La réunification allemande a trente ans
La défaite de 1945 s’est traduite par l’occupation de l’Allemagne par les quatre armées alliées victorieuses ainsi que la perte de 25 % de son territoire, soit toutes les provinces à l’Est de la ligne fluviale Oder-Neisse.
Deux blocs se constituent. À l’Ouest, la zone tripartite occupée par les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France devient la RFA (République Fédérale Allemande) le 23 mai 1949, imitée le 7 octobre par la zone sous contrôle soviétique qui devient la RDA (République Démocratique Allemande).
La RDA, confrontée à un exode massif vers l’Ouest, va construire la frontière la plus étanche au monde, longue de 1 393 km de la Baltique à la Tchécoslovaquie. Une succession de clôtures, barbelés, miradors, mines, piè-
ges et alarmes, surveillée par 50 000 sol-
dats à laquelle s’ajoute à Berlin occupée par les quatre alliés, la construction d’un mur le 13 août 1961. Les tentatives d’évasion baissent de moitié, mais on dénombre plusieurs centaines de morts. Les seuls combats à la frontière sont la « guerre des prospectus », chaque camp larguant sur l’autre des tonnes de tracts.
« Nous sommes le Peuple »
Les années 1980 s’avèrent favorables aux Occidentaux car l’URSS en crise est occupée par la Perestroïka (reconstruction) menée par Mikhaïl Gorbatchev. Le Rideau de Fer se craquèle. En mai 1989, la Hongrie démantèle sa frontière avec l’Autriche. De nombreux Allemands de l’Est — qui ont le droit de voyager dans les autres pays communistes — s’engouffrent dans cette brèche et vont se réfugier dans les ambassades de la RFA à Prague, Varsovie ou Budapest. Ils seront acheminés vers l’Ouest dans des trains spéciaux qui, comble de l’ironie, traversent la RDA. Un mouvement pacifique, initié par deux pasteurs de Leipzig, commence à manifester chaque lundi dès septembre 1989. Malgré une répression sévère, le 9 octobre 1989, ce sont 70 000 personnes qui descendent dans les rues de Leipzig en scandant : Wir sind das Volk (Nous sommes le Peuple). Le 4 novembre, 500 000 personnes manifestent sur l’Alexanderplatz de Berlin.
Les dirigeants est-allemands sont pris de court. Egon Krenz, le Secrétaire du Parti communiste de la RDA, décide dans la matinée du 9 novembre d’élaborer un projet de loi facilitant les voyages et charge le porte-parole Günter Schabowski de l’annoncer à sa conférence de presse de 18h30, devant un parterre de journalistes surexcités. Au bout de 50 minutes de langue de bois, un journaliste italien pose la question que tout le monde attend : « Les citoyens de la RDA vont-ils pouvoir voyager librement ? ».
Embarrassé, Schabowski répond : « Nous avons donc décidé aujourd’hui de prendre une disposition qui permet à tout citoyen de la RDA de sortir du pays par les postes-frontières de la RDA ». Et quand on lui demande à partir de quand, il finit par concéder : « Pour autant que je sache… Immédiatement… Sans délai ». Les journaux télévisés relaient la nouvelle dès 19h30 et à 20h30 les citoyens de la RDA se dirigent vers les poste-frontières, y compris à Berlin.
Un parti communiste dépassé par les évènements
Le bureau politique du Parti, ignorant ce qui se passait, continue de délibérer alors que dès 20h45, le Bundestag (l’Assemblée de la RFA), réuni à Bonn, apprend la nouvelle et entame l’hymne national. À Berlin, la foule s’agglutine et à 23h30, les garde-frontières laissent passer. Les évènements s’accélèrent et la suite est connue. Scènes de liesse, pleurs, concerts... Dès qu’ils reçoivent de la RFA un pécule de bienvenue de 100 Marks, les « Ossis » se ruent sur un fruit longtemps défendu : la banane, qui devient un symbole de cette libération.
Dès le 11 novembre, on commence à abattre le mur. Le régime communiste s’effondre. Se pose la question de l’unification. Le 13 novembre, Gorbatchev déclare que c’est une question allemande dont il ne se mêlera pas, mais les Occidentaux craignent une Allemagne neutralisée, hors du giron de l’OTAN.
Les premières élections libres en RDA ont lieu le 18 mars 1990 et le 1er juillet, le Mark de la DDR est remplacé par le Deutsch Mark, à la parité de 1 pour 1 (une mesure controversée). Le 22 août, la RDA décide que les cinq Länder (provinces) de l’Est rejoindront la RFA le 3 octobre 1990, date effective de la réunification et désormais fête nationale, préférée au 9 novembre qui rappelait le pogrom de la Nuit de Cristal de 1938.
Entre-temps, le traité de Moscou du 12 septembre 1990 a reconnu la nation allemande comme souveraine dans les frontières de 1945. L’ancienne frontière inter-allemande devient une ceinture verte, rendue à la nature.
Finalement, la réunification a coûté 2 000 milliards d’euros à la RFA pour un rattrapage de l’Est qui n’est pas encore achevé. Indéniablement apaisée sur le plan militaire, l’Allemagne réunie est redevenue économiquement dominante, riche de ses surplus commerciaux, trop favorisés selon certains par la monnaie unique et de faibles investissements.
Longtemps réticente à partager les fruits de sa croissance, l’Allemagne semble avoir compris tout récemment — la crise du Covid aidant — la nécessité et l’intérêt « d’une solidarité extraordinaire » (dixit la chancelière Angela Merkel) et les devoirs envers ses partenaires que son leadership retrouvé lui impose.