Le paradis pour tous !

25 Novembre 2015 | par

Heureux télescopage et clin d’œil de la Providence : le Jubilé de la Miséricorde, qui s’ouvre ce 8 décembre, coïncide pratiquement avec l’année du huitième centenaire de l’indulgence de la Portioncule (1216-2016). Retour sur l’histoire d’une folle initiative de François d’Assise !

 

« Nous qui avons été avec le bienheureux François, nous rendons témoignage qu’il affirmait avec conviction de cette église Sainte-Marie-des-anges de la Portioncule – à cause des nombreuses prérogatives que le Seigneur manifestait là et parce qu’en ce lieu il lui fut révélé –, qu’entre toutes les autres églises de ce monde que la bienheureuse Vierge chérit, elle chérissait particulièrement cette église » (Compilation d’Assise, 56). Sous la plume de frère Léon (il a l’habitude de commencer ses phrases ainsi : « Nous qui avons été avec lui... »), nous saisissons pourquoi toute sa vie François a éprouvé « la plus grande révérence et dévotion » envers cette petite chapelle, « mère et tête des pauvres Frères mineurs ». Mais qu’entend-il exactement par ces « nombreuses prérogatives » que le Seigneur manifeste en ce lieu ? Peut-être s’agit-il d’une discrète allusion à l’« indulgence de la Portioncule ».

 

L’indulgence

Reconnaissons-le : les indulgences ne nous sont pas familières. De plus, l’indulgence dite de la Portioncule n’est pas mentionnée par les plus anciennes sources franciscaines. Essayons néanmoins de dépasser cette double difficulté. Rappelons-nous tout d’abord que les péchés « non seulement détruisent ou blessent la communion avec Dieu, mais compromettent l’équilibre intérieur de la personne et son rapport ordonné avec les créatures. Pour une guérison totale, il ne faut pas seulement le regret et la rémission des fautes, mais aussi une réparation du désordre provoqué » (Catéchisme de l’Église catholique). C’est ce temps nécessaire de réparation que vient raccourcir ou abolir totalement « l’indulgence » octroyée par l’Église. Pour l’obtenir, le pécheur doit effectuer une démarche pénitentielle, dont la forme a varié au cours du temps. Au Moyen Âge, seul un grand pèlerinage (à Jérusalem ou Compostelle) ouvre droit à l’indulgence. Une démarche coûteuse, dont beaucoup de fidèles se trouvent naturellement exclus. François ne peut se satisfaire de cette situation. Il considère que l’Église pourrait davantage puiser dans son trésor de mérites accumulés par le Christ et les saints – et donc accorder plus largement l’indulgence.

 

L’indulgence de la Portioncule

Une nuit de 1216, alors qu’il est en prière, François comprend que Jésus et sa Mère l’attendent à l’intérieur de la Portioncule. Ayant entendu le Seigneur lui dire : « Demande ce qui te plaira pour le salut des hommes », le Poverello n’hésite pas une seconde : « Moi pauvre et misérable pécheur, je vous supplie de concéder au genre humain la grâce suivante : accordez à quiconque viendra en ce lieu et entrera dans cette église, le pardon et l’indulgence de tous les péchés qu’il aura confessés à un prêtre et pour lesquels il aura reçu la pénitence. Et je supplie la bienheureuse Marie de daigner appuyer ma requête ». Marie s’exécute et Jésus reprend : « Ce que vous demandez frère François est bien grand. J’exauce donc votre supplique ; cependant, il vous faut aller trouver mon vicaire, Honorius III, actuellement à Pérouse, et lui demander de ma part la dite indulgence ».

Le lendemain, François, avec frère Massée, se présente au Pape qui après s’être fait tirer l’oreille finit par concéder l’indulgence, une journée par an, à qui entrera dans la Portioncule, le cœur contrit après une bonne confession. Satisfait, François s’en retourne aussitôt, mais le Pape le retient : « Oh simplet, où vas-tu ? Quelle attestation emportes-tu de cette concession ? » Mais François ne se démonte pas : « Saint Père, votre parole me suffit ; si c’est l’œuvre de Dieu, il aura soin de la manifester. Je ne veux point d’autre document que la bienheureuse Vierge Marie comme charte de la concession, Jésus Christ comme notaire, et les anges comme témoins ». Plus tard, alors que François retourne à la Portioncule y déposer des roses sur l’autel, Jésus et Marie lui apparaissent à nouveau, et fixent la date de l’indulgence : à partir des vêpres du 1er août jusqu’aux vêpres du lendemain.

Par la suite, le Poverello retourne voir le Pape qui demande alors aux évêques d’Ombrie de « publier l’indulgence » pour la faire connaître au peuple de Dieu. Réunis à Assise, près de la Portioncule, sur une estrade en bois, les évêques y font monter François et lui demandent de prêcher. Selon un témoin, le saint tient un papier en main et dit : « Je veux vous envoyer tous au paradis ; je vous annonce une indulgence que j’ai obtenue de la bouche du souverain pontife, et vous tous qui êtes venus aujourd’hui, et tous ceux qui viendront annuellement en ce jour, avec un cœur bien disposé et bien contrit, vous gagnerez une indulgence de tous vos péchés ». 

Ce récit du don de l’indulgence nous est connu par un évêque d’Assise du début du XIVe siècle. S’il ne figure pas dans les sources primitives, il correspond bien à la personnalité du Petit Pauvre. Oui, François nous veut tous au paradis, y compris les plus misérables d’entre nous. C’est pourquoi les frères auront l’audace d’écrire au-dessus de la porte de la Portioncule : « Haec est porta vitæ æternæ, cette porte est la porte de la vie éternelle ! ». Le succès ne se fait pas attendre. Chaque 2 août, fête de Notre-Dame des Anges, les foules se pressent à la Portioncule pour « gagner » l’indulgence plénière. Et cet extraordinaire privilège a désormais été étendu à toutes les églises franciscaines.

 

La miséricorde pour tous

Une même inspiration sous-tend manifestement l’indulgence de la Portioncule et le Jubilé de la Miséricorde. Dans la « bulle d’indiction » (c’est-à-dire le texte d’annonce du jubilé), le Pape écrit notamment : « La miséricorde sera toujours plus grande que le péché, et nul ne peut imposer une limite à l’amour de Dieu qui pardonne ». Et plus loin : « combien je désire que les années à venir soient comme imprégnées de miséricorde pour aller à la rencontre de chacun en lui offrant la bonté et la tendresse de Dieu ! Qu’à tous, croyants ou loin de la foi, puisse parvenir le baume de la miséricorde comme signe du Règne de Dieu déjà présent au milieu de nous ». Si le Poverello nous veut tous au paradis, le Pape souhaite tous nous réconcilier avec Dieu. « La miséricorde de Bergoglio fait scandale dans l’Église », écrivait récemment dans La Croix Enzo Bianchi. La famille franciscaine, en raison même du désir fou de François (« Je veux vous envoyer tous au paradis »), ne peut que soutenir vigoureusement les initiatives audacieuses d’un pape qui veut la miséricorde pour tous ! 

 

Updated on 06 Octobre 2016