La plus grande sainte des temps modernes *
Il y a cent ans mourait, au Carmel de Lisieux, une jeune religieuse de vingt-quatre ans totalement inconnue : Thérèse de Jésus et de la Sainte Face. Le centenaire de sa mort et le fait qu'elle soit proclamée, par le Pape, Docteur de l'Eglise, offre l'occasion de découvrir la vraie Thérèse , au-delà de l'iconographie un peu mièvre de la petite sainte aux roses . Dans ce but, nous avons rencontré deux personnes qui vivent dans la proximité de cette sainte : Mgr Guy Gaucher, carme, évêque auxiliaire de Bayeux-Lisieux, chargé du rayonnement de sainte Thérèse, et une religieuse du Carmel de la Sainte-Mère de Dieu, à Lectoure, dans le Gers.
On fête cette année le centenaire de la mort de sainte Thérèse de Lisieux qui va être proclamée Docteur de l’Eglise par le pape Jean-Paul II. Cette sainte touche aussi bien l'homme simple que l'intellectuel et depuis le début du pèlerinage sur sa tombe, dès 1899, les pèlerins de toutes sortes ne cessent d'affluer à Lisieux, où se trouve toujours le Carmel mais aussi une grande basilique, construite uniquement grâce aux dons. Comment cette carmélite, douce et simple, a-t-elle pu avoir un tel rayonnement qui ne cesse de croître ? Quel est l'apport de cette sainte à la spiritualité du XXe siècle ?
Je désire être sainte
A travers le contexte de la fin du XIXe siècle, empreint de jansénisme, où la crainte de Dieu l'emporte sur l'amour et la confiance, Thérèse retrouve assez tardivement l'Amour miséricordieux de Dieu. Cet Amour miséricordieux est le fondement de sa spiritualité et toute sa démarche spirituelle tend vers cet Amour. Son chemin est d'ailleurs solitaire. Aucun prêtre ne l'a profondément marqué, même si sa famille, ses éducateurs et ses maîtres du Carmel y ont beaucoup contribué. Ce n'est qu'à vingt-deux ans que deux textes de l'Ancien Testament, lus sur les carnets apportés au Carmel par sa sœur Céline, elle aussi carmélite, vont la transformer complètement et lui indiquer le chemin, la petite voie pour arriver à Dieu.
Toute adolescente, Thérèse a un désir de sainteté. Plus tard, au Carmel, la lecture de saint Jean de la Croix l'influence et l'aide à ne pas se décourager puisque ce grand saint indique lui-même que Dieu ne saurait inspirer des désirs irréalisables.
Son acte d'offrande à l'Amour miséricordieux, à l'âge de 22 ans, le 9 juin 1895, est l'un des sommets de sa vie spirituelle : Je désire être sainte, mais je sens mon impuissance et je vous demande, ô mon Dieu ! d'être vous-même ma sainteté.
Dès lors, elle vivra dans cet abandon à la tendresse paternelle miséricordieuse de Dieu.
Ses intuitions, dit Mgr Guy Gaucher, en font une annonciatrice des grandes vérités remises en lumière par Vatican II :
- Primauté du mystère pascal de Jésus sur toutes les dévotions éclatées ;
- la voie de la sainteté pour tout baptisé ;
- mariologie qui voit en Marie plus une Mère qu'une Reine, ayant vécu l'épreuve de la foi, comme le souligne le poème Pourquoi je t'aime, ô Marie, testament marial de mai 1897 ;
- ecclésiologie de communion fondée sur la présence de l'Amour (l'Esprit-Saint) au cœur de l'Eglise qui anime toutes les vocations complémentaires dans la Communion des Saints du Ciel et de la Terre ;
- révolution aussi dans la conception des Fins dernières : non plus le repos, mais l'action : Je passerai mon ciel à faire du bien sur la terre.
La voie de l’enfance
Thérèse n'a rien apporté de nouveau, à proprement parler. Elle est d'abord revenue à la Parole de Dieu, dans sa pureté radicale , insiste Mgr Guy Gaucher.
