Le blanc: de la lessive au lave-linge

01 Janvier 1900 | par

Les dernières guirlandes des sapins sont à peine rangées dans des cartons, et déjà, la fête reprend dans les magasins. Mais c’est une réjouissance d’un autre type qui nous est proposée. Après le temps des cigales et des réveillons, voici le temps du blanc pour la ménagère-fourmi qui sommeille en chaque femme.
Le blanc ? Une vieille tradition marchande que Zola évoquait déjà dans son roman Au Bonheur des Dames. Aujourd’hui, la coutume demeure. Après les fêtes, nous avons droit à la grande quinzaine du blanc ; « des prix avantageux, des lots vendus avec une réduction de 20 à 30 %, attirent toujours la clientèle », affirme Mireille, responsable de rayon dans un grand magasin dans une ville moyenne.

Du blanc et des couleurs
«Le blanc, dit le dictionnaire, c’est le linge de maison blanc ou qui supporte le même type de lavage». Nécessaire précision car le linge de maison aujourd’hui a définitivement cessé d’avoir exclusivement la couleur de son nom. Tout est possible désormais : le blanc comme le noir, mais aussi tous les coloris imaginables, des plus pastels aux plus toniques, des unis aux rayés, aux quadrillés, aux imprimés. Tout ceci n’en demeure pas moins du blanc ! Qui doit répondre à une seule obligation : être lavable comme du blanc!
Quel bonheur de flâner dans le rayon du linge de maison, de regarder, de toucher les tissus, de se laisser tenter par quelques achats. Chacune s’efforce de réserver un petit pécule pour renouveler ou compléter le contenu de son armoire à linge, qui est parfois une simple étagère – qu’importe –; un rangement harmonieux, un sachet de lavande donnent bien du plaisir! «Cela me faisait rire de voir ma mère consacrer tant de temps à l’entretien et au rangement du linge. Quand elle avait fini, elle regardait, longuement, satisfaite. Et bien aujourd’hui, je me surprends à en faire autant après quelques mois de rangement en vrac», confie Mylène, 29 ans.

Le linge tourne dans la maison
Le linge de maison, ont remarqué les sociologues, circule beaucoup dans la maison, et ceci, de façon tout à fait ritualisée : du lieu de rangement lorsque qu’il est propre, plié, repassé, au lieu d’usage : chambre à coucher, salle de bains, salle de séjour ou cuisine, selon qu’il s’agit de draps, de serviettes de toilette, de nappes ou de torchons. Une fois utilisé, un nouveau périple commence : du lieu de stockage du linge à laver, au lieu de lavage, puis de séchage et enfin de repassage, avant le retour à l’armoire! En attendant la mise en route d’un nouveau cycle...
Cela semble simple ? Moins qu’il n’y paraît ! Dans son livre, Le Cœur à l’ouvrage, théorie de l’action ménagère, Jean-Claude Kaufman s’arrête sur le cas du lave-linge: «Seulement deux pièces sont raccordées à l’eau courante: la cuisine et la salle de bains. Le lave-linge doit nécessairement y trouver sa place. Or la sensibilité de l’époque le rend de plus en plus intolérable en ces lieux (...). Pourtant chacun finit par trouver une place, et très vite à s’y habituer, ne maintenant son indignation que pour le choix adverse (mais) la cuisine est en train de perdre la partie».
Plus complexe encore, le stockage du linge sale, on l’imagine bien! C’est toute notre perception des voisinages acceptables, des proximités tolérées dans le rapport au propre et au sale, qui est en jeu...

Le linge tourne dans la machine
Si le débat actuel, à propos du lavage, porte sur l’emplacement de la machine, c’est bien qu’elle fait partie des meubles. «Avec les enfants qui reviennent dégoûtants de l’école, mes horaires impossibles, les chemises de François et le linge de la maison, je n’imagine même pas la vie sans machine à laver!», s’exclame Edith, jeune mère de 3 enfants, secrétaire de direction.
Cette opinion est largement partagée. Aussi le lave-linge fait-il aujourd’hui partie intégrante de l’équipement de base de la quasi totalité des foyers. Il figure dans le tiercé gagnant de l’électroménager.

En 1998, sur 100 % de foyers:
99 % possèdent un réfrigérateur;
98 % possèdent un fer à repasser;
97% possèdent un lave-linge.

