Le pari de la fraternité en actes
« Chaque jour, nous sommes confrontés au choix d’être de bons Samaritains ou des voyageurs indifférents qui passent outre. » Depuis les premiers instants de son pontificat, le pape François nous a habitués à ses phrases-chocs, percutantes, allant à l’essentiel en quelques mots. Mais si l’habitude est là, l’efficacité de ces formules directes demeure. Tirée de sa dernière encyclique, Fratelli tutti, publiée il y a tout juste un an, cette phrase – comme d’autres, d’ailleurs – pourrait résumer à elle seule l’ensemble de ce document magistériel que beaucoup tentent d’appliquer au quotidien.
Pour la deuxième encyclique véritablement écrite de sa main (la première du pontificat, Lumen fidei, est en réalité l’œuvre de son prédécesseur Benoît XVI), le pape François s’est une nouvelle fois inscrit dans les pas de celui dont il a choisi le nom pour son pontificat : saint François d’Assise. À la toute fin du texte, il est ainsi précisé : « donné à Assise, près la tombe de saint François, le 3 octobre de l’année 2020, veille de la fête du Poverello. »
Le message de l’encyclique est très clair : nous sommes chaque jour invités à faire le choix d’être un bon Samaritain, clef pour une vie « au goût de l’Évangile ». Et ce choix est d’autant plus nécessaire dans l’époque actuelle où les crises semblent s’enchaîner les unes aux autres, que ce soit la crise financière, la crise migratoire ou, bien sûr, la crise sanitaire liée au Covid-19. « Une tragédie mondiale comme la pandémie de Covid-19 a réveillé un moment la conscience que nous constituons une communauté mondiale qui navigue dans le même bateau », insiste le Pape.
Le père Maire, martyr de la fraternité
L’été dernier, un exemple poignant de cette vie « au goût de l’Évangile », d’une vie au style du bon Samaritain, a été donné par le père Olivier Maire, ce religieux français tristement tué – semble-t-il – par celui qu’il hébergeait. Alors que cet homme était rejeté par tous, le religieux lui a offert l’hospitalité, lui tendant la main. Et le tragique épilogue ne doit pas faire oublier que le père Olivier Maire a été avant tout un témoin – en grec, cela se dit « martyr » – de la fraternité. Comment ne pas voir dans sa vie la réponse aux paroles du Christ : « J’étais un étranger, et vous m’avez accueilli (…) j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi ! » (Mt 25, 35-36) ?
L’appel à la fraternité lancé par le Pape ne s’incarne toutefois pas forcément dans des épisodes si médiatiques et tragiques. Fidèle de la paroisse Saint-Leu-Saint-Gilles dans le premier arrondissement de Paris, Sophie a entendu cette demande de prendre conscience de ce « tous frères », cette fraternité commune. « L’encyclique est sortie peu avant que la France ne se confine une seconde fois, se souvient l’énergique quarantenaire. Même si je ne l’ai pas lue en intégralité, je l’ai comprise comme un appel à trouver un mode de fraternité et de resserrement des liens pendant ce nouveau confinement. » Membre du conseil paroissial, elle suggère alors de créer des groupes Fratelli tutti.
Dans cette paroisse « un peu atypique » car comptant peut-être plus de personnes seules que la plupart des autres paroisses de Paris, l’idée est aussitôt adoptée. Tandis que les uns et les autres doivent rester chez eux, deux groupes se constituent avec une petite dizaine de personnes chacun. Dans l’un, les membres s’appellent les uns les autres tous les jours, dans l’autre une conversation groupée a lieu chaque semaine. « Non seulement ce rendez-vous a permis de tenir pendant le confinement, mais il a également permis une édification mutuelle, en vivant ensemble les temps forts de la liturgie », se souvient Sophie.
Marie et son mari accueillent des migrants
Une perspective « missionnaire » a même émergé de ces groupes, des personnes revenant aux célébrations après avoir vécu en leur sein cette fraternité concrète. Ces groupes, témoigne sur le site internet paroissial un membre, sont « comme une porte qui s’ouvre quand le coronavirus ferme celles de l’Église. C’est comme les pèlerins sur la route qui partagent leurs bons et mauvais jours. » Des actions somme toute simples – toutefois relativement exigeantes – mais qui sont le reflet d’une autre affirmation du pape François, exprimée dans son exhortation Gaudete et exsultate (2018) : « La communauté qui préserve les petits détails de l’amour, où les membres se protègent les uns les autres et créent un lieu ouvert et d’évangélisation, est le lieu de la présence du Ressuscité qui la sanctifie selon le projet du Père ».
Pour d’autres, l’encyclique Fratelli tutti a été un véritable encouragement dans leur mission. Retraitée, installée dans le Pas-de-Calais, Marie et son mari accueillent des migrants voulant traverser la Manche pour des week-ends, le temps pour ces jeunes de s’éloigner pendant quelques heures de la rudesse de leur quotidien. « En lisant Fratelli tutti, je me suis dit que c’était bien de prêcher la bonne parole, s’amuse-t-elle, mais que le plus important était l’amour en actes. Cette encyclique nous rejoint particulièrement car nous trouvons beaucoup de joie dans cet engagement. » Et d’insister : « On se sent vraiment soutenus par le Pape ».
Déjà « bouleversée » par Laudato si’, la précédente encyclique du pape François, Marie confie avoir été particulièrement émue par les passages de Fratelli tutti affirmant que « l’Église est une maison qui a les portes ouvertes » - ce qu’elle essaye de faire avec son mari en ouvrant sa maison à ceux qui n’en n’ont pas. Et comme celui du père Maire, de Sophie et de tant d’autres, l’exemple de Marie permet de donner une réalité incarnée à une autre parole du pape François, reprise de saint François de Salles : « le bien ne fait pas de bruit ».