Le Mont Saint-Michel, trésor de l’humanité
Quel que soit notre degré de croyance, un sanctuaire est un lieu où l’on ne peut s’empêcher de ressentir quelque chose d’extraordinaire. Les 2,5 millions de pèlerins et visiteurs qui gravissent chaque année les ruelles escarpées du Mont Saint-Michel sont nombreux à connaître le choc spirituel qui succède au choc visuel qu’on éprouve à la découverte de ce site, le plus visité de France hors région parisienne.
Avant de devenir un haut-lieu de la chrétienté, le Mont Saint-Michel fut un simple caillou qu’on appelait le Mont-Tombe, s’élevant au milieu d’une baie sablonneuse d’environ 500 km2 entre Granville et Cancale, à l’embouchure du Couesnon. Cette baie se caractérise par l’ampleur de ses marées, parmi les plus fortes du monde. Pendant les plus grandes marées basses, la mer recule à 18 km du Mont et la légende voudrait qu’elle remonte à la vitesse d’un cheval au galop.
C’est à partir d’un texte rédigé au IXe siècle, la Revelatio, que la tradition a cependant fixé au 16 octobre 708 l’apparition de l’archange saint Michel à l’évêque d’Avranches, Aubert. Par trois fois, durant son sommeil, l’archange lui a enjoint de fonder un sanctuaire sur le Mont. Devant ses hésitations, à sa troisième apparition, l’archange va jusqu’à enfoncer le crâne d’Aubert avec son doigt pour que celui-ci s’exécute enfin. Un second texte, la Translatio raconte que le squelette d’Aubert aurait été retrouvé vers 1022, pourvu d’un crâne troué au niveau de l’os pariétal, actuellement conservé à la basilique Saint-Gervais d’Avranches.
Quelques évènements providentiels firent suite à cette apparition, dont une source d’eau douce jaillie miraculeusement de la pierre, à l’emplacement de l’actuelle fontaine de saint Aubert. Après un nouveau songe, Aubert envoya deux moines chercher au sanctuaire du Mont Gargano en Italie, des reliques de l’archange qui y était apparu dès la fin du Ve siècle.
La Merveille de l’Occident
La dévotion envers l’archange Michel parcourt tout le haut Moyen Âge en Europe de l’Ouest et se concrétise par la construction de lieux de culte sur des sites escarpés. Michel, l’un des trois anges cités dans les écrits canoniques, est vénéré en tant que défenseur du peuple chrétien, représenté en guerrier combattant démons et ennemis de l’Église.
Le sanctuaire fut terminé et dédié à saint Michel le 16 octobre 709, sous le nom de Mont Saint-Michel-au-péril-de-la-mer. Aubert y installe alors un chapitre de douze chanoines qui sont remplacés en 966 par une communauté bénédictine venue de l’abbaye de Saint-Wandrille, comme il est raconté dans le troisième récit fondateur du Mont, l’ Introductio monachorum.
Ces moines bâtissent une première église, Notre-Dame-sous-Terre (située aujourd’hui sous la nef de l’abbatiale), puis, entre 1060 et 1080, l’église abbatiale, chef-d’œuvre de l’art roman, complétée dans le style gothique. En 1204, le monastère est ravagé par le feu et sa reconstruction donnera naissance à l’ensemble architectural connu sous le nom de « Merveille », classé au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1979.
Le cloître, terminé en 1228, est une œuvre d’art unique, tant par sa structure que sa décoration, dont la fonction première est de favoriser la méditation des moines qui peuvent apercevoir la mer depuis de petites ouvertures sur la galerie nord. La configuration du site, si exigu, interdisait de disposer les bâtiments monastiques autour du cloître, selon le schéma classique. C’est donc sur trois niveaux que va s’élever la Merveille, une pousse technique qui culmine à 35 mètres de hauteur, épaulée par seize puissants contreforts.
Au rez-de-chaussée, on trouve le cellier pour le stockage des denrées et l’aumônerie, lieu d’accueil des pèlerins. Au 2e étage, la salle des hôtes et ses imposantes cheminées, réservée aux invités de marque, ainsi que la salle dite « des chevaliers ». Le dernier niveau comprend le cloître et le réfectoire des moines.
Des manuscrits accessibles au plus grand nombre
Dans la salle des chevaliers se trouvait le scriptorium où travaillaient les moines copistes et enlumineurs qui ont assuré le rayonnement intellectuel de l’abbaye jusqu’à la fin de l’Ancien régime. C’est ici qu’un moine d’origine grecque, Jacques de Venise, traduisit Aristote du grec au latin, ouvrant la voie à la pensée théologique médiévale. Depuis 2006, le musée du Scriptorial d’Avranches expose nombre de ces manuscrits, où ils sont conservés depuis 1791. Et désormais, on peut en feuilleter près de 200 sur internet.
À la Révolution, le Mont Saint-Michel devint une prison où furent enfermés de nombreux prêtres réfractaires. En 1863, la prison est fermée et le Mont est classé monument historique, ce qui permet l’essor du tourisme et des pèlerinages modernes, sous l’ombre tutélaire de la statue de saint Michel menaçant le dragon, installée en 1897.
En 1966, pour le millénaire de l’arrivée des Bénédictins, quelques moines revinrent au Mont, encouragés par Malraux. En 2001, le relais est pris par les Fraternités monastiques de Jérusalem, une communauté habituée à vivre près des foules modernes. Et dans l’abbatiale, les visiteurs continuent à déposer les mêmes intentions de prière — pour un malade ou un disparu — que leurs prédécesseurs médiévaux, en y trouvant comme eux, quelque chose qui les dépasse.