Il ne reste plus guère de public à conquérir pour ce marché. Par contre, tous les espoirs sont permis au sèche-linge, présent dans seulement 24 % des cas. Le manque d’espace d’étendage lui promet certainement un bel avenir! Un autre progrès particulier qui utilise le lave-linge classique, est le lavage à sec à domicile. Adieu donc pressings et autres teintureries...

Les laveries en libre service
Une question se pose cependant: Qui sont ces 3% de ménages non équipé ? Pour le savoir, il suffit de constater la présence de laverie automatique dans toutes les villes et d’entrer dans l’une d’elles. Elles sont fréquentées par une population diversifiée : personnes âgées ou, au contraire, jeunes et pas encore équipés. Marginaux qui lavent sur place leur maigre vestiaire, parents démunis pour qui l’investissement est trop lourd, jeunes femmes sans difficultés apparentes (peut-être leur lave-linge est-il en panne ou viennent-elles de déménager?), cadres ou commerciaux en déplacement... Petit raccourci de la société, la laverie est aussi un lieu de convivialité où l’intimité obligée des maniements du linge favorise une certaine mixité sociale, des échanges et parfois des confidences. Ces laveries seraient-elles les lointaines petites filles des lavoirs d’autrefois? A ceci près qu’elles sont très largement fréquentées par des hommes et non plus un cénacle exclusivement féminin.

La machine tourne, mais depuis quand ?
Difficile donc pour une femme moderne, dans notre monde occidental, d’imaginer la vie ménagère sans lave-linge. Ce n’est pourtant qu’au cours des années 70 que celui-ci a peu à peu gagné la plupart des foyers.
Comment le lavage se déroulait-il avant ? Ecoutons Germaine, agricultrice retraitée du centre de la France: «Dans mon enfance, on faisait encore la lessive deux fois par an! C’était un événement qui s’étalait sur plusieurs jours. Les baquets chauffaient en plein air. On les posait sur un trépied sous lequel on allumait du feu. On faisait tourner le linge avec un bâton. Pour la lessive, on utilisait de la cendre et du savon. Après le rinçage à la rivière, le linge séchait sur l’herbe. Mais, précise Germaine, dès que j’ai eu mes enfants, j’ai utilisé une lessiveuse sur la cuisinière, pour une lessive hebdomadaire.» La fameuse lessive du lundi!
«Vous dirais-je que, pour ma part, j’ai utilisé cette bonne vieille lessiveuse quand mes deux aînés étaient bébés, dans les années 64 et 66, et que n’existaient pas encore les couches jetables. Vapeur d’eau chaude, odeurs de lessives, spatules pour retirer le linge, énergie à déployer pour rincer puis tordre le linge: tout cela est encore bien présent dans la mémoire des femmes de ma génération, nées pendant la guerre», raconte Marie-Thérèse, fille de Germaine. «Quelle fierté et quel soulagement, l’achat de ma première machine à laver», complète sa sœur Annick. «Même si elle était semi-automatique et demandait une présence et une participation constantes!»
Nathalie, fille d’Annick et petite-fille de Germaine conclut: «Alors, vous voyez, il a fallu quatre générations pour faire la révolution dans le lavage. Parce que moi, mon premier achat électroménager a été un lave-linge. Avant, je portais mon linge à laver à maman!» Léa, sa fille gazouille dans son berceau. Les trois femmes s’interrogent: «Et pour elle, quelle sera l’innovation décisive en matière de lavage que concoctent les spécialistes dans leur laboratoire?» Du lave-linge à cycle économique, ils espèrent passer au lave-linge de plus en plus sobre grâce à la reconnaissance des fibres textiles par la machine elle même et l’autoréglage en eau, température et produits de lavage. D’autres rêvent d’un lave-linge micro-ondes, sans eau ni lessive...
Ce sera pour Léa, ou pour sa fille ?

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A lire
- Quynh Delaunay : Histoire de la machine à laver. Presse Universitaire de Normandie, 1994.
- Jean-Claude Kaufman: Le cœur à l’ouvrage. Théorie de l’action ménagère. Editions Nathan, 1997.
- Jean-Claude Kaufman : La trame conjugale. Analyse du couple par le linge. Pocket, 1997.

Updated on 06 Octobre 2016