La miséricorde selon Léopold
En ce temps qui précède le mercredi des Cendres, le pape François a demandé à ce que les corps de deux grands saints capucins, Léopold Mandic et Pio da Pietrelcina, soient exposés à la vénération des fidèles en la basilique Saint-Pierre. Bonne occasion pour évoquer celui qui fut le confesseur miséricordieux par excellence, saint Léopold Mandic.
Herceg-Novi, la ville natale de saint Léopold Mandic se situe au Monténégro, au bord de l’Adriatique, à quelques kilomètres seulement de la Croatie. On est ici à l’exacte séparation entre l’Empire romain d’Orient et l’empire romain d’Occident. Herceg-Novi porte aussi un nom italien, Castelnuovo di Cattaro, car la côte Dalmate s’est trouvée sous influence vénitienne, au temps de la splendeur de la République sérénissime. Ces données historiques donnent les clés humaines du parcours et de la vocation de notre saint capucin.
En 1866, il y a donc 150 ans, dans une vieille famille catholique croate, le dernier des douze fils de Pierre Mandic et de Caroline Zarevic voit le jour. Au baptême, il reçoit le nom de Bogdan Ivan (Dieudonné Jean). « Je suis Dalmate », répétera-t-il toute sa vie, et être « Dalmate » ce n’est pas rien en termes d’identité culturelle et surtout de caractère. À cette époque, Herceg-Novi compte une petite communauté de capucins de la province de Venise. Au contact des frères, Bogdan sent naître en lui la vocation religieuse. Mais pour y répondre, il va devoir quitter son pays. Un soir de novembre 1882, l’adolescent, accompagné de son père, arrive à l’école séraphique (séminaire franciscain) d’Udine en Italie. Le regard du père gardien se porte sur ce jeune de seize ans, trop petit pour son âge, maigre et pâle. Vraiment, il ne paie pas de mine, avec son air gauche qu’augmentent encore sa timidité et sa démarche lourde. Et voici qu’il parle mal : il bégaye. Mais c’est un jeune homme décidé : il veut devenir prêtre dans l’Ordre des Frères Mineurs Capucins.
Deux années plus tard, Bogdan prend l’habit, reçoit le nom de « frère Léopold » et commence son noviciat. Il fait profession à Padoue en 1888, et après de bonnes études de théologie, il est ordonné prêtre en la majestueuse basilique de la Madonna della Salute à Venise le 20 septembre 1890. Léopold réside d’abord en divers couvents (dont Zara qui le rapproche de son pays), puis à partir de 1909, et jusqu’à sa mort, en 1942, il sera confesseur au couvent Santa Croce de Padoue.
L’appel de l’orient
Trajectoire apparemment rectiligne, et pourtant que de combats intérieurs en ce petit homme, qui ne mesurera jamais plus d’un mètre trente-cinq. Dès la période de ses études, frère Léopold se sent « appelé » à travailler à l’union des chrétiens d’Orient avec l’Église catholique latine. En homme de son temps, le capucin conçoit l’unité des chrétiens comme le retour de ceux qu’il appelle « les dissidents » dans le giron de l’Église catholique. Aujourd’hui, nous ne voyons plus exactement les choses ainsi, mais ce qui est extraordinaire, c’est son ardeur œcuménique avant la lettre. Toute sa vie, Léopold va chercher à répondre à cet appel intérieur, et pourtant, à première vue, ce sera toujours en vain. En effet, ses supérieurs ne vont jamais l’autoriser à retourner comme missionnaire dans son pays. Ce qui peut d’ailleurs se comprendre : en raison de sa fragilité physique et de son bégaiement, frère Léopold est incapable de se consacrer à la prédication.
Confesseur
Léopold Mandic a passé presque la moitié de sa vie au couvent des Capucins de Padoue, renfermé dix à quinze heures par jour dans sa cellule-confessionnal sans chauffage de deux mètres par trois, et dépensant toute son énergie à accueillir les fidèles, les plus pauvres comme les professeurs d’université et les prêtres séculiers, dans la célébration du sacrement de pénitence. De cette manière, l’Orient, qu’il désirait rejoindre comme missionnaire, est devenu chaque personne qui venait chercher son aide spirituelle. « Désormais, tout pénitent sera mon Orient », écrira-t-il à plusieurs reprises. Sa popularité de confesseur est telle, qu’en 1923, lorsque ses supérieurs le transfèrent au couvent de Rijeka en Croatie, l’évêque de Padoue, au nom de la ville tout entière, fait pression sur le provincial capucin afin de le faire revenir. Et Léopold est aussitôt de retour en la ville de saint Antoine.
Le modèle du confesseur miséricordieux
Un épisode de son enfance l’a sans doute marqué à jamais : à l’âge de huit ans, pour une faute sans gravité, son curé le contraint à rester longtemps à genoux au milieu de l’église. Au lieu de se révolter, il en tire un enseignement et une résolution pour son futur ministère. « Je restai, écrira-t-il plus tard, profondément attristé et pensai en moi-même : Pourquoi traiter si durement un enfant pour une faute si légère ? Quand je serai grand, je veux me faire religieux, devenir confesseur et traiter les âmes des pécheurs avec beaucoup de bonté et de miséricorde ». C’est ce qu’il fera toute sa vie, et notre pape François a bien raison d’en faire un modèle pour les confesseurs.
L’expérience lui apprend combien il est important de mettre le pénitent à l’aise et en confiance. L’un d’eux rapporte ce témoignage : « Il y avait bien des années que je ne m’étais pas confessé. Finalement je me décidai et je vins trouver le père Léopold. J’étais très inquiet, gêné. À peine étais-je entré, qu’il quitta son siège et m’aborda, tout content, comme un ami attendu : “Je vous en prie, prenez place”. J’allai, dans mon trouble, m’asseoir dans son fauteuil. Lui, sans un mot, s’agenouilla par terre et entendit ma confession. Quand elle fut terminée, et alors seulement, je pris conscience de ma balourdise et voulus m’excuser ; mais lui, souriant : “De rien, de rien, dit-il. Allez en paix”. Ce trait de bonté resta gravé dans ma mémoire. Ce faisant, il m’avait entièrement conquis ».
Léopold a eu le bonheur de pouvoir confesser jusqu’à la veille de sa mort. Le 30 juillet 1942, à 5h30, alors qu’il se prépare à célébrer la messe, pris d’un malaise, il tombe à terre. On lui donne le sacrement des malades, et ses frères récitent avec lui le Salve Regina. À peine a-t-il murmuré, « O clemens, o pia, a dulcis Virgo Maria », qu’il rend doucement son âme à Dieu. Le bombardement du 14 mai 1944 qui a lieu deux ans plus tard sur Padoue, détruit l’église et le couvent des capucins, mais n’aura raison ni de la statue de Marie ni de la cellule-confessionnal de Léopold Mandic, lesquelles demeurent intactes. L’Amour ne passera jamais.