Le Père Nicolas Barré, minime et antonien
Né le 21 octobre 1621, à Amiens, brillant élève du collège des Jésuites, il entre au couvent des Minimes en 1640 et devient, en 1644, professeur de philosophie et de théologie au couvent parisien de la Place Royale, aujourd'hui Place des Vosges.
L'ordre des Minimes avait été fondé en Calabre (Italie du Sud), par saint François de Paule (1436-1507), lui-même disciple de saint François d'Assise, puisqu'il était entré, dès l'âge de 12 ans, dans une communauté de Franciscains Conventuels. Amoureux de la solitude, il devint ermite dans un petit local construit dans un champ de la propriété paternelle et son amour de la pauvreté et de la prière lui attirèrent bien vite des disciples. Partageant les souffrances des miséreux, trop souvent exploités par les puissants de ce monde, il reçut de Dieu des grâces exceptionnelles, à tel point que ses prières obtinrent des guérisons pour quantité de malades et d'infirmes. Le roi de France, Louis XI, en perçut les échos et obtint que son évêque lui donnât l'ordre de se rendre au château de Plessis-lez-Tours où il résidait habituellement. Le roi, malade nerveusement et physiquement, obtint, par ses prières, une complète guérison. C'est là que François de Paule mourut le 2 avril 1507, à l'âge de 58 ans. Ses disciples furent regroupés dans un ordre religieux, approuvé définitivement par Alexandre VI, en 1493, sous le nom de Minimes (les plus petits). Il fut lui-même canonisé en 1519.
Dans son couvent de Paris et en sa qualité de bibliothécaire, le Père Nicolas Barré a fourni une précieuse et abondante documentation au Père François Giry (1635-1688) pour son œuvre Les Vie des saints, publiée en deux volumes, en 1683 et 1685, maintes fois réédités, qui fit et fait encore autorité.
Fondateur de Congrégations
Le Père Giry et le Père Barré furent de grands admirateurs de saint Antoine de Padoue, comme nous le verrons. Mais cette admiration n'aurait guère laissé de souvenirs si le Père Barré s'était borné à prendre pour lui-même les leçons données par la vie de notre Saint. Il est encore aujourd'hui d'actualité grâce à deux Congrégations religieuses enseignantes, qu'il a inspirées et dirigées, et à trois autres dont il a été l'instigateur. Les deux premières s'appellent Sœurs de la Providence de Rouen (1666) et Sœurs du Saint-Enfant Jésus de Paris (1676), nommées naguère Dames de Saint-Maur. Les trois autres sont : la Providence de Lisieux, dont l'une des premières religieuses, Françoise Duval, fut disciple du Père Barré ; les Sœurs du Saint-Enfant Jésus de Reims, fondées par le bienheureux Nicolas Roland, lui-même béatifié en octobre 1994, et les Frères des Ecoles chrétiennes, fondés par saint Jean-Baptiste de La Salle en 1680.
Ses écoles, le Père Nicolas les voulait gratuites pour que les pauvres puissent y accéder aisément, et c'est sur elles qu'il comptait pour développer l'esprit chrétien, non seulement chez les enfants, mais encore chez leurs parents. Dans cette perspective, c'est le menu peuple qui était l'objet de ses attentions, celui dont, à son époque, peu de personnes, en dehors de saint Vincent de Paul et autres apôtres dévoués, se consacrèrent entièrement. Le Père Barré s'adonne donc de tout son cœur à ses écoles populaires. Il veut que ses disciples travaillent à la dilatation de leur cœur envers le prochain . Servir, aider, comprendre, aimer le monde des pauvres, voilà l'idéal qu'il se propose et qu'il propose à ses Congrégations.
Cela ne lui a pas empêché d'accueillir, dans la confession et la direction spirituelle, des personnages importants de la Cour de France. Cette proximité des riches et des hauts placés, sans préjudice pour son humilité et amour des pauvres, est une caractéristique de sa vie qui le rapproche de saint Antoine de Padoue et de son rayonnement universel.
Le Père Barré et saint Antoine
L'intérêt du Père Giry et du Père Barré pour saint Antoine se manifestèrent au grand jour dans Les Vie des saints que nous avons évoquées. Dix-sept grandes colonnes lui sont consacrées. Il est qualifié de très saint et très savant religieux . Les superlatifs abondent, dans le style du XVIIe siècle, au cours de la biographie : Son esprit, lit-on, était si élevé dans la contemplation des vérités divines qu'il joignait excellemment l'oraison mentale avec l'oraison vocale ; les enfants de saint François ne pouvaient assez bénir la bonté du Tout-Puissant de leur envoyer... un homme parfait et consommé pour servir de modèle...
Dans les Statuts et règlements pour les Maîtresses des Ecoles chrétiennes et charitables du Saint Enfant Jésus, rédigés par le Père Barré, la dévotion à saint Antoine est particulièrement recommandée. Il est nommé dans les Litanies des saints, récitées chaque dimanche. La lecture de sa vie est proposée aux Sœurs comme moyen de s'animer à la pratique des vertus qui l'ont spécialement marqué : détachement des richesses, humilité, zèle pour le salut des âmes, alimenté par une profonde compétence doctrinale, et l'esprit de prière.
C'est, d'ailleurs, un fils spirituel de saint François, la Capucin Henri de Grèzes, qui a publié la biographie fondamentale du Père Barré, point de départ des études ultérieures et en particulier de la documentation sur sa vie et ses vertus préparée en vue de sa béatification. Ce même Père de Grèzes avait publié, douze ans auparavant (1670), un Petit manuel de dévotion à saint Antoine de Padoue. Mais revenons au Père Barré.
Lorsqu'il demande à ses Sœurs de réciter les Litanies des saints tous les dimanches, c'est, dit-il, pour s'unir par ce moyen à toute l'Eglise triomphante et militante . Dans ses règles, il propose à ses membres de travailler à acquérir toutes les vertus remarquées dans les vies des saints, dont celle de saint Antoine, dans l'espérance d'être attirés de Dieu et élevés, par son Esprit Saint et sa grâce, à l'instruction du prochain, éclairant leur entendement, échauffant leur volonté et changeant leurs mœurs .
Dans la ligne de saint Antoine et de son désir du martyre, mais sans aller aussi loin, il voit dans les souffrances de la vie des occasions de montrer à Dieu son amour : Estimez les souffrances, les humiliations, les mépris, les contradictions, écrit-il à l'une de ses Sœurs, comme les choses les plus glorieuses de la vie et comme autant de moyens pour avancer dans le saint amour... Avec le temps, ces épreuves vous feront passer en Dieu.
Amour de Dieu, dévouement aux pauvres, volonté de les faire accéder à la culture dans la gratuité, voilà bien des éléments qui rapprochent le Père Barré de saint Antoine et font de lui, avec Jean-Baptiste de La Salle, un pédagogue, précurseur des temps modernes.
Yves Poutet
Frère des Ecoles chrétiennes
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Pour en savoir plus :
Nicolas Barré, Œuvres complètes, Le Cerf, 1994.
B. Flourez, Marcheur dans la nuit, Saint-Paul, 1992 (2e éd. 1994)