L’abbaye Saint-Maurice, poumon spirituel
Saint-Maurice est d’abord un site, une topographie grandiose. Ses murs sont dressés au pied d’une impressionnante falaise, dominant la vallée du Rhône. Le monastère est lui-même enserré dans un cirque montagneux d’où émergent les majestueuses Dents du midi, qui viennent fermer le Chablais valaisan. Les vallons avoisinants sont tapissés de vignes, plantées dès la fondation de l’abbaye. Au fil des siècles, Saint-Maurice est resté un lieu incontournable du christianisme en Occident, aujourd’hui encore malgré la déchristianisation.
Dans son Trésor de l’abbaye de Saint Maurice d’Agaune, paru en 1870, l’historien Édouard Aubert souligne le rayonnement peu commun des lieux à travers les siècles. Les rois mérovingiens, bourguignons ou carolingiens, les empereurs d’Allemagne, les princes de Savoie et tous leurs vassaux ont été ses bienfaiteurs ou ses persécuteurs », écrit-il.
À la fois carrefour et pont
L’abbaye est avant tout le lieu d’un martyre, celui de Maurice et de ses compagnons de la légion thébaine. Maurice commandait une légion provenant de Thébaïde en Haute-Égypte, appelée à renforcer l’armée du coempereur Maximien lors d’une expédition en Gaule. Les soldats de cette légion étaient chrétiens. Après avoir franchi les Alpes, Maurice et ses hommes refusèrent de s’en prendre à des chrétiens, comme l’ordonnait l’empereur qui se trouvait dans la région. En conséquence de ce refus, il fut ordonné de tuer Maurice et ses compagnons.
En 380, saint Théodule, premier évêque connu du Valais, ramène les ossements de saint Maurice et de ses compagnons dans un ossuaire, près du rocher où se trouvait une nécropole romaine. En 515, peu après sa conversion, Sigismond, roi des Burgondes, autorise la fondation d’une abbaye.
Carrefour historique et haut-lieu spirituel, Saint-Maurice est aussi un pont très actuel avec les chrétiens d’Orient. « Les martyrs d’Agaune figurent dans le calendrier liturgique copte orthodoxe », rappelle Pierre-Yves Fux, ambassadeur de Suisse près le Saint-Siège, soulignant ainsi la dimension œcuménique du lieu. Chaque année le 22 septembre, lors de la fête de la Saint-Maurice, un représentant de l’Église copte en Suisse fait d’ailleurs le voyage à l’abbaye.
Une dynamique intellectuelle
L’abbaye est également un lieu exceptionnel sur le plan patrimonial : le célèbre trésor de l’abbaye, enrichi au fil des siècles par les dons des princes et des rois, est admiré dans le monde entier. En 2016, les pièces les plus prestigieuses comme le reliquaire de la Sainte Épine, offert par saint Louis, ou l’aiguière dite « de Charlemagne » furent réunies pour une exposition exceptionnelle au musée du Louvre à Paris.
Saint-Maurice est aussi, avec le temps, devenu un point de référence en ce qui concerne les études augustiniennes. En témoigne ainsi ce congrès international organisé en août 2017 sur l’héritage de saint Augustin, le premier du genre qui a rassemblé plusieurs professeurs, théologiens, religieux et spécialistes du saint d’Hippone venus de toute l’Europe. « Une belle occasion de mettre en avant le renouveau des études sur l’augustinisme et l’aspect théologique qui caractérise son œuvre », a commenté le chanoine Olivier Roduit, procureur de l’abbaye, pour le site Cath.ch.
Une fécondité spirituelle toujours vivace
Outre les pèlerinages organisés chaque année vers ce sanctuaire valaisan, l’abbaye Saint-Maurice reste un poumon de spiritualité au cœur d’une Europe qui se déchristianise. « Saint-Maurice est un mille-feuille tout à fait passionnant, rappelle Pierre-Yves Fux, c’est un lieu exceptionnel par sa continuité historique mais aussi sa stabilité juridique ». Elle est en effet l’une des onze abbayes territoriales encore existantes dans le monde, avec notamment le monastère bénédictin d’Einsiedeln, également en Suisse.
L’abbaye reçoit chaque année de nombreux marcheurs qui se lancent sur la Via Francigena, l’une des plus célèbres voies de pèlerinage vers Rome. « On retrouve le sens de Saint-Maurice comme une étape sur ces chemins vers Rome », explique Pierre-Yves Fux, qui lui-même se souvient avoir arpenté les lieux, bâton de pèlerin à la main et rappelle la proximité de l’hospice du Grand-Saint-Bernard, à la frontière avec l’Italie, autre étape importante du pèlerinage vers Rome.
Si la communauté des chanoines de saint Augustin a diminué au fil des ans — ils sont quarante à présent — la fécondité spirituelle est bien là, à commencer par leur activité missionnaire. On pourrait citer l’exemple de Guy Luisier, chanoine installé dans la région du Kasaï en République démocratique du Congo depuis six ans et responsable de la formation de jeunes frères congolais.
La communauté Saint-Maurice compte également un martyr : le bienheureux Maurice Tornay, assassiné au Tibet en 1949, avait été envoyé en mission. Ainsi, cette fécondité de l’abbaye, bâtie sur le sang des martyrs est-elle encore toujours vivante, près de quinze siècles plus tard.