La petite Thérèse a retrouvé la pureté de l'Evangile, dit, comme en écho, la jeune carmélite du Carmel de Lectoure. Elle a aussi retrouvé la simplicité de la prière dans la confiance et l'abandon. Et, enfin, la joie au cœur de la souffrance dans un élan apostolique, c'est-à-dire qu'elle a reçu la grâce de retrouver les racines de la Réforme de sainte Thérèse d'Avila, en se dégageant d'une déformation des influences jansénistes de l'Eglise en France, en cette fin du XIXe siècle. Proclamée Patronne des missions, elle prouve à l'Eglise la valeur apostolique de la vie cloîtrée, offerte à Dieu seul.
Sa doctrine est la voie de l'enfance, la petite voie dictée par Jésus dans l’Evangile : Si vous ne redevenez pas comme des petits enfants, vous n'entrerez pas dans le Royaume des Cieux. (Mt 8, 13). Cette voie passe non pas par la relation de crainte mais par la relation filiale, confiante, précise Mgr Guy Gaucher. Le chemin de Dieu passe par le Fils. A une époque où Dieu était considéré surtout comme un Dieu justicier, Thérèse place la gratuité de l'Amour au cœur de sa vocation et la Trinité au cœur de sa foi. Elle redécouvre aussi l'appel à la sainteté dans l'ordinaire de la vie et les vertus théologales : foi, espérance et amour... Non seulement elle redécouvre ces vérités évangéliques, mais elle les vit.
Toute sa spiritualité est marquée par une fécondité étonnante, à commencer par les congrégations nées d'elle : on compte, en effet, cinquante congrégations apostoliques, masculines et féminines thérésiennes.
Docteur de l’Eglise
Que signifie Docteur de l'Eglise ? C'est un titre officiellement donné à un saint catholique remarquable par la sainteté de sa vie, par la qualité et l'orthodoxie de sa doctrine, de sa science théologique et spirituelle qui doit avoir une portée universelle. C'est l'Eglise qui, par la voix du Pape, après l'examen d'un dossier théologique et historique déposé aux Congrégations des Saints et de la Foi, puis aux cardinaux, déclare le Doctorat d'un saint ou d'une sainte.
Sainte Thérèse sera le trente-troisième Docteur de l'Eglise, et la troisième femme à porter ce titre, après Thérèse d'Avila (1515-1582) et Catherine de Sienne (1347-1380) (1).
Il n’est pas nécessaire d'être intellectuel ou cultivé pour être Docteur de l'Eglise, puisque Catherine de Sienne ne savait ni lire ni écrire. Le souhait de voir Thérèse Docteur de l'Eglise n'est pas nouveau, explique Mgr Guy Gaucher, puisqu'il remonte à 1932. Les femmes Docteurs sont très peu nombreuses tout simplement parce qu'avant, elles n'étudiaient pas et que c'étaient les hommes qui détenaient le savoi-, l'Ecriture. Catherine de Sienne est une exception. Elle était illettrée mais a dicté ses Dialogues et une importante correspondance. J'espère que le choc que provoquera le Doctorat de Thérèse reposera la question de la place de la femme dans l'Eglise.
Pour la carmélite de Lectoure, Ce titre signifie pour les chrétiens que Thérèse a réellement un charisme d'enseignement pour l'Eglise d'aujourd'hui. Déjà Le Catéchisme de l'Eglise catholique a donné plusieurs citations de Thérèse, signe que sa façon toute simple et intuitive de parler du Mystère de Dieu peut aider les chrétiens à approfondir leur foi.
Thérèse disait : Je serai toujours ta sœur et ton amie. Après ma mort, je ferai tomber une pluie de roses. La plus belle rose qu'elle puisse nous donner est d'être cette sœur et cette amie qui, près de nous, nous explique les paroles de Jésus ; avec elle, l'Evangile redevient la Bonne Nouvelle de la Miséricorde.
