La mémoire retrouvée des Yvelines
Si les musées de Paris brillent par leurs expositions, ceux de province ne sont pas moins riches en rétrospectives qui retracent la vie de leur région. Mantes-la-Jolie a regroupé les richesses du patrimoine des Yvelines dans l’exposition Les choix de la mémoire. |
Le panorama s’étend de l’époque gallo-romaine jusqu’à nos jours, montrant tour à tour du mobilier antique et mérovingien, des sculptures, des peintures, des instruments scientifiques, des édifices religieux et civils d’un département qui comprend une grande partie de l’ancienne Seine-et-Oise, avec son centre administratif à Versailles. Par tous ces objets, l’exposition retrace une histoire du département qui est l’aboutissement d’un long travail de recherches, de découvertes, d’inventaires, de restaurations, car de très nombreuses œuvres ont été sérieusement endommagées par les éléments naturels, mais aussi par les destructions ou dégradations provoquées par les guerres, la négligence, les décisions des rois et la Révolution de 1789, et dont le symbole le plus significatif est Port-Royal-des-Champs que Louis XIV fit raser au grand scandale de Racine . Dans l’esprit des organisateurs, ces reconstructions doivent permettre à nos contemporains de retrouver leurs racines et de prendre en compte, à l’échelon local, une culture, indispensable pour se situer dans un monde mobile et changeant (Franck Borotra).
Outre leur intérêt historique, les objets exposés représentent la fierté d’une région qui a pris soin d’un patrimoine provenant d’archives savamment entretenues, de fouilles archéologiques, de demeures particulières, d’inventions et de techniques, et d’un patrimoine religieux qui est, lui aussi, un élément précieux de la mémoire.
Intérêt du patrimoine religieux
Ce patrimoine conserve la mémoire d’architectures, anciennes comme la cathédrale de Mantes-la-Jolie, récentes, comme les églises bâties à la fin du siècle dernier et dans le nôtre, ainsi que d’une liturgie préconciliare dont nombre d’éléments ont disparu et d’un culte populaire, à saint Martin, saint Sébastien, saint Roch, et la production industrielle, dite de Saint-Sulpice .
A cet art, l’exposition attribue une importance majeure, en raison du nombre des œuvres et parce que, sans lui, nombre de chefs-d’œuvre et d’artistes des siècles passés, et de nos jours, deviendraient incompréhensibles. Ressusciter ces œuvres, c’est, au contraire, prouver que l’art peut s’allier, comme chez un Maurice Denis, à une profonde sensibilité religieuse ; c’est apprendre aux jeunes à les lire et les ouvrir à une culture religieuse qui manque tragiquement aux générations présentes.
Autre préoccupation majeure des organisateurs de l’exposition : montrer les objets dans les lieux et les édifices pour lesquels ils ont été créés. Un retable dans une église est destiné à évoquer le saint que l’on y vénère ou l’événement que l’on célèbre ; détaché de son contexte, il parlera comme œuvre d’art, mais ne communiquera plus la charge spirituelle pour laquelle il a été conçu. Les difficultés liées à la conservation, les risques de dégradations et de vols conseillent, certes, de les éloigner du cadre des églises, mais cela accroît l’écart entre l’œuvre et la possibilité d’en saisir la signification.
Vases, gobelets, verreries
Les premiers souvenirs de la mémoire des Yvelines remontent à l’archéologie. Ainsi peut-on admirer un gobelet mérovingien de la première moitié du VIe s. résultant du collage des cent huit morceaux auxquels l’avaient réduit les engins de terrassements. De même, les objets retrouvés dans la tombe d’une femme d’origine espagnole à Vicq (VIe s.) montrent qu’elle avait intégré les coutumes propres à son pays à ceux du pays des Francs. Datant du XVIe s, une pile à godets (boîte de métal contenant une série de poids s’emboîtant les uns dans les autres), découverte en forêt de Saint-Apolline (commune de Plaisir), témoigne d’un système de mesure qui eut cours depuis Charlemagne jusqu’au XVIe s.
Splendides madones médiévales
De la primitive collégiale de Mantes datant du XIIe s., restent les portails central et nord, celui du sud ayant été renouvelé à la fin du XIIIe, et des torses et têtes de rois provenant probablement d’une galerie des rois. Mais les plus belles pièces de l’exposition sont les magnifiques statues en bois et en pierre polychrome représentant la Vierge ou autres saints dont le culte était répandu dans la région. A l’église Sainte-Anne de Gassicourt (Mantes-la-Jolie), une Vierge en bois d’une rare finesse tient son Enfant sur son genou gauche, et la position décalée de celui-ci imprime un mouvement qui anime l’ensemble. A Saint-Aubin de Limay, la Vierge est assise en trône et le mouvement est obtenu grâce à une torsion du corps de l’Enfant qui esquisse un pas en avant.
