L’abbé Franz Stock
Le siècle qui s’achève aura été le témoin, et le milieu, d’une extraordinaire évolution des mentalités. Même si subsistent de terribles affrontements que les armements modernes aggravent, le meilleur de la personne humaine apparaît et rayonne comme un témoignage de l’amour de Dieu pour les hommes à travers l’amour de l’homme pour son semblable.
Avant la guerre Un ouvrier du Sauerland, en Westphalie, voit naître son premier enfant à Neheim, le 21 septembre 1904, et lui donne le prénom de Franz. Mr Stock met son fils sous la protection de saint François et le lui donne comme modèle. Devenu grandelet, l’enfant est confié au Quickborn (« source vive »), un mouvement de jeunes, animé par Romano Guardini, où il développe son attrait pour le chant, la nature et la marche à pied, formes extérieures de la spiritualité franciscaine. Initiation en même temps à une mentalité pacifique et internationale. Quand il entre au Lycée, en 1917, Franz a déjà révélé sa vocation sacerdotale, influencée par Romano Guardini. En 1926, il entre au Grand Séminaire de Paderborn et participe à Bierville, près d’Etampes (Essonne), à un rassemblement de 10 000 jeunes Européens, animé par Marc Sangnier sur le thème : « Les jeunes et la paix ». C’est là qu’il rencontre Joseph Folliet, qui l’enrôle aux Compagnons de Saint-François, et avec qui il restera toujours en relation, fondant même la branche allemande des Compagnons.
L’attrait de Stock pour la France est tel qu’il demande à continuer ses études à Paris. Sa nationalité lui crée des difficultés, mais il suit l’enseignement du séminaire des Carmes, que dirige le futur cardinal Verdier, et fréquente la Sorbonne. Il préfère l’étude des problèmes sociaux à la théologie spéculative, ce qui l’amène à traduire, en 1931, le livre du P. Lhande, Le Bon Dieu dans le bled, préface, on peut dire à France, pays de mission ?
Le 12 mars 1932, Franz Stock est ordonné prêtre à Paderborn, à l’heure où les catholiques allemands commencent à sentir la menace d’une persécution. Vicaire à la campagne, puis dans la Ruhr minière, il apprend le polonais pour être plus proche des ouvriers émigrés de ce pays. Alors arrive un grand changement qui va conditionner le reste de sa vie. Franz Stock est nommé recteur de la paroisse allemande de Paris, Saint-Boniface, et s’installe, en septembre 1934, au 21-23 de la rue Lhomond (5e arrondissement), avec sa sœur Franziska. L’archevêque le connaît bien : c’est Mgr Verdier...
La paroisse compte environ 500 inscrits, plutôt besogneux, mais beaucoup de jeunes. Stock, qui dessine, peint, chante, joue de la guitare, anime tout ce petit monde. Il aime les lettres françaises, connaît Francis Jammes (1868-1938), poète franciscain, et le fait connaître à ses compatriotes, comme il leur fait connaître la France en organisant des excursions : Chartres, Versailles et tout Paris. Mais les Français se méfient : qu’y a-t-il derrière cet Allemand un peu trop curieux de la France ? La communauté allemande de Paris, autre que Saint-Boniface, s’enazisme, tandis que des amis français virent vers le Front Populaire, L’ouverture même de Stock est dangereuse pour lui : les bons rapports qu’il entretient avec les officiels allemands le rendraient suspect à certains, surtout en 1937, quand le Centenaire de la paroisse allemande coïncide avec les cérémonies officielles de l’Exposition Universelle !
L’année 1938-1939 le met en porte à faux : parce qu’il est en bons rapports avec l’Ambassade, des Français le disent nazi ; parce qu’il fait aimer la France à ses paroissiens, d’autres le croient tiède patriote. Toujours est-il qu’à la déclaration de guerre, il doit rentrer en Allemagne et se voit nommer administrateur de la paroisse de Dortmund-Bodelschwing, le 29 novembre 1939. Mais il cherche à se faire nommer aumônier de prisonniers de guerre français en Allemagne, ou d’Allemands en pays non belligérants. Les invasions de mai 1940 vont tout changer...
Le temps de guerre Comme les autres Allemands, Mr Stock a dû quitter Paris, le 25 août 1939, laissant tout ce qu’il avait rue Lhomond. Le 18 juin 1940, l’appel du général de Gaulle depuis Londres donne le signal de la « Résistance » à l’occupant. Celui-ci organise ses services et, en octobre 1940, Franz Stock est rappelé à Paris pour y reprendre la paroisse allemande. Sa sœur Franciska et sa secrétaire, Mlle Berlinghof, le rejoignent rue Lhomond. Il accomplit son ministère en plusieurs églises de Paris où civils et militaires allemands se rassemblent. En 1941, il est même plus spécialement attaché à la paroisse militaire, mais sans porter l’uniforme. C’est à ce titre qu’il est peu à peu introduit d’abord à la prison de la Santé, puis à Fresnes et au Cherche-Midi.
