Le rayonnement des Bénédictins
Comment est né l’Ordre des Bénédictins ?
À l’origine de la vie bénédictine se trouve un homme fascinant, Benoît, belle figure de sainteté, de sagesse, de foi, d’humilité. Né vers 480 à Nursie, dans le centre de l’Italie, il gagne à quinze ans la ville de Rome pour y étudier. Mais se sentant appelé à un don plus radical de lui-même à Dieu, il quitte un jour Rome et toutes ses promesses. Après un temps de retraite à Enfide, il s’enfonce encore plus dans la solitude et va mener la vie d’ermite dans une grotte à Subiaco, sur le bord d’un lac. Au fil des années, sa présence cachée se découvre aux habitants des environs : des disciples viennent se ranger sous sa conduite et bientôt douze monastères s’élèvent autour de lui. Cependant, la jalousie d’un prêtre du voisinage l’oblige à quitter Subiaco et Benoît s’en va de nouveau, avec quelques frères, pour une création nouvelle sur la hauteur du Mont-Cassin, cent kilomètres plus au sud, peut-être vers 529. C’est là qu’il rédige sa Règle des moines et qu’il meurt vers 547, un samedi saint 21 mars selon la tradition. Cent-vingt ans plus tard, son corps était emmené en Gaule et déposé à l’abbaye de Fleury, devenu dès lors Saint-Benoît-sur-Loire.
Pouvez-vous nous retracer les grandes étapes de l’histoire de votre Ordre ?
C’est grâce à sa Règle et à sa Vie, rédigée à la fin du VIe siècle par le pape Grégoire le Grand — un saint bénédictin — que la figure de Benoît sera connue dans toute l’Europe. À la fin du VIIIe siècle, Charlemagne souhaite unifier la vie monastique et, grâce à Benoît d’Aniane — encore un saint bénédictin — il impose la Règle de saint Benoît à tous les monastères de son Empire. À la fin du Xe siècle, se crée en Bourgogne l’abbaye de Cluny qui fonde des communautés dans toute l’Europe grâce à ses saints abbés (Odon, Mayeul, Odilon, Hugues). Au XIIe siècle, à la suite de saint Bernard de Clairvaux, des moines décident de mener une vie bénédictine plus simple et plus austère : c’est le début de la grande famille des Cisterciens et des Trappistes. Tout au long du Moyen Âge et de l’époque moderne, l’Ordre de saint Benoît alterne entre des périodes de relâchement et des moments de réforme, par exemple avec la congrégation de Saint-Maur fondée en France en 1618.
La Révolution française a abîmé l’Ordre. Comment est-il reparti au XIXe siècle ?
Une des premières décisions des révolutionnaires français fut d’interdire les vœux monastiques et de supprimer les congrégations religieuses. Des suites de la guerre, ces mesures atteignirent également la Belgique et la Suisse. Mais l’idéal monastique n’avait pas quitté le cœur de certains chrétiens, désireux de relever les abbayes ruinées. Ce fut parfois très rapide : dès 1803, des moines restaurèrent l’abbaye suisse d’Einsiedeln. Mais le principal renouveau de la vie monastique vint de la France avec Dom Guéranger à Solesmes, qui influença, entre autres, l’abbaye de Beuron, fondatrice de Maredsous en 1872.
De quand date la Règle de saint Benoît ? Sur quoi repose-t-elle ?
Il est difficile de le dire avec certitude, mais probablement de la dernière période de sa vie, quand Benoît est au Mont-Cassin, entre 530 et 547 environ. Elle témoigne en tout cas de sa maturité spirituelle et de son expérience de supérieur. La Règle de saint Benoît relève de plusieurs sources : l’Écriture Sainte en tout premier lieu, puis les Pères de l’Église et de la vie monastique (saints Basile, Augustin, Jean Cassien), la Règle du Maître (règle anonyme composée en Italie au début du VIe siècle et que Benoît retravaille), l’expérience personnelle de saint Benoît enfin. La Règle comporte 73 chapitres de longueur inégale, précédés d’un prologue tout spirituel qui en forme le porche et en donne la clef. Elle aborde successivement différents thèmes : les fondements de la vie monastique (l’abbé, l’obéissance, le silence, l’humilité), la prière (liturgique et personnelle), l’organisation interne (les biens, les repas, les horaires, le travail), le rapport au monde. Le génie de saint Benoît est d’enraciner la vie spirituelle dans le quotidien le plus ordinaire : pour lui, Dieu doit être cherché en toutes choses.
En France, Belgique et Suisse, quels sont les courants bénédictins ?
L’Ordre bénédictin est un grand arbre aux multiples ramifications. En 1893, le pape Léon XIII a décidé de les réunir en une grande famille, la confédération bénédictine, regroupant dix-neuf congrégations. En France sont implantées les congrégations de Solesmes (Saint-Wandrille, Ligugé...), de Subiaco Mont-Cassin (La Pierre-Qui-Vire, En Calcat...), du Mont-Olivet et de l’Annonciation ; en Belgique les congrégations de Subiaco Mont-Cassin (Affligem, Dendermonde...) et de l’Annonciation (Maredsous, Saint-André de Bruges) ; en Suisse, la congrégation helvétique (Einsiedeln, Mariastein...). L’abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire appartient à la province française de la congrégation de Subiaco Mont-Cassin.
Les réformes de l’Ordre ont elles fortifié les Bénédictins ? Quel lien avez-vous entre vous ?
Tout au long de son histoire, l’Ordre bénédictin n’a cessé de se réformer et de donner naissance à de nouvelles familles. Aujourd’hui, malgré des différences dans la liturgie, les observances, l’activité pastorale (certains monastères germaniques ont des paroisses, d’autres une tradition missionnaire, les monastères français sont uniquement contemplatifs), nous nous considérons comme des « cousins ». De nombreuses activités d’entraide existent : formation des jeunes frères, réunion des cellériers, des infirmiers...
Comment est née la devise Ora et Labora ?
Contrairement à une légende tenace, Ora et Labora ne remonte pas à saint Benoît, n’est pas présente dans la Règle et n’est même pas la devise de l’Ordre, qui est Pax. Elle est une manière commode de résumer les deux piliers de la vie monastique : « prie » et « travaille ». Si on suit de plus près la Règle, saint Benoît propose un autre parcours : obsculta (« écoute », prologue), dilige (« aime », chapitre 4), perfice (« accomplis », chapitre 73), pervenies (« tu parviendras », dernier mot). Un chemin ouvert à tous les baptisés !
Saint Benoît est le patron de l’Europe et de la chrétienté occidentale. Est-ce encore aujourd’hui l’Ordre avec le plus grand nombre de moines et moniales ?
Saint Benoît est le patron de l’Europe pour qu’il continue à intercéder pour cette terre où ses fils ont tant prié, travaillé, défriché et enseigné. Répartis aujourd’hui sur tous les continents, on dénombre environ 7 500 bénédictins et 15 000 bénédictines, plus nombreux que les Cisterciens (4 500 moines et 3 500 moniales). Quant aux chartreux, ils ne sont que 300 dans le monde. Mais bien plus que le nombre, c’est la sainteté, vécue discrètement et fidèlement, qui compte.