Le rite romain et... latin
La liturgie est un lieu théologique. Il n’est donc pas étonnant qu’elle ait fourni à plusieurs reprises le détonateur de conflits internes à l’Eglise et même le prétexte à des schismes. Deux récentes initiatives du Vatican en ce domaine viennent de faire à nouveau monter la température : d’une part, la création de l’Institut du Bon Pasteur, chargé d’accueillir des prêtres venus de la Fraternité Saint-Pie X ; d’autre part, la préparation d’un motu proprio (1) visant à rendre plus libre le recours à la messe dite “de saint Pie V”.
Ces deux initiatives correspondent clairement aux intentions manifestées par Benoît XVI depuis son élection : d’une part, organiser la réconciliation avec les disciples de Mgr Lefebvre, qui avaient rompu avec Rome en 1988 ; d’autre part, clarifier les ambiguïtés de la réforme liturgique du Concile, source de polémiques depuis sa mise en application.
Mais elles ont créé la surprise au sein d’une Eglise française globalement tenue à l’écart des négociations romaines. L’Institut du Bon Pasteur s’installe pourtant à Bordeaux et c’est dans ce pays toujours à la pointe de la réflexion liturgique que le divorce entre Rome et les “lefebvristes” a été vécu le plus douloureusement. Les adeptes de l’ancien rite, qu’ils soient intégristes ou traditionalistes, c’est-à-dire en rupture ou non avec Rome, sont aujourd’hui au nombre de 80 000 en France, sur les quelque 200 000 dans le monde.
L’unité du diocèse
Les initiatives déjà prises ou envisagées par Rome posent tout d’abord des questions d’administration de l’Eglise. L’Institut du Bon Pasteur « de droit pontifical » n’aura à répondre de ses actions qu’à Rome. Ses prêtres peuvent désormais célébrer exclusivement selon le rite pré-conciliaire. Dans cette même perspective, les premières moutures du motu proprio accordent plus largement à tout prêtre le droit d’utiliser ce rite ancien.
Dès lors, certains évêques craignent de ne plus pouvoir contrôler leurs diocèses perturbés par des pratiques et – pourquoi pas ? – des paroisses et des séminaires concurrents. Ils s’inquiètent du risque de “bi-ritualisme”. Or, l’Eglise catholique ne pratique quasiment plus aujourd’hui qu’un seul rite, le rite romain latin, mis à part des situations géographiques spécifiques, comme les Eglises orientales. Il s’agira dès lors de savoir si les prêtres attachés à la messe “de saint Pie V” voudront bien quelquefois concélébrer selon le rite conciliaire avec d’autres prêtres, et s’ils accepteront de se référer au même calendrier liturgique et aux mêmes lectures pratiquées chaque dimanche dans toutes les églises catholiques.
L’arbre et la forêt
Chacun sait aussi que les querelles liturgiques peuvent cacher des désaccords plus profonds sur l’idée de la foi et de l’Eglise que l’on se fait à travers ces différents rites. Les contempteurs de la messe tridentine y dénoncent un repli identitaire, tandis que les pourfendeurs de la messe conciliaire s’insurgent contre la perte du sens du mystère et du sacré.
Lesquels peuvent se prévaloir de la vraie Tradition ? Il n’existe pas à proprement parler de référence absolue et figée, car la liturgie a régulièrement épousé les évolutions théologiques et ecclésiales au fil des siècles. En acceptant d’ouvrir plus largement la porte au rite ancien, Benoît XVI veut pousser à une réconciliation définitive. Celle-ci pourrait alors se concrétiser par une demande des “lefebvristes” à Rome de lever les excommunications de 1988. Mais le Pape semble aussi penser que l’unité du troupeau devra se faire au prix d’une plus grande écoute de leurs récriminations. Lui-même, quand il était encore cardinal Ratzinger, n’avait-il pas ouvertement partagé en partie leurs critiques ? Ces concessions iront-elles jusqu’à accepter une “critique positive” de la forêt que cet arbre liturgique cache, autrement dit de Vatican II ? Certains s’inquiètent qu’une remise en cause de la réforme liturgique annonce celle d’autres avancées du Concile comme l’œcuménisme, le dialogue interreligieux ou la liberté religieuse. Car c’est là que se situait le fossé existant alors entre les Pères conciliaires et Mgr Lefebvre. Reste à vérifier si ce fossé existe toujours.
1) Lettre apostolique émise par le Pape à son initiative personnelle.
La messe dite « de saint Pie V » entérine le rite fixé par le concile de Trente en 1563, tandis que celle
“de Paul VI” a incarné en 1969 le renouveau liturgique du XXe siècle adopté par Vatican II. La « messe tridentine », célébrée en latin, met l’accent sur le renouvellement du sacrifice du Christ et l’adoration de la présence réelle. Le prêtre est toujours tourné vers l’Orient ou vers Dieu.
La « messe conciliaire », célébrée en langue vernaculaire ou en latin, met en valeur la Résurrection et la Parole de Dieu et utilise des textes de l’Ancien Testament.
Le prêtre est généralement tourné vers les fidèles qui participent plus visiblement à la liturgie.