez le terrain social, celui de la justice, qui incite à une remise en question. C’est encore trop une Eglise du dimanche. Alors, si l’on mettait la pratique en pratique ? Même si certaines familles vivent en Valais depuis plusieurs générations, la plupart des protestants sont des immigrés d’autres cantons suisses ou de l’étranger. Il existe deux tendances : les uns cultivent leur différence ; les autres, majoritaires, cherchent à s’intégrer à la vie valaisanne , souligne René Nyffeler, pasteur à Sierre. Quand on vient de l’extérieur, il faut faire le premier pas et en général cela paye. Il y a parfois des incompréhensions, dues à une différence de culture. Au XVIe siècle, la Réforme avait pris pied en Valais, mais elle en a été chassée une centaine d’années plus tard. Et ce n’est qu’en 1858 que le premier pasteur a été nommé à Sion. L’Eglise réformée évangélique du Valais a été officiellement reconnue en 1974. Les pasteurs reçoivent un traitement équivalent à celui des instituteurs. On nous donne les moyens d’accomplir notre tâche, par exemple dans les prisons ou auprès de la jeunesse. Cela veut dire que nous sommes considérés comme des partenaires. René Nyffeler qualifie les relations œcuméniques d’assez bonnes : Nous cherchons à entretenir des liens de qualité, car nous avons la conviction que ce qui nous est commun est plus important que ce qui nous sépare. A Sierre, nous avons la chance d’avoir une équipe de prêtres ouverte au dialogue.
Les protestants, venus de l’extérieur