Il est certain que son autobiographie, Histoire d'une âme, publiée en 1898, reste la trace écrite la plus importante de son expérience spirituelle et la base de son Doctorat. Ce livre, réalisé par Mère Agnès de Jésus, sœur de Thérèse, et publié par ses soins un an après la mort de la sainte, fut, dès sa parution, un événement. Il se répand dans le monde entier et est traduit dans toutes les langues. Les grâces, les miracles sont multiples. Ce premier livre va être remanié ensuite par souci de retrouver les textes originaux et aboutira à l’édition des Manuscrits autobiographiques, publiée au Carmel de Lisieux en 1956-1957, et reprise par les éditions du Cerf et Desclée De Brouwer, en 1972. C'est par cette dernière édition que commencent la Nouvelle Edition du Centenaire et les Œuvres complètes en un volume, publiées en 1992 (2)
Le rayonnement de Thérèse
Aujourd'hui son rayonnement est national et international. Il s'est développé très vite. Dès 1898, l'Histoire d'une âme a eu un succès qui a dépassé toutes les attentes. Le pèlerinage auprès de sa tombe, à Lisieux, a débuté un an plus tard, en 1899 et le procès de béatification en 1910. Les miracles et les grâces n'ont cessé de pleuvoir depuis sa mort que, de son vivant, elle appelait son entrée dans la vie. N'avait-elle pas déjà annoncé cette pluie de roses ? Thérèse sera canonisée en 1925.
Dans les différents pays du monde, on fête en cette année 1997 l'année thérésienne. A commencer par la France qui, dans le diocèse de Lisieux, mais aussi dans les autres diocèses de France, a eu de nombreuses initiatives pour célébrer cette sainte. Le passage des reliques dans différentes villes et, tout particulièrement, le patronage de sainte Thérèse pour les Journées Mondiales de la Jeunesse, qui reprend le souhait de Jean-Paul II exprimé dans son message du 15 août 1996, aux jeunes du monde, pour préparer ces mêmes Journées : Le 30 septembre 1997, l'on fera mémoire du centenaire de la mort de Sainte Thérèse de Lisieux... (voir encadré).
Thérèse comme Antoine
Mais par-delà sa profonde spiritualité et son rayonnement évangélique, Thérèse est aussi, comme Antoine de Padoue, l’objet d’une grande dévotion populaire. Dans de très nombreuses églises et chapelles, sa statue voisine avec celle d’Antoine. Cet élan et cet attachement sont, pour Thérèse de Lisieux comme pour Antoine de Padoue, l’expression de la foi du peuple de Dieu.
A Lisieux comme à Padoue, les pèlerins représentent ce peuple, aux origines et aux motivations diverses. Cette foi populaire rejoint la vie contemplative, celle de Thérèse. Notre carmélite du Carmel de la Sainte-Mère de Dieu, à Lectoure, parle ainsi du lien qui unit ces deux modes de vie spirituelle : Entre foi populaire et vie contemplative, le lien est fort et profond, car toutes les deux sont pauvres, et c'est au cœur pauvre que Dieu se communique. Toutes les deux sont centrées sur l'essentiel de la foi : le Credo leur suffit, le catéchisme de l'Eglise catholique est leur repère : elles y puisent Dieu, sa présence, son amour, son mystère. Cette simplicité propre à la foi populaire et à la vie contemplative assure leur solidité, leur santé.
A l'aube du IIIe millénaire, le message de Thérèse est une invitation, renouvelée sans cesse par le pape Jean-Paul II, à retrouver en soi cet Amour miséricordieux, qui chasse la peur.
Monique de Castellan-Farisy
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* C'est le pape Pie X, au début du XXe siècle, qui parlant de Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la Sainte Face à un missionnaire, lui dit cette parole prophétique : C'est la plus grande sainte des temps modernes.
(1) Deux exemples de saints Docteurs de l'Eglise : saint Antoine de Padoue (1195-1231) et saint Jean de la Croix , fondateur de l'ordre des Frères déchaux du Mont Carmel (Carmes déchaux) (1542-1591).
(2) L'ensemble des écrits de Thérèse compte, en plus de l’œuvre centrale Manuscrits autobiographiques. Histoire d'une âme, 266 lettres, 54 poésies, 8 pièces de théâtre, 21 prières, des écrits divers.