Le Kosovo, une terre antonienne

Allons à la découverte du pays le plus jeune d’Europe, du point de vue géographique et en terme d’âge. Pourtant, ici, la dévotion antonienne est bien enracinée et profonde, liée à l’identité nationale et elle ne concerne pas que les catholiques.
22 Février 2017 | par

Sur l’écran de mon smartphone s’affiche : « Bienvenue en Slovénie ». Mais où suis-je arrivé ? J’étais sûr d’avoir atterri au Kosovo… Eh bien, ce pays balkanique situé entre l’Albanie et la Serbie, entre la Macédoine et le Monténégro, qui est indépendant depuis huit ans seulement, n’a pas de compagnie téléphonique propre. Pour les téléphones fixes, nous sommes en Serbie… ce qui est compliqué car la Serbie ne reconnaît pas l’indépendance de son ancienne province. 115 des 193 pays des Nations unies le reconnaissent, contrairement à la Serbie, la Russie, la Chine et aussi 5 pays de l’Union européenne (Espagne, Grèce, Slovaquie, Roumanie et Chypre). Toutefois le Kosovo existe bien.

Je roule sur la nouvelle autoroute qui relie Pristina à Tirana pour aller à Gjakovë, rendre visite à Shën Ndout, saint Antoine et ses frères.

On ne peut oublier qu’ici, en 1999, pendant trois terribles mois, a eu lieu la dernière guerre du XXe siècle, la guerre des Balkans. Entre guérilla indépendantiste et armée serbe. 800 000 Albanais du Kosovo en fuite, une féroce épuration ethnique, l’intervention de l’Otan, 78 jours de bombes sur la Serbie.

Une petite guerre parfaite… qui fut loin de l’être : 13 000 victimes dont la plupart étaient des civils albanais, 20 000 femmes violées, des milliers de personnes portées disparues, dont 1 600 n’ont jamais été retrouvées. Enfin, un accord désespéré qui établit le contrôle de l’Onu sur le pays. C’est la sécession du Kosovo, contre-exode de la minorité serbe.

Ce pays compte un peu plus d’1 800 000 habitants dont un tiers est constitué d’enfants de moins de 14 ans ; 54 % de la population a moins de 29 ans. Il y a 60 % de chômeurs, 95,6 % de musulmans et seulement 2,2 % de catholiques (un peu moins de 70 000). Pourtant, c’est aussi le pays de sainte Mère Teresa, née dans l’actuelle Macédoine, mais dont la mère était du Kosovo

 

Le Saint de Gjakovë

J’ai besoin de me souvenir de tous ces chiffres et de l’Histoire alors que j’arrive à Gjakovë. C’est une ville catholique au sens où, ici, on trouve des villages complètement catholiques, et 6 000 fidèles pour 100 000 habitants.

Trouver l’église consacrée à saint Pierre et saint Paul est bien facile grâce à son double clocher qui mesure 65 mètres de haut. En face de la grande église, derrière un portail, voilà la kisha e Shën Ndout, le petit sanctuaire de saint Antoine. Et juste à côté, le couvent où vivent quatre frères. 

À Pristina, quelques jours plus tard, Lush Gjergji, 67 ans, le vicaire de l’évêque m’explique : « Saint Antoine est ici le saint le plus populaire. Il est vénéré par les catholiques, mais même les musulmans lui adressent leurs prières. Les Franciscains n’ont jamais abandonné le pays, ils ont résisté à cinq siècles d’occupation turque. Ils ont défendu la langue et la culture albanaise. Et le peuple le sait bien. »

Ndue Antonio Kajtazi, 48 ans, est le recteur du sanctuaire. Il sourit en m’offrant du raki, une eau-de-vie forte produite dans ses campagnes. « Saint Antoine – dit-il – est le numéro un. Nous avons grandi en le priant. Il est l’ami capable d’écouter toutes les prières. »

C’est un frère franciscain de Trente (Italie), Emilio Gabos, qui dans la seconde moitié du XIXe siècle, a bâti ici la première chapelle dédiée à saint Antoine. En 1931, avec des dons offerts par des catholiques et des musulmans, il a été possible de construire le sanctuaire qui, le mardi (jour de saint Antoine), voit un va-et-vient incessant de fidèles. Des hommes, des femmes, jeunes, vieux, arrivent jusqu’au coucher du soleil. Ils allument des bougies, laissent une offrande. 

Abnora, 26 ans, vient de Zym, un village sur les collines où elle habite à côté d’une grande église et est enseignante d’histoire de l’art à Prizren. « On dit que saint Antoine accomplit treize miracles par jours, alors on va lui rendre visite, on va lui parler. Peu importe si on est catholique ou musulman. » Entre mars et juin, pendant les treize mardis de saint Antoine, à Gjakovë, des milliers de pèlerins arrivent. La moitié des gens originaires de cette région habite à l’étranger, mais saint Antoine est une bonne raison pour retourner à la maison.

Antoine a choisi un beau pays où être aimé. 

Updated on 22 Février 2017
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