La route et nous
Aujourd’hui indissociable de notre vie quotidienne, la route, dans notre civilisation de confort, de loisirs et d’échanges, permet non seulement le dépaysement du temps des vacances mais aussi bien des liaisons et des transports rapides que n’ont pu connaître nos aïeux.
A l’aube du 3e millénaire, l’automobile n’a guère que 116 ans d’âge. Son acte de naissance fut paraphé le 12 février 1884 par deux Français, Edouard Delamare-Deboutteville et Léon Malandin qui, ce jour-là, déposaient le premier brevet d’une voiture à moteur à essence à quatre temps.
Progrès et industrialisation aidant, ce type de véhicule s’est tellement généralisé que son passage, devenu de moins en moins bruyant, son stationnement ou encore son utilisation pour le moindre déplacement ou pour une randonnée de plusieurs centaines de kilomètres (voire des milliers) parcourus en quelques heures, dans le meilleur confort, n’étonnent plus personne.
L’automobile a-t-elle changé le monde ? En tous cas, pour lui permettre de parfaire ses performances en matière de vitesse, de transport et de trafic et aussi de toujours mieux affirmer ses multiples possibilités, la route qui est, elle, quasiment aussi vieille que l’humanité, a dû s’améliorer grandement en un temps record. Le réseau routier actuel compte ainsi parmi les éléments essentiels de notre vie quotidienne. Mais il n’y a pas si longtemps, bon nombre de nos chemins recelaient encore force ornières aussi redoutables qu’aux temps féodaux et la voie carrossable n’était souvent qu’une qualification optimiste cachant bien des aléas.
En Chine, les premières routes Il y a 150 ans, au temps du Royaume de Sardaigne, la liaison entre Chambéry et Turin par le plus bas passage des Alpes se heurtait au plateau portant le mont Cenis. Devant l’obstacle, les voitures hippomobiles roulant sur cette route devaient en conséquence être démontées, puis transportées à dos de mulet pour être remontées ensuite. Les voyageurs – relativement nombreux à l’époque – se voyaient du coup obligés d’itinérer à pied, aidés et assistés par leurs cochers et autres postillons... Pourtant, déjà en d’autres lieux, l’ingénieur écossais Mac Adam avait mis en place se route compactée à chaussée souple et le rouleau compresseur avait fait son apparition dès 1836 !
Cela, c’était hier, et il nous faut cheminer dans un passé plus lointain encore pour retrouver l’histoire de la route. Nous y verrons que nos motivations n’ont guère changé pour ce qui est de la découverte, de la communication, des échanges et des conquêtes...
Pour sortir de leurs cavernes, nos lointains ancêtres ont d’abord cheminé le long d’itinéraires non aménagés. Mais les passages répétés pour aller le plus commodément possible de l’abri familial vers d’autres hommes – amis ou ennemis – pour joindre les lieux de récoltes, les terrains de chasse ou de pacage des premiers animaux domestiqués, furent rapidement à l’origine des toutes premières voies frayées et piétinées... Les premières routes construites et entretenues furent l’œuvre des Chinois en Asie et des Incas aux Amériques. Mais l’Europe ne fut jamais en reste et eut bientôt ses chemins privilégiés. Après le Moyen Orient, les Balkans possédèrent, dès les temps anciens, des itinéraires entretenus et en Occident, les voies romaines formant un réseau maillé de 80 000 kilomètres, dont 4 000 en Gaule, retrouvèrent en grande partie les sinuosités des chemins tracés non seulement par les Gaulois, mais aussi par leurs prédécesseurs.
De Jules César à Louis XIV Le rayonnement de ces voies fut l’un des éléments essentiels de la prospérité d’un Empire dont l’immensité et la diversité ne devaient pas nuire à un organisation politique raisonnée. La plus ancienne, la fameuse Via Appia, reliait Rome à Capoue par le littoral. Construite trois siècles avant Jésus Christ et toujours utilisée, elle est en fait la toute première route dallée.
Autre doyenne, la Via Domitia chemina en Gaule du col du mont Genèvre, dans les actuelles Hautes-Alpes, jusqu’aux Pyrénées. Le long du Rhin et du Danube, d’autres voies reliaient les installations militaires et administratives aux cités marchandes. En Grande Bretagne, un même rayonnement routier portant à Londres ne négligeait pas non plus les cheminement des parcours celtiques ancestraux. Fréquentés quotidiennement à pied, à cheval et en voiture sur de longues distances, ces chemins qui, tous, selon l’adage, menaient à Rome, ont ainsi subsisté jusqu’au XVIIe siècle...
