À l’Aracœli, d’augustes franciscains

20 Février 2014 | par

À Rome, les touristes n’ont aucune difficulté à trouver l’Aracœli, derrière la « Machine à écrire », au sommet du Capitole, en haut d’un grandiose escalier que les enfants aiment à gravir en courant. Mais pourquoi cette grande église franciscaine porte-t-elle ce nom curieux, « Autel du Ciel » ? La réponse avec Auguste, l’empereur dont on fête cette année le bimillénaire de la disparition.



« Mort en 14 ». Vous pensez aussitôt à tous ceux qui, à l’instar de Charles Péguy, ont perdu la vie au tout début de cette horrible boucherie que fut la guerre de 1914-1918. Eh bien pour une fois, vous faites erreur. Celui dont je vais vous entretenir est bien décédé en 14, mais en l’an 14 de l’ère chrétienne, il y a donc exactement 2 000 ans. Il s’agit d’Octave-Auguste (63 av. J.-C.–14 ap. J.-C.), le fondateur et le pacificateur de l’Empire romain.

Ce bimillénaire – célébré en Italie, mais aussi en France avec une exposition au Grand Palais –, devrait permettre de mieux connaître l’empereur qui a vu naître Jésus. Cette raison à elle seule mérite que l’on s’y intéresse. « En ces jours-là, parut un édit de César Auguste ordonnant de recenser toute la Terre », écrit saint Luc au début de son récit de la Nativité de Jésus, tandis qu’au milieu du IIIe siècle, Origène confirme : « Tout le monde sait que Jésus naquit sous l’empereur Auguste, lequel, ayant soumis à sa domination la plus grande partie des hommes, les avait comme ramassés en un seul corps ».

 

La sibylle du capitole

L’image positive d’Auguste véhiculée par les écrivains chrétiens va encore s’accentuer au Moyen Âge avec le récit de l’oracle de la « sibylle de Tibur » (c’est-à-dire une voyante venue de Tivoli), que l’on trouve notamment rapporté dans la Légende dorée : « Pour récompenser Octave-Auguste d’avoir donné la paix au monde, le Sénat voulait l’adorer comme un dieu. Mais le prudent Empereur, se sachant mortel, ne voulut point se parer du titre d’immortel avant d’avoir demandé à la sibylle si le monde verrait naître, quelque jour, un homme plus grand que lui. Or, le jour de la Noël, comme la sibylle était seule avec l’empereur, elle vit apparaître, en plein midi, un cercle d’or autour du soleil ; et au milieu du cercle, se tenait une Vierge d’une beauté merveilleuse portant un enfant sur son sein. La sibylle montra ce prodige à Auguste, et on entendit une voix qui disait : “Celle-ci est l’autel du ciel ! (Hæc est Ara Cœli)”. Et la Sibylle lui dit : “Cet enfant sera plus grand que toi !” ». Cet événement miraculeux, qui fait du sage empereur un témoin privilégié de la Nativité, se serait déroulé dans la chambre de ce dernier, sur le Capitole, à l’emplacement de l’actuelle église franciscaine Santa Maria de l’Aracœli.

Cette tradition, dont il est bien entendu impossible de vérifier la véracité, a souvent inspiré les peintres, notamment les illustrateurs des Belles Heures du duc de Berry (début du XVe siècle). Par ailleurs, selon Vasari, sur le cul-de-four de l’abside de l’église de l’Aracœli, on pouvait admirer un chef-d’œuvre du peintre Pietro Cavallini (vers 1240 – avant 1330), à savoir une fresque montrant la vision de la sibylle. Malheureusement, en 1565, lors de la construction d’un nouveau chœur destiné aux religieux, l’abside du XIIIe siècle a été détruite, et avec elle, le chef-d’œuvre de Cavallini (par chance, des fragments d’autres peintures attribuées au contemporain et confrère de Giotto ont depuis été dégagées dans l’église franciscaine).

Outre cette origine miraculeuse, l’histoire nous apprend que des moines (peut-être byzantins)

s’établissent au cours du haut Moyen Âge sur la colline du Capitole.

 

L’Église franciscaine de l’Aracœli

À partir de la fin du IXe siècle, la présence de bénédictins est attestée, et l’abbaye « Sainte Marie sur le Capitole » connaît un important rayonnement. Mais, par une Bulle datée du 26 juin 1250, le pape Innocent IV demande aux moines de quitter les lieux et donne le monastère, avec son église, ses jardins, ses possessions, et même ses livres, aux fils du Poverello, vis-à-vis desquels, on le sait, il nourrit une particulière affection.

Désormais, l’église Santa Maria de l’Aracœli et son couvent adjacent vont jouer un rôle de tout premier plan dans l’histoire franciscaine. C’est ici que va s’établir la curie généralice, c’est-à-dire le centre nerveux de l’Ordre. C’est ici que réside le Ministre Général et que vont se tenir de très nombreux chapitres généraux, réunissant des frères du monde entier. C’est encore ici que vont se vivre les grandes joies de l’Ordre (béatifications et canonisations), comme ses plus vives souffrances (la fracture de 1517 entre Observants et Conventuels).

De saints frères y ont vécu et y ont été enterrés. Ainsi, en visitant l’Aracœli, vous prendrez le temps de chercher la plaque de marbre indiquant l’emplacement des ossements du délicieux frère Junipère, le compagnon de François et l’ami de Claire. On sait que cette dernière, au moment de mourir, aperçoit Junipère, en est toute réjouie et lance à la cantonade : « Alors Junipère, quelles nouvelles du Seigneur ? » J’aimerais pouvoir en dire autant à la veille de ma mort !

Santa Maria de l’Aracœli est sans conteste la principale église fran-

ciscaine de Rome, mais son rayonnement est encore beaucoup plus important. L’Aracœli a tenu, et continue de tenir aujourd’hui, un rôle particulier dans la vie des Romains.

Au Moyen Âge, le Capitole constitue le cœur de la vie politique, commerciale et culturelle de l’Urbs, « la Ville ». En 1348, la Peste Noire ayant épargné Rome, les habitants veulent témoigner leur reconnaissance à Marie, dont l’icône très ancienne de l’Aracœli porte le titre de « Salus Populi Romani, salut du peuple romain ». Grâce à une souscription publique, un escalier monumental est construit pour pouvoir accéder à l’église et c’est grâce à cet escalier que l’on repère très facilement l’Aracœli sur tous les plans anciens de Rome.

À Rome, la fin du XIXe siècle marque un temps d’anticléricalisme virulent et de fermeture des couvents. Les frères sont expulsés de l’Aracœli, et l’antique couvent est détruit pour faire place au Monument à Victor Emmanuel II – la célèbre « Machine à écrire ». Seule l’église subsiste aujourd’hui, avec ses trésors, son icône, et…  ses franciscains qui la desservent toujours. Le jour de l’Épiphanie, le Maire de Rome, précédé d’une petite fanfare, vient officiellement rendre visite à la crèche. Il faudrait suggérer cela aux candidats à la mairie de Paris !

Updated on 06 Octobre 2016