Le drame de la faim
En novembre dernier a eu lieu, à Rome, le sommet mondial de l’alimentation. A cette occasion, le Conseil pontifical Cor Unum a publié un document au titre significatif: La faim dans le monde. Un défi pour tous: le développement solidaire. Il s’agit d’une analyse sévère du drame qui frappe plus de 800 millions de personnes dans le monde; mais également d’une invitation à rechercher les causes et les remèdes du mal, autrement que dans le jeu de l’économie ou de la politique. Une réflexion propice pour ce temps de carême, à la veille du Jubilé de l’An 2000.
Cor Unum (un seul cœur), est chargé de coordonner, au sein de l’Eglise catholique et dans le monde, les initiatives en faveur des victimes des catastrophes naturelles et pour le développement. Le document qu’il vient de publier: La Faim dans le monde. Un défi pour tous: le développement solidaire, est destiné aux catholiques du monde entier, aux responsables nationaux et internationaux qui ont compétence et responsabilité en ce domaine; il concerne aussi toutes les organisations humanitaires et tout homme de bonne volonté et demande à être largement connu. Mais comment le traduire à l’intention de nos lecteurs habituels ?
Cette traduction pose en effet un double problème, de langage et de contenu.
Rédigé par des experts en économie et dans les problèmes du développement, le texte comporte des exposés techniques où alternent le souci d’informer de manière exhaustive et la préoccupation de transmettre le message au plus grand nombre de destinataires possible. Un équilibre difficile à tenir dans un sujet qui émeut l’opinion - chaque image de famine ou de malnutrition, vue à la télévision, nous touche et nous révolte - mais dont la vraie solution nous échappe.
Le contenu religieux
Un document de cette importance ne peut se limiter à de simples constats économiques ou politiques du mal : il doit en déceler les causes profondes et indiquer des remèdes qui entraînent à l’action. Ce document provoque chacun à prendre ses responsabilités, mais on a parfois l’impression que les solutions envisagées buttent sur deux obstacles :
– d’une part les notions théologiques, telles que providence, biens terrestres, conversion, amour du prochain, structures de péché, qui ne font pas nécessairement partie du langage quotidien;
– d’autre part, le souci de présenter la doctrine sociale de l’Eglise comme la solution idéale, sans que les esprits soient progressivement préparés à la recevoir. Pour preuve, les pages 37-39 invitent à rechercher les remèdes du mal dans les dimensions éthiques du phénomène – capacité de tous à se rendre mutuellement service, recul des corruptions de toute nature, possibilité de chacun de coopérer au développement du bien commun par la justice sociale, la solidarité, la paix, le respect de l’environnement – mais doivent constater que l’ensemble de l’enseignement social de l’Eglise risque d’être accueilli avec scepticisme ou même avec cynisme, car l’activité de bien des responsables se situe dans un environnement dur, parfois cruel, générateur d’angoisse et d’un culte du pouvoir qui cherche à se maintenir. Et ces mêmes responsables peuvent être tentés de considérer les questions éthiques comme des handicaps.
Voici donc un guide de lecture pouvant aider à le lire, à le comprendre et en tirer le profit que l’Eglise elle-même attend d’un message aussi urgent, pertinent et courageux.
La réalité de la faim
Un premier chapitre met sous nos yeux la réalité de la faim. Mais lorsqu’on parle de la faim, précise le document, il faut distinguer entre famine et malnutrition.
La famine dégrade la personne et provoque la mort dans la déchéance. Des exemples récents en Ethiopie, au Cambodge, au Rwanda, en Haïti... l’ont tragiquement montré, et à une époque où l’homme a la possibilité de faire face aux famines, de telles situations constituent un véritable déshonneur pour l’humanité.
La malnutrition est plus répandue que la faim et entraîne, de nos jours, la diffusion de maladies infectieuses et une mortalité accrue dans les 42 pays les plus pauvres du monde. Aussi les principales victimes sont-elles les populations les plus vulnérables tels que les enfants et les vieillards.
A la famine et à la malnutrition, il convient d’ajouter l’insécurité alimentaire qui, elle, peut provoquer la famine et la malnutrition.
