Le Sapin de Noël
Dès les temps les plus anciens, du Nord au Sud et d’Est en Ouest, les hommes associèrent, avec ferveur, les arbres qui les entouraient aux joies de leur vie sociale. En Chine, bien avant notre ère, certains jours de fête, chez les Mandarins, des arbustes enrichis de fleurs et de lampes décoraient les pièces où l’on accueillait les invités.
Chez les peuples du nord de l’Europe, le bois, et en particulier celui des sapins et autres conifères, était le matériau essentiel des bâtisseurs. Et, comme partout ailleurs, une lointaine tradition voulait qu’à l’occasion du solstice d’hiver, les boiseries intérieures des demeures soient revivifiées par l’apport de feuillages restés verts. Tout naturellement, les petits résineux, à la forme cocasse de chapeaux pointus, pullulant autour des villages, furent le plus souvent utilisés pour symboliser la victoire de la vie sur la mort...
UN ARBRE PAÏEN DEVENU SYMBOLE DE NOËL En Bourgogne et en Franche-Comté, bien qu’ayant déjà découvert le christianisme, le peuple germanique des Burgondes n’avait, pas plus que ses voisins, abandonné les croyances ancestrales barbares... Des sapins – dont la région regorgeait – participaient toujours à l’ornementation coutumière des habitations.
Alors que le sixième siècle courait vers sa dernière décennie, le moine irlandais Colomban qui séjournait chez Gontran Ier, roi des Burgondes, aurait magnifié une nuit de Noël en accrochant des torches en forme de croix à l’un des sapins décorant la résidence royale, dans la plus pure tradition du solstice. Le moine évangélisateur, qui allait fonder le monastère de Luxeuil, puis devenir saint, tout comme Gontran Ier, faisait ainsi passer le conifère pyramidal du service des mythes païens à celui de la glorification de la Nativité. L’arbre de Noël était né!
Une autre coutume moyenâgeuse et alsacienne associe aussi un sapin au jour anniversaire de la Nativité. On célébrait alors la fête de Noël en représentant sur les bords du Rhin le jeu du paradis... Dans ce mystère théâtral, très pieux, très solennel et très naïf, l’arbre de l’Eden tenait un rôle important et était abondamment couvert de pommes. Ce décor devait être vu de loin. Et comme un arbuste défolié aurait mal souligné les gestes des protagonistes enfreignant l’interdit divin, un vigoureux conifère bien vert avait été choisi. Il continue à l’être au fil des années...
En Allemagne, en l’an 1500, alors que Maximilien Ier de Habsbourg régnait en maître sur l’empire germanique, on assure qu’aux temps des Avents, en plusieurs Länders, la beauté de petits arbres illuminés par la neige et le clair de lune émerveillait tellement certains paysans dévots qu’ils transportaient ces joyaux du monde végétal à l’intérieur de leurs maisons afin de magnifier celles-ci pour fêter la venue du Seigneur.
Arbre de vie, arbre de lumière, le décor de Noël restait un conifère... Il l’est toujours.
POINTU COMME UN CHAPEAU DE RÊVE... Goëthe a su conter sa surprise émerveillée et son admiration en découvrant, en Saxe, chez un de ses amis de Leipzig, un sapin tout brillant d’or et scintillant de mille feux. C’était le jour de Noël de 1765, le poète avait seize ans...
Mais, déjà bien ancrée un peu partout en Allemagne, la tradition de l’arbre illuminé s’apprêtait à entreprendre la conquête de... l’Amérique ! Ainsi, dès 1775, des mercenaires hessois combattant aux côtés des Anglais lors de la guerre d’indépendance des Etats-Unis, introduisaient outre-Atlantique l’arbre décoré lié à la célébration de la Nativité.
