L’agonie des chrétiens de Terre sainte
« Seigneur Jésus, nous reconnaissons ton corps martyrisé dans tant de nos frères et sœurs, la violence que tu as subie dans ceux qui sont persécutés, ton abandon dans le tourment de ceux qui sont tués. » L’an dernier, à l’occasion du Chemin de croix au Colisée du Vendredi saint, le pape François prononçait cette prière. Depuis, les habitants de Terre sainte se sont malheureusement rajoutés à ces « frères et sœurs persécutés ». La violence a fait sa brutale irruption dans la vie des uns et des autres, la mort s’est imposée dans les familles, emportant avec elle hommes et femmes, enfants et vieillards.
Pour les chrétiens de Terre sainte, le Carême qui s’ouvre est particulièrement aride, puisqu’ils rejoignent dans leur propre chair l’agonie du Christ. « La crise actuelle engendre non seulement la mort, la destruction et la faim à Gaza, mais aussi un taux de chômage élevé et d’autres problèmes sociaux dans toute la Terre sainte » déplorait en novembre le cardinal Pierbattista Pizzaballa, patriarche latin de Jérusalem.
Pour beaucoup de chrétiens de Terre sainte, l’avenir semble complètement obscurci, lorsqu’il ne paraît pas inexistant. « Ce pays est complètement détruit, car en vérité il ne reste rien, et cela nous brise le cœur », se désole Hazem Saba, un chrétien de Gaza. « Nous tous, chrétiens, essayons de fuir au mieux à la fin de la guerre, nous n’avons pas le choix : notre survie en dépend. » Et pourtant, assure-t-il, « nous aimons notre pays »
Pour cet homme, la situation est d’autant plus difficile qu’il est pris en tenailles entre l’attachement à sa terre et le déchaînement de violences.
« La vie est sacrée »
« Nous sommes Palestiniens, nous soutenons notre pays, assure-t-il. Toutefois, nous ne soutenons pas les violences, la lutte armée qui a été pratiquée [les attaques terroristes du 7 octobre menées par les combattants du Hamas, ndlr] ». Et de poursuivre : « Ce n’est pas ainsi que nous pensons. Peut-être n’a-t-on pas été élevés de cette façon ou peut-être est-ce parce que pour nous la vie humaine est sacrée, nous sanctifions l’âme humaine. »
Dans ce long Vendredi saint de guerre, les chrétiens de Terre sainte portent donc encore en eux cette voix de vie. C’était d’ailleurs le sens des mots du pape François, lors de sa visite à Gethsémani en mai 2014. « J’exhorte [les chrétiens de Jérusalem] à être des témoins courageux de la Passion du Seigneur, mais aussi de sa résurrection, avec joie et dans l’espérance », avait-il alors déclaré. Parlant d’un « don, mais aussi une responsabilité » de vivre dans la terre foulée par le Christ, il avait insisté : « Votre présence ici est très importante ; toute l’Église vous est reconnaissante et elle vous soutient par la prière ».
« Priez pour nous, le moment est tragique », demandait au début du conflit Sœur Nabila Saleh, religieuse vivant à Gaza, comme en écho à cette promesse du Pape. Celui-ci avait d’ailleurs téléphoné au père Gabriel Romanelli, curé de Gaza, pour assurer toute la communauté chrétienne de sa proximité spirituelle. « Il nous appelle presque tous les après-midis, racontait en octobre le prêtre. Il m’appelle et s’il ne parvient pas à me joindre, il appelle la paroisse. Nous savons qu’il est proche de toute la population, de tous sans distinction. »
Chaque année, le Carême permet de rappeler cette prière de toute l’Église pour les chrétiens de Terre sainte par un moyen très concret : la quête impérée du Vendredi saint. Ce jour-là en effet, les sommes récoltées sont reversées à la Custodie de Terre sainte, pour soutenir les projets pastoraux, éducatifs et sociaux qui permettent le maintien de la présence chrétienne dans cette région. Si l’obligation d’une telle collecte obligatoire dans toutes les églises paroissiales de la catholicité a été édictée en 1887 par le pape Léon XIII, l’origine de cette proximité concrète remonte aux tous premiers temps du christianisme. Dans sa seconde lettre aux Corinthiens, saint Paul parle en effet déjà d’une « grâce de pouvoir aider les fidèles de Jérusalem » ! Et déjà il parlait d’une « collecte », un « don généreux ».
Un « espoir béni »
Cette prière et ce don peuvent venir soutenir les chrétiens de la terre du Christ dans leur agonie. « Nous essayons de survivre, continuez à prier pour nous, insiste Hazem Saba. Nous aimerions vivre comme les gens à l’étranger, en paix et en sécurité, sans être tués et sans devoir fuir. » Ainsi, déclarent ensemble les patriarches chrétiens de Jérusalem, « Nous prions le Seigneur pour la paix et la justice dans notre chère Terre sainte, où tous ont été tourmentés par ce conflit douloureux et de longue durée ».
Car cette prière est ce qui porte à l’après Vendredi saint, à la Résurrection. « Nous devons choisir la prière plutôt que la violence et la destruction, car le dernier mot est la vie ! », exhortait il y a quelques semaines le cardinal Pizzaballa. « Nous ne devons pas perdre l’espérance de la paix ! », urgeait-il, parlant même d’un « espoir béni » qui « bat toujours dans le cœur » des chrétiens. Il en est sûr : « dans les moments difficiles, quand on attend et espère une aide qui viendra d’une manière ou d’une autre, il y a toujours quelqu’un qui, le premier, voit le chemin du Salut. » Sa mission est alors « d’avertir tout le monde de ce qui est en train de se passer, afin que même ceux qui ne voient pas encore se rendent compte, ouvrent les yeux, sortent de leur torpeur, qu’ils réveillent l’attente qu’ils portent en eux ». Dans leur Gethsémani de la guerre, telle est la promesse de vie que doivent porter les chrétiens de Terre sainte.