Le père Marie-Laurent Mourot « L’apostolat doit jaillir de la contemplation »
Devant l’étendue de votre secteur, comment faites-vous pour aller chercher ceux qui sont loin de l’Église ?
Mon secteur n’est pas très peuplé : il y a 12 000 habitants répartis sur trente villages. Mais je suis loin de connaître tout le monde car peu viennent à la messe. J’ai 150 paroissiens dans les trois principaux villages, ce sont de toutes petites assemblées. Sur les trente clochers, trois familles seulement viennent tous les dimanches. C’est très pauvre. Je responsabilise ces familles avec ce qu’ils ont envie de faire : je ne force pas. À mon arrivée, nous avions monté un groupe de louange. Tous les mois, village par village, on louait et adorait le Seigneur dans une église, éclairée à la bougie. Mais les gens ne revenaient pas. Alors, depuis deux ans, nous avons lancé des groupes de prière mensuels avec le chapelet chez les familles, entre 18h30 et 21h. Ce sont des foyers de personnes plutôt âgées, mais cela a pris un bel essor !
Vous privilégiez de rendre visite à vos paroissiens plutôt que de les réunir dans un lieu central…
J’ai une table ouverte toutes les semaines, mais ce sont toujours les mêmes qui viennent. Alors je vais à la pêche ! Mon organisation paroissiale est la suivante : tous les dimanches, je célèbre la messe dans chaque chef-lieu de canton : le samedi soir dans le canton le plus loin et le dimanche dans les deux cantons plus proches. En semaine, je consacre une journée à l’un des secteurs, et je reste un jour entier dans un village choisi dans le secteur pour trois mois. Pendant ce temps, j’essaie de connaître les gens, les lieux, voir les personnes malades et je monte un groupe de prière pour que, lorsque je reviens un an et demi plus tard, les gens continuent de prier, de sonner les cloches et d’entretenir leur église ! En 6 ans, il y a eu quatorze groupes de prière sur les trente clochers, réunissant entre deux à cinq personnes en moyenne. Elles se retrouvent tous les mois et parfois toutes les semaines ! Un village où il y a la prière, c’est comme s’il était doté d’un paratonnerre ; ça porte le village ! Quand vous êtes deux, vous n’êtes pas seul et ça c’est déjà un miracle ! Le Seigneur répond à notre persévérance et patience.
Quelles sont vos priorités face à l’ampleur de votre mission ?
Ce sont les jeunes ! Je me rends à toutes les activités de jeunes : l’aumônerie, le catéchisme — nous avons une trentaine d’enfants au catéchisme, ce qui fait en moyenne un enfant par village — et les jeunes confirmés. À partir de cette année, nous allons entrer dans les familles du catéchisme avec des temps de prière et de convivialité. Elles sont une vingtaine.
Mettez-vous en parallèle la désertification rurale et la désertification des paroisses ?
Même s’il y a une école pour six villages, les 30-50 ans ont disparu ! Les parents mettent leurs enfants au catéchisme, mais comme ils font du covoiturage, il y a un parent pour trois ou quatre enfants. Il est donc compliqué d’entrer en contact avec eux. Ce sont des personnes qui font baptiser leur enfant par tradition mais souvent n’ont pas été elles-mêmes au catéchisme. Quand je visite les familles, je réalise qu’il n’y a pas même une croix chez eux.
Arrivez-vous à mener tous les enterrements ? Ou devez-vous déléguer à des laïcs ?
Depuis très longtemps, quatre célébrants laïcs font cela de manière admirable. Pour les enterrements, si les gens veulent un prêtre, je suis disponible le mardi après-midi et le vendredi après-midi : je ne prends rien d’autre dans ces créneaux. Je vais quatre fois par an dans les maisons de retraite, pour les grandes fêtes. Il y a des aumôneries dans chaque maison de retraite et lorsqu’on me dit qu’une personne est en train de mourir ou a besoin du sacrement des malades ou de se confesser, je fonce !
Comment les laïcs vivent-ils cette pénurie de prêtres ?
Aujourd’hui, il n’y a pas de séminariste dans le diocèse de Bourges. Il y en a une dizaine pour toute la région Centre : Blois, Nevers, Limoges, Orléans, Tours, Bourges… Le Seigneur a toujours appelé, mais comment ces jeunes ont-ils été accompagnés pour qu’ils aillent jusqu’au bout ? Il y a eu un manque de relais à une époque.
Comment faire connaître Dieu et donner soif ?
Si j’arrive à faire découvrir que la prière est vitale et qu’elle est la respiration de l’âme, c’est merveilleux ! Je pense que le témoignage d’une vie paroissiale joyeuse est la base ! Si on a de l’élan, de la joie et de la ferveur, cela attire ! Le démon est puissant car les gens n’ont pas besoin de Dieu, sont endormis et n’ont pas soif… Mon grand souci est de réveiller les cœurs ! On joue notre vie éternelle !
Et pourtant vos idées ne manquent pas…
Oui, j’essaie tout : les vidéos, des petits livres, des prières, des images! On a une chaîne Youtube (Trésors de paroisse) où l’on retrouve des chants, des vidéos de pèlerinage, le mot hebdomadaire du curé. Pour la Fête-Dieu et le 15 août, on fait des grands parterres de fleurs dans les villages, comme en Italie ou au Portugal. Depuis dix ans, j’ai repris ce que Jésus a dit à sainte Marguerite-Marie Alacoque à propos de l’heure sainte entre le jeudi et le vendredi. Ainsi, dans un village situé au centre des trois paroisses, nous prions entre 23h et minuit tous les jeudi soir : 30 minutes en silence puis 30 minutes avec le chapelet. Il y a du monde à ce moment-là, c’est sidérant ! Je suis sûr que cela porte une fécondité extraordinaire !
Comment habitez-vous votre solitude ?
Je ne suis pas beaucoup seul ! Je recherche la solitude pour lire, me nourrir intellectuellement et me ressourcer dans la prière. L’apostolat doit jaillir de la contemplation. J’aime énormément le chapelet et je passe beaucoup de temps avec le Seigneur devant le Saint-Sacrement car c’est vraiment ma vie ! J’ai de très bons amis et suis bien entouré ! J’ai aussi monté une équipe de vie de prêtres avec qui nous nous retrouvons tous les mois et demi. Je vois également les quatre prêtres du doyenné une fois par mois. Donc je vois une équipe de prêtres tous les quinze jours en moyenne.
Quelles difficultés pastorales rencontrez-vous ?
Les distances kilométriques ! J’ai un rayon de 40 kilomètres sur 30. Quand on a un ou deux villages, on peut dans la même journée avoir un enterrement, rencontrer quelques personnes… mais quand on a trente villages, je sais que je ne reverrai pas ces habitants avant un an ce qui n’aide ni l’accompagnement ni à être proche des gens.
Quelles joies vous nourrissent au quotidien ?
Au-delà de la prière, c’est le contact avec les gens. Il y a peu de jours, je suis allée voir une femme de 101 ans, ancienne institutrice. Ayant la maladie d’Alzheimer et entendant mal, je lui prends la main et y dépose son chapelet. Elle s’exclame aussitôt : « Oh, merci, je peux le garder ? ». Elle était si heureuse ! Ce sont des joies profondes !