Les causes du drame
Le deuxième chapitre analyse les causes du drame de la faim. Elles sont à la fois économiques, socioculturelles, politiques et morales.
Causes économiques. Les causes plus visibles de la faim sont la baisse du pouvoir d’achat des populations et la dette des pays en voie de développement. La première est due aux mauvaises gestions politiques et économiques, aux structures peu efficaces et à des comportements regrettables au plan moral, comme la recherche de l’argent, la perte du sens de service de la communauté et la corruption dont aucun pays ne peut se targuer d’être à l’abri.
La dette des pays pauvres envers les pays riches prive des pays entiers des bénéfices du commerce international et pèse lourdement sur leur économie, au point que le Pape lui-même, dans son discours au sommet mondial de l’alimentation, a demandé une réduction importante et même un effacement total de la dette internationale qui pèse sur le destin de nombreuses nations.
Causes socioculturelles. Tabous alimentaires, statut social et familial de la femme, son influence réelle dans la famille, carence de formation des mères aux techniques de la nutrition, analphabétisme, maternités précoces, précarité de l’emploi, chômage: voilà autant de causes liées aux traditions et aux manières de vivre locales.
Causes politiques. La privation de nourriture est souvent employée comme arme politique ou militaire. Staline imposa une telle privation aux pays ukrainiens vers 1930; dans les années 70, elle fut employée comme arme contre la sécession politique du Biafra; dans les années 80, ce fut le cas des déplacements de populations en Ethiopie; plus près de nous, Sarajevo fut privé de nourriture par la prise en otage des mécanismes de l’aide humanitaire.
Parmi les causes politiques, il ne faut pas oublier les embargos imposés, par exemple, à Cuba ou à l’Irak. Une forme de pression que le Pape lui-même demande de remplacer par des instruments plus pauvres.
Pour une aide efficace Le troisième chapitre appelle à la solidarité et aux actions susceptibles de résoudre le grave problème de la faim dans le monde. La plupart de ces actions concernent les responsables politiques et les spécialistes de l’économie mondiale, les solutions efficaces et durables étant aux mains de ceux qui détiennent le pouvoir. Quelque chose est cependant possible à notre niveau, lorsque nous nous intéressons au problème de la faim; lorsque nous portons notre attention vers ceux qui souffrent; lorsque nous entretenons en nous l’amour des autres; lorsque en ce temps de Carême, nous acceptons de nous priver de quelque chose pour le donner à un organisme humanitaire: Secours Catholique, CCFD (Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement), Société de Saint-Vincent-de-Paul, Croix-Rouge, Caritas locales ou, pourquoi pas, notre Caritas Antonienne. Ces organismes nous sollicitent au niveau des diocèses, des paroisses et par des campagnes nationales. Ils nous renseignent et orientent notre aide vers les besoins urgents des populations les plus démunies. Cette année, le thème de la campagne de Carême du CCFD est: Vers des sociétés plus justes. Pour conclure cette brève présentation, il suffira d’évoquer le regard de foi qui préside à toute action du chrétien et que le document inscrit dans le chemin de conversion du prochain Jubilé. Le chrétien cherchera à rapporter son action, quelle qu’elle soit, à Celui (le Christ) qui nous parle directement au cœur, par la bouche de chaque pauvre... Il devra veiller à ce que son action personnelle et celle de ses frères chrétiens restent inspirées par la Parole de Dieu... en union avec l’Eglise. La communauté dans l’action doit être une communauté avec le Seigneur... Le chrétien trouvera son appui dans la prière de la bienheureuse Vierge Marie, priante et agissante dans un mouvement de service sans réserve de Dieu et des hommes. Rappelons enfin que le Sommet mondial de Rome a pris l’engagement de réduire de moitié (c’est-à-dire à 400 millions) le nombre de personnes sous-alimentées dans le monde, au plus tard en 2015. Engagement bien timide, commente Claude Baerhel, Secrétaire général du CCFD, alors que les expert disent qu’il est possible de nourrir aujourd’hui et demain toute la population mondiale, à condition d’assurer une juste répartition de la production et de la distribution des denrées alimentaires. |