La sortie de crise passe par un retour à l’humain
À la suite de Benoît XVI et de multiples façons, l’Église catholique a fait entendre sa voix dans le débat sur la crise qui frappe depuis quatre ans l’économie mondiale. Loin de se cantonner à une simple critique, pape, cardinaux et évêques proposent des pistes pour résoudre un problème avant tout éthique.
Avec l’éclatement de la crise qui s’est peu à peu propagée au niveau mondial, touchant aussi bien l’économie réelle que les marchés financiers, l’Église catholique, dont l’action sociale basée sur l’humain est reconnue de tous, se devait de faire entendre sa voix par tous les moyens possibles. Pari gagné avec une analyse pertinente mais pas fataliste de la part de tous les acteurs, de la plus haute hiérarchie ecclésiale aux évêques, assortie de suggestions concrètes et réalistes. La très bonne diffusion de l’encyclique Caritas in Veritate de Benoît XVI publiée en 2009 est une preuve du succès de la pensée catholique en matière d’économie.
La première impulsion a donc été donnée par le pape avec une encyclique aux accents prophétiques puisque Benoît XVI envisageait son élaboration avant que le cataclysme économique mondial n’atteigne son apogée. Par la suite, tout au long de la crise, l’Église, et notamment la Conférence épiscopale française, a enchaîné les publications sur ce sujet. En tête de liste figure le livre Grandir dans la crise, qui se concentre plus particulièrement sur la situation économique à l’échelle nationale (cf. interview en p.12).
Dans cet ouvrage de près d’une centaine de pages, l’épiscopat constate que la crise a fait redécouvrir l’importance de la politique par rapport à l’économie et « le rôle indispensable des États dans la défense du bien commun », rappelant que la réhabilitation de la politique constituait depuis longtemps une priorité aux yeux de l’Église. « C’est de l’action politique et sociale et de l’engagement de tous que naîtront, dans la durée, les issues à la crise, sous la forme d’un nouveau modèle de développement, accordant une place plus importante à la qualité des relations interpersonnelles », expliquent les évêques. Cet avertissement fait écho à une recommandation de Caritas in Veritate, qui explique que la recherche du bien commun est d’abord du ressort de la politique et, après seulement, de l’économie.
Pour l’Église qui est en France, le problème principal est une crise de sens. Par exemple, les évêques ne se contentent pas de remettre en cause le fonctionnement du système bancaire, ni le niveau de rémunération des traders, dirigeants ou actionnaires, souvent beaucoup décrié, mais la façon dont l’économie libérale conçoit « le vivre-ensemble » et situe « le rôle du travail, de l’argent, de la consommation et du partage des richesses ».
De même que les évêques français, le pape se garde bien de critiquer en bloc les marchés financiers. Après « le mauvais usage » qui a été fait de la finance, Benoît XVI souhaite tout simplement que celle-ci « redevienne un instrument visant à une meilleure production de richesses et au développement ».
Les atouts de la France
Mais tout n’est pas noir en France et les évêques refusent de céder au pessimisme ambiant. L’Hexagone dispose en effet de nombreux atouts, comme sa démographie, l’épargne des ménages qui pourrait relancer le secteur industriel, une grande capacité d’innovation ou encore une bonne sensibilité écologique. Le livre Grandir dans la crise n’est pas seulement un tableau de la situation économique : à la lumière de la doctrine sociale de l’Église, le livre se propose de fournir des orientations pour sortir de la crise telles que l’engagement individuel et collectif, le développement de qualités interpersonnelles ou encore l’action sociale et politique.
L’Église de France n’est pas la seule à proposer des solutions concrètes. Le Conseil pontifical Justice et Paix, chargé au Vatican de l’économie et du développement, avait créé la surprise au début de l’année, en proposant l’adoption d’une taxe sur les transactions financières. En effet, selon le cardinal Peter Turkson, responsable de ce Conseil pontifical, cette taxation permettrait de ramener l’économie et la finance à leur véritable raison, y compris sociale. Le Conseil pontifical n’oublie pas non plus l’importance de la solidarité entre les États. Selon lui, la taxe sur les transactions financières pourrait en outre contribuer à la mise en place d’un fonds mondial « chargé de soutenir les économies des pays touchés par la crise et le redres-
sement de leurs systèmes financiers et monétaires ».
L’homme avant tout
Réunis au mois d’octobre à Rome pour le synode sur la nouvelle évangélisation, les évêques du monde entier ont eux aussi proposé, dans leur message commun, « quelques exigences émanant de la lumière de l’Évangile » en ce qui concerne l’économie. Ils préconisent d’abord de « mettre la personne humaine au centre du développement économique » et de « penser ce développement comme une occasion de croissance du genre humain dans la justice et l’unité ». Il faut en outre faire table rase de certaines conditions de travail qui, « souvent, en font un fardeau insupportable et lui enlèvent toute assurance pour l’avenir, en raison des menaces de chômage frappant surtout les jeunes ».
Dans un texte publié récemment, le cardinal Bertone, secrétaire d’État du Saint-Siège, explique lui aussi que « la racine de l’activité économique est éthique et anthropologique ». En particulier, à partir du moment où l’homme doit être au centre de toute proposition économique, il faut, selon le « numéro deux » du Vatican, prendre en considération « ce qui constitue la source de son bien-être : le travail ».
« Il ne faudrait pas nourrir l’illusion que, dans la crise actuelle, un programme, si élaboré et si sérieux soit-il, viendra facilement à bout des difficultés auxquelles nous sommes confrontés. Il convient que les hommes et les femmes politiques affrontent leur mission avec lucidité et franchise, pour que nous puissions espérer sérieusement qu’ils l’accomplissent avec succès. Ce serait mépriser les électeurs que de leur faire croire que tout va s’arranger moyennant quelques corrections à la marge. Celles et ceux qui vont briguer nos suffrages doivent avoir déjà le courage politique de dire clairement les contraintes de l’avenir, et de montrer qu’ils sont résolus à affronter les insatisfactions ».
Discours du président de l’épiscopat français pendant la campagne électorale