Ces prisons parisiennes, en plus des détenus de droit commun, se remplissent peu à peu de « résistants » patriotes français, captifs de la Gestapo. L’aumônier principal Loevenich ayant été envoyé en Allemagne, Stock a, en 1942, la charge accablante de visiter, réconforter, réconcilier avec Dieu, des milliers d’hommes enfermés dans des conditions atroces.
Du 29 décembre 1941 au 13 août 1944, il tient un journal détaillé mais secret de tous ceux qu’il approche, document émouvant conservé aujourd’hui à Paderborn. Les noms de grands résistants, Edmond Michelet, Honoré d’Estienne d’Orves, Jean de Pange, y côtoient des inconnus, mais tous ont droit à l’assistance humaine et spirituelle de Stock. Il frôle l’illégalité tous les jours, et on le laisse faire en haut lieu, car on sait qui il est : l’homme de Dieu ! Le plus dur est la préparation à la mort de ceux qui sont condamnés. Même les incroyants, il les amène au moins à mourir sans haine. C’est entre 1 500 et 1 700 condamnés qu’il accompagnera jusqu’au poteau d’exécution au mont Valérien, priant des Psaumes avec les Juifs et donnant l’absolution aux convertis de l’heure ultime. La dernière exécution aura lieu le 9 août 1944. Le 25, Paris se libérait.
Chartres Franz Stock aurait pu rentrer en Allemagne, et il fait même ses préparatifs. mais le 13 août, il décide de rester à Paris, au service des blessés allemands. Les Américains le font prisonnier, mais lui donnent bientôt, le 29, un laissez-passer pour tout Paris, avec un brassard de la Croix-Rouge, comme attaché à l’hôpital de la Pitié. En septembre, il est envoyé au camp américain de La Haye-du-Puits (Manche), comme aumônier du P. G. allemand.
C’est alors que l’abbé Le Meur, ancien résistant resté anti-allemand, est sensibilisé en sa faveur par le cardinal Suhard, pour organiser ensemble un séminaire regroupant les prisonniers allemands, diocésains et religieux, orientés vers le sacerdoce. Stock accepte. Le séminaire, d’abord à Orléans, est transféré dans un vaste camp de P. G. près de Chartres, au Coudray.
Il y aura jusqu’à 500 séminaristes ensemble, vivant dans un grand dénuement. Des prêtres prisonniers et d’autres venus d’Allemagne, les encadrent. Des évêques français et allemands s’intéressent à cette tâche, et le nonce Mgr Roncalli (futur Jean XXIII) vient souvent au Coudray. Stock se multiplie comme directeur spirituel, professeur, pourvoyeur alors que la France et l’Allemagne sont économiquement au plus bas. Lui-même, dès 1946, connaît des déficiences cardiaques, mais va de l’avant, sans savoir ce que deviendra son œuvre, car dès novembre 1946, le Gouvernement envisage de libérer, par catégories, les prisonniers. Le 26 avril 1947, l’abbé Stock adresse aux séminaristes un discours d’adieu qui est une parole prophétique sur la paix et la réconciliation, bien dans l’esprit des Compagnons de Saint-François. Le 1er mai, le séminaire est dissous, le 5 juin, le camp est évacué.
Que va devenir l’abbé ? Il est toujours juridiquement prisonnier de guerre, et requis de rester en France à la disposition des Allemands travailleurs libres. Il retourne rue Lhomond, à Paris, sous la direction de l’abbé Brass, aumônier officiel des derniers prisonniers.
L’avenir est obscur : l’abbé est malade, épuisé, sans force. Il espérait pouvoir retourner en Allemagne en février 1948, mais il doit être admis à l’hôpital Cochin. Le 24 février, l’abbé Brass vient le voir et lui promet de revenir sous peu ; il est 14 heures. A 16 h 45, l’infirmière qui soignait Franz Stock appelle Brass au téléphone : elle a trouvé l’abbé sans vie. Lui qui avait assisté tant de mourants, était parti seul... Sa Messe de Requiem sera chantée à Saint-Jacques-du-Haut-Pas, sous la présidence du nonce Roncalli, mais comme il était toujours P. G., il fut enterré dans le canton réservé du cimetière de Thiais.
Ce n’est qu’en novembre 1948 qu’on ne parla plus de prisonniers de guerre. L’abbé Le Meur fit alors transférer les restes de Franz, le 27 octobre 1951, dans un terrain prévu pour sa propre famille. Entre temps, Mlle Berlinghof, la dévouée secrétaire, avait obtenu qu’on ne confonde pas les restes de Mr Stock dans une fosse commune de prisonniers non réclamés. De Thiais, l’abbé fut de nouveau exhumé et transféré à Chartres-Rechèvres, près des lieux de l’ancien séminaire des barbelés. Le 1er mars 1998, des cérémonies eurent lieu près de cette sépulture, en attendant – peut-être – les honneurs de la béatification.