Datant du XVe s., à Richebourg (église Saint-Georges), une Vierge à l’Enfant, en pierre polychrome et dorée ; la fleur d’églantine qu’elle présente à l’Enfant le relie à la sculpture bourguignonne, tandis que le mouvement du manteau est un élément propre à l’Ile-de-France. On en trouve de nombreux exemplaires en Yvelines (Agnès Barruol).
La Vierge de l’Eglise Saint-Crépin-Saint-Crépinien (Gommecourt) est un exemple rare de plasticité et de polychromie. Le corps rendu sinueux par le poids de l’Enfant est dans la tradition des Vierges gothiques et rappelle les sculptures languedociennes dans lesquelles la Vierge a le visage d’une très jeune fille, où le temps n’a pas encore creusé les rondeurs de l’enfance (Béatrice de Chancel-Bardelot). L’Enfant est en position droite et tient un globe dans sa main gauche. La polychromie était extrêmement soignée : motifs peints sur feuille d’or sur le manteau, décors avec imitation de fourrure d’hermine dans le revers du manteau, robe bleue, polychromie blanche à accents noirs du col échancré, carnations pâles.
Parmi les représentations des saints, La Charité de saint Martin est une des plus répandues et requiert de la part des artistes de véritables prouesses pour réaliser une statue équestre, le mouvement en avant du cheval, la présence d’un piéton sur béquille au niveau du sol et l’attitude du saint partageant son manteau avec son épée (église Saint-Martin de Follainville-Dennemont ; église de Villiers-le-Mahieu).
Peintures et allégories
La peinture est présente avec les grands noms de Claude Vignon (1593-1670), Déploration du Christ mort à l’église Notre-Dame de Versailles ; Pierre-Jacques Cazes (1676-1754) : Allégorie à la mort du Grand Dauphin - église Sainte-Madeleine de Davron ; Jean Restout (1692-1768) : Le Repas chez Simon - église Saint-Martin de Chevreuse ; Jean-François Sané (1732-1779) : Saint Sébastien - église Saint-Vincent de Bullion ; Elisabeth Vigée-Lebrun, Sainte Geneviève en bergère - Louveciennes, peinte en 1821 et dont les traits donnés à la sainte évoquent le portrait posthume de la fille du peintre, décédée en 1819. Rappelons encore Eugène Delacroix (1798-1863) : Vierge des moissons - église Saint-Eutrope d’Orcemont ; Savinien Petit (1815-1878), Jésus chez Marthe - église Saint-Georges de Richebourg ; Paul-Albert Laurens (1870-1934), Saint Martin - église Saint-Martin de Follainville-Dennemont ; Gabriel Girodon (1884-1941), Le Golgotha - église Saint-Eloi de Perray-en-Yvelines, et les seize peintures murales de l’église Saint-Martin de Grosrouvre, conçues par l’abbé André Pascal (1867-1932), réalisées par Pierre-Léon Dusouchet (1876-1936) dans les années 20, dans le but de reconquérir à la foi, au moyens d’images accessibles à tous, les campagnes en voie de déchristianisation.
Télescopes, hygromètres et... chapelles
L’inventaire du patrimoine des Yvelines ne peut s’achever sans évoquer les lieux, les objets et les instruments liés aux découvertes scientifiques et au progrès de l’industrie. Ainsi a-t-on reconstitué le cabinet de l’abbé Nollet ; on retrouve la célèbre marmite de Papin, l’éolipyle de l’abbé Nollet, un instrument déjà imaginé par Héron d’Alexandrie, au IIe s. av. J.-C. et servant à mettre en évidence la force motrice de la vapeur d’eau. des presses à vis, le télescope grégorien de Passemant, des hygromètres, etc.
Le terme chapelle désigne enfin un ensemble d’objets liturgiques – calice, ciboire, patène, burettes, clochette – réalisés par des orfèvres du département et destiné à des chapelles particulières, comme Edme Gelez (1784 ?), Jacques-Alexandre Basnier et Quentin Baschelet, donnés à l’église Saint-Jean-Baptiste de Rosny-sur-Seine et actuellement en dépôt à l’hospice Saint-Charles.
Une magnifique crosse épiscopale de l’orfèvre parisien Placide Poussielgue-Rusand, datant de 1876, clôt notre parcours, laissant derrière lui des souvenirs plus profanes mais non moins marquants pour la mémoire des Yvelines, tels que les villas avec leurs intérieurs, et, célèbre entre tous, le remorqueur Le Jacques, construit en 1904-1905, classé Monument historique et témoignage précieux de l’activité fluviale et de la vie des mariniers de la Seine.
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Mantes-la-Jolie, Musée de l’Hôtel-Dieu, 19 octobre 1997-18 février 1998. Catalogue : broché, 150 FF ; relié, 230 FF.