L’animal de (bonne) compagnie
Il semble si naturel pour un enfant d’entretenir une relation particulière avec un animal de compagnie, qu’il soit chat, chien, lapin, ou parfois même d’une race plus surprenante comme le meilleur ami de Régis qui était… un caneton. « À 10 ans, se souvient-il, j’étais une âme solitaire. Je jouais avec les deux chiens de la ferme, j’aimais bien mettre des bottes de foin aux vaches. Mais je me rappelle surtout de ce petit caneton de la basse-cour, que j’avais baptisé Saturnin. Je ne sais pas pourquoi, il était intéressé par le fait d’être avec moi. Il me courait après dès que je sortais, me suivait partout quand j’allais de-ci de-là. C’était une présence très sympathique. Je lui faisais des petits parcours avec des obstacles en bois, des épreuves de terrain. » Avec humour, cet infirmier de cinquante ans, aujourd’hui père de famille, raconte qu’il estimait devoir mettre des limites à l’affection envahissante de Saturnin : « Quand j’en avais marre ou que je n’avais pas envie qu’il marche dans le purin derrière moi, je le prenais et le mettais un moment dans des vieilles bottines de mon grand-père. » Quoi qu’il en soit, le petit caneton rompait la « solitude » d’un enfant timide et réservé, confie-t-il.
David, lui, parle de son caniche Haïda comme d’un « membre de la famille ». Vingt ans après la mort de la chienne au poil noir, il fait encore mémoire de celle qui fut « un compagnon de vie ». « Quand ma sœur m’a apporté Haïda alors que j’avais 13-14 ans, narre-t-il, je m’y suis attaché en quelque sorte comme si c’était mon propre enfant, c’était une première expérience de responsabilité. On m’avait confié un être, je donnais tout. » Cette relation reste une leçon pour l’enseignant en études théâtrales : « Le transfert qu’on fait sur les animaux est puissant ».
Transfert, c’est aussi le terme qu’emploie Isabelle : « Un animal, estime cette jeune conseillère en communication qui s’est formée en psychologie, permet de vivre par transfert des projections, des émotions… il peut être un facilitateur pour panser des blessures ». Elle-même a appris grâce à son chat à « prendre le temps ». Issue d’une famille où le félin était considéré comme une créature qui ne « sert à rien », elle a réalisé que les trois chats qu’elle voyait chez sa cousine contribuaient « à diffuser le calme, à procurer un climat de détente, qui n’est pas si simple à maintenir quand on a des enfants ». Les chats communiquent à la famille « leur vie tranquille et routinière », souligne-t-elle. Le chien a « une fidélité qui bouleverse ». Un animal à la maison apporte aussi « un sens au fait d’habiter un lieu » et permet de prendre de la distance sur ses soucis quotidiens : « Tu l’observes, tu t’oublies un peu, tu prends soin de lui ». Certes, vivre avec un animal comporte aussi des obligations, des sorties, des soins, une organisation pour les voyages. Tout autant de contraintes qui ont fait jurer à Agathe de ne jamais en avoir. « On peut aussi profiter des sorties, suggère-t-elle. Nous n’avions pas d’animaux chez nous, mais dès que je sortais, j’essayais d’attraper des têtards ou de ramener des escargots pour les apprivoiser. »
En psycho-généalogie, certains thérapeutes comme Michèle Glorieux ont constaté que l’animal perçoit et capte les émotions de la vie familiale qu’il partage. Son effet apaisant sur une colère transmise de façon transgénérationnelle serait reconnu. Une évidence pour David qui pense même que « la névrose des maîtres déteint sur leur animal ». Ainsi un propriétaire phobique aura une influence phobique sur son compagnon. Pour David, la présence d’un animal dans une famille apporte quelque chose « de nature angélique » : « Ça dépasse la compréhension, c’est un don pour toute la famille, un don d’une présence à humaniser. À notre contact, quelque chose d’humain s’est établi avec ma chienne Haïda, quelque chose de l’ordre de la parole ». Cette « humanisation » s’exprime notamment « par l’adoption, par le fait de leur donner un prénom ». Dans un regard théologique, ce chrétien voit dans ces relations la confirmation que l’homme est « gardien et sommet de la Création ».