En 1670 Colbert, afin de favoriser le commerce et l’industrie, s’attache à améliorer ces voies où les chargements sont limités à moins de 500 kilos. Sur les routes royales, larges désormais de 7,80 m à 9,80 m, quatre chariots doivent pouvoir circuler de front et, toujours selon le ministre, les chemins de traverse peuvent avoir moitié moins de largeur mais doivent être entretenus aussi bien. Les ponts et autres ouvrages de franchissement destinés à faciliter la circulation sont encore rares lorsque, le 26 mai 1705, un arrêt prescrit que les chemins royaux seront tracés en lignes aussi droites que possible. 81 ans plus tard, le point d’origine du bornage pour la mesure des distances sur les grandes routes partant de la capitale est fixé à 30 mètres en avant de la cathédrale Notre-Dame de Paris.
Plus confortable mais plus meurtrière La route est alors plus stratégique que proprement économique. Les marchandises y circulent mais les véritables tonnages empruntent le plus souvent les voies d’eau. Produits et denrées doivent être d’une bien grande valeur pour faire l’objet d’un charroi assez long. Sur les routes principales, si l’on tient compte des arrêts et des relais, la vitesse des voitures de voyageurs n’atteint pas les 5 kilomètres à l’heure. Pour contrer les déprédations dues à chaque mauvaise saison, les véritables améliorations des grands chemins n’interviendront qu’aux XVIIIe et XIXe siècles. Pourtant, dès 1800, toutes les communes de France sont réunies entre elles par des itinéraires praticables même s’ils sont parfois difficiles et peu sûrs.
Avec l’apparition de l’automobile et l’engouement de la vitesse provoqué par ce nouveau moyen de locomotion, dans la dernière décennie du XIXe siècle, bien vite de nombreuses voies deviennent confortables et agréables à parcourir. Mais paradoxalement, alors que tout y est mis en œuvre pour améliorer la sécurité, la route devient, jour après jour, sinistrement meurtrière.
Chemins ruraux exceptés, la longueur totale du réseau routier français dépasse aujourd’hui les 973 900 kilomètres. 9500 kilomètres d’autoroutes l’enrichissent tout autant que 5000 kilomètres de routes aménagées pour offrir des chaussées à deux voies à leurs usagers. Ces usagers sont-ils trop nombreux ? Au vu de certains embouteillages de départ en vacances ou de retour de week end, on pourrait parfois le craindre. Pourtant, l’infrastructure routière actuelle permet à peu près partout un bon écoulement d’un important trafic. Mais sur la route, une certaine fluidité est souvent aussi génératrice d’excès de vitesse et d’imprudences notoires.
Autant sur les voies à grande circulation que sur les chemins moins fréquentés, automobilistes, motocyclistes, cyclistes, piétons et ultimes conducteurs de chevaux sont ainsi confrontés à l’indiscipline et à un manque de civisme. Trop confiants en leurs droits, en leurs moyens et en la possibilité qu’ont les autres à bien gérer la traversée d’une chaussée ou la conduite d’un véhicule, certains se mettent dans des situations qui, brutalement, peuvent se révéler à hauts risques. L’incident mécanique, même mineur, survenant à l’improviste, peut également avoir des conséquences graves, surtout lorsque la vitesse du véhicule est élevée. Chacun sait cela ! Depuis longtemps déjà, bien des mises en garde ont été faites et même codifiées. Slogans et images-chocs nous rappellent constamment à nos devoirs et à une vigilance de tous les instants : « Au volant, l’alcool tue », « La vitesse est dangereuse », « Voir c’est vivre »...
Le danger, ce sont les automobilistes! Depuis un siècle, jour après jour, les passages difficiles et réputés dangereux ont été signalés par des panneaux d’éveil ou de réglementation. Des feux routiers, dont les premiers furent installés à Cleveland (USA) dès 1914 et à Paris en 1923, garantissent la sécurité des croisements et protègent le passage des piétons. Pourtant, en France, 23 personnes, dont 6 jeunes, trouvent chaque jour la mort dans les accidents de la route ! Si, depuis la première campagne de Bison Futé il y a 24 ans, le nombre d’accidents corporels a diminué de moitié sur nos routes, l’insécurité continue d’y régner tragiquement. En 1998, plus de 6500 collisions de véhicules avec les arbres et les poteaux bordant les chemins tuaient 1187 personnes...
Ayant fait la part des aléas dus aux intempéries : la pluie, le vent, la neige, le verglas, le brouillard, et rejetant l’idée toute faite que l’accident n’arrive qu’aux autres, nous ne sous-estimerons pas non plus les dangers générés par la vitesse et les encombrements de la chaussée, par une circulation intensive de poids lourds, par les pièges de certains tunnels et les manœuvres intempestives. Compte tenu également des conséquences de négligences funestes dans l’entretien des véhicules, de la fatigue, de l’énervement, des cas nombreux de mauvaise visibilité diurne ou nocturne et aussi des distractions dans la conduite, finalement nous devrons bien admettre que ce ne sont pas la route et l’autoroute qui sont dangereuses : c’est trop souvent nous !