La Bible, célèbre et mal connue
Du 5 au 26 octobre se tient à Rome le XIIe synode ordinaire des évêques sur le thème : « La parole de Dieu dans la vie et dans la mission de l’Église ». 40 ans après la constitution Dei Verbum qui a profondément changé la place de la Bible dans la vie ecclésiale et spirituelle, il est temps de faire un bilan pour savoir comment les fidèles abordent la Parole de Dieu.
Quel paradoxe ! Alors que la Bible reste le livre le plus vendu dans le monde, une récente étude commandée par la Fédération biblique catholique et menée dans huit pays occidentaux, montre que si une large majorité des personnes interrogées possèdent une Bible (seule exception, la France où 48% des Français en ont une dans leur bibliothèque), seuls 20 à 38 % des Européens ont lu au moins un passage de la Bible au cours des 12 derniers mois (75% aux États unis).
Pour 70% des sondés, cette lecture est en effet complexe. Une situation non ignorée par les évêques. Dans les Lineamenta, le questionnaire préparatoire à la XIIe assemblée générale ordinaire du Synode des évêques qui a lieu à Rome du 5 au 26 octobre, il est ainsi indiqué que « la majorité des chrétiens n’a pas de contact effectif et personnel avec les Ecritures, et ceux qui l’ont vivent des incertitudes théologiques et méthodologiques importantes au regard de la communication. »
Comment expliquer cette situation alors que le Concile Vatican, le 18 novembre 1965, par la constitution Dei Verbum demandait à ce « que l´accès à la Sainte Ecriture soit largement ouvert aux chrétiens » ? (DV 22). Pour Gérard