Le début du voyage
Nous sommes en 1220. La scène se situe aux alentours de Coimbra, dans le centre du Portugal. L’été n’a pas encore cédé sa place à l’automne. Bientôt, la vie tranquille et régulière du couvent augustin de Santa Cruz, faite de prière et d’étude de la Bible, connaîtra un bouleversement : un évènement susceptible de chambouler la vie des moines de la communauté. Ces derniers n’imaginent sans doute pas encore qu’ils vont devenir d’un instant à l’autre les témoins privilégiés d’un fait extraordinaire.
Appartenant à une famille noble et doté de grande intelligence, l’un d’entre eux, un certain Fernand, annonce soudain qu’il s’apprête à quitter l’ordre augustin : il souhaite devenir frère mineur. Le couvent de Coimbra accueille depuis peu les dépouilles de frères franciscains, rapportées depuis peu du Maroc où ils ont récemment été martyrisés. Cet épisode a profondément frappé tout les habitants de ce cloître, en agitant les consciences et en réchauffant la foi tiède de certains frères.
Un éloignement pas suffisant
Fernand est alors un jeune en recherche. S’il sait à peu près dans quelle direction diriger sa vie, si le dessin général est bien présent, ce qui lui manque ce sont les détails. L’introduction et le sommaire de sa vie sont en bonne partie déjà écrits. Désormais, comment avancer ?
Il est vrai que les premiers chapitres — pour rester sur la métaphore littéraire — sont rédigés : depuis quelque temps déjà, le jeune Fernand a quitté sa maison et sa famille, habitant à Lisbonne, la capitale du royaume, pour rejoindre une autre famille, celle des Augustins, dans un monastère situé dans cette même ville.
Mais finalement, ce retournement de situation ne semble pas si définitif que cela. Devait-il s’éloigner davantage du monde qu’il avait quitté ? Ne suffisait-il pas de choisir une seule fois ? Faut-il le faire plusieurs fois ?
Le voilà alors déménageant à Coimbra : Fernand se remet en marche. Le monastère de Santa Cruz lui semble maintenant être le bon choix… Il le sera quelques années seulement, c’est-à-dire jusqu’au jour fatidique où le calendrier nous conduit, à partir duquel nous sommes partis quelques lignes plus haut.
Tout quitter pour « Sœur pauvreté »
On dirait que la route appelle notre Fernand. Quelque chose devant lui s’est remis en marche. Cet appel n’est pas dû uniquement au choc des proto-martyrs franciscains tués en haine de la foi dans les terres des infidèles, cela n’aurait pas été suffisant. Fernand connaissait déjà bien un autre groupe de frères mineurs qui campaient dans la campagne de Coimbra, parmi les oliviers, autour de la petite église Santo-António-dos-Olivais.
C’est justement chez ces derniers, habillé comme eux d’une simple bure et les pieds nus, que Fernand déménage. La stupeur est générale. Bon nombre de ses anciens confrères n’arrivent pas à comprendre que l’on puisse abandonner le cloître, la bibliothèque, l’église de l’abbaye, quitter la sécurité et l’aisance pour « Sœur pauvreté ».
C’est ainsi que pour nous tous naît… saint Antoine ! Il aura toutefois encore beaucoup de chemin à parcourir avant de devenir « de Padoue » : Dieu lui fera faire et défaire ses bagages maintes fois !
Mais nous, en partant de cet anniversaire qui commémore les 800 ans du passage d’Antoine des Augustins aux Franciscains, nous désirons le suivre pas après pas dans son errance : physique — pédestre — de son Portugal natal à la Sicile, en passant par le Maroc, pour arriver enfin à Assise, en mai 1221.
Nous voulons l’interroger et lui demander de nous accompagner, plus que jamais, sur les routes parfois tordues de nos vies. Pour cela, un mois sur deux, ces pages seront dorénavant consacrées au chemin de saint Antoine.