D’autres soldats contribuèrent à étendre chez nous la réputation quelque peu enchanteresse du sapin de Noël... Partis à la conquête de l’Europe, les sans-culottes de l’armée du Rhin et, après eux, les Grognards de l’Empire, étaient loin d’être des sabreurs impitoyables et des soudards sans foi ni loi. Aux étapes, certains arbres de Noël surent les émouvoir, leur mettre un peu de baume au cœur et surtout rester dans leur souvenir.
Au sortir des guerres, les va-nu-pieds superbes rentrés chez eux, ne manquèrent jamais d’évoquer, à la veillée, ces beaux sapins allemands, polonais ou autrichiens. Et, parfois, quelques reconstitutions naïves eurent lieu, en certains villages, pour le plaisir des jeunes enfants.
1890: L’ENGOUEMENT POUR CETTE NOUVELLE COUTUME Il fallut pourtant attendre les derniers jours de 1837 pour que le premier sapin de Noël français soit, très officiellement, installé à Paris, dans un salon du palais des Tuileries, par la duchesse Hélène d’Orléans. Précisons que, d’origine allemande, la jeune princesse avait fait venir cet arbre privilégié de la lointaine province germanique du Meckembourg, où elle était née.
Commentée avec enthousiasme par les gazetiers, l’installation de l’arbre de fête aux Tuileries fut bien accueillie par les Parisiens. Dans un contexte politique qui était loin d’être satisfaisant, le roi des Français, Louis Philippe, sa famille, son entourage et les ministres bourgeois de monsieur Thiers en furent, quelque temps, réconfortés. Pourtant, le sapin de Noël ne tira, semble-t-il, aucun profit immédiat de cette notoriété princière. Et, une bonne quarantaine d’années allait encore s’écouler avant qu’on ait pu voir la coutume se généraliser en France. En 1890, le vrai départ était pris : 35 000 sapins à décorer étaient vendus à Paris dans la deuxième quinzaine de décembre.
Aux Etats-Unis, la tradition de l’arbre illuminé avait couru d’Est en Ouest et du Nord vers le Sud pour devenir, en quelques décennies, un énorme business qui, commercialement, concernait aussi le Canada (pays forestier s’il en est!).
Des dizaines de milliers d’hectares, jusque là en friche, furent plantés en résineux destinés à devenir rapidement des sapins de fête et la capitale de l’Indiana put ainsi prétendre bientôt au titre de métropole mondiale de l’arbre de Noël. Quelque 3000 planteurs s’y activaient et ils surent, très tôt, se doter d’une remarquable infrastructure commerciale.
Actuellement, plus de 50 millions de sapins de Noël sont vendus chaque année aux Etats-Unis. C’est une véritable forêt parée d’or et de guirlandes qui, avec les Avents, envahit maisons et appartements des plus petites villes aux plus énormes métropoles.
ET APRÈS...
Pointu comme un chapeau d’astrologue de conte de fées, l’arbre illuminé vendu de nos jours est parfois bel et bien... artificiel. Il est fait de diverses matières, souvent attractives, mais qui doivent toujours être ignifugées afin de conjurer tout risque d’incendie. Lorsqu’il est naturel, il s’agit généralement d’un jeune épicéa, que l’on reconnaît à ses cônes pendants et non dressés sur les branches comme ceux de son cousin, le vrai sapin.
Dans certaines régions, la tradition veut qu’achetés vivants, les arbres soient replantés le jour du nouvel an. Dans d’autres, ils sont brûlés en place publique, pour rappeler la lumière de l’étoile de Bethléem qui guida les Rois mages.
Et saviez-vous que les épicéas qui ne sont pas utilisés comme arbres de Noël deviennent d’authentiques et majestueux rois de la foret? Ils donnent, en arrivant à un âge avancé, un bois particulier, très riche en résonances, qui leur permettent encore de chanter Noël quand ils ont servi à fabriquer les précieuses tables d’harmonie de différents instruments à corde.
Oui, notre arbre de Noël mérite bien ses quinze cents bougies d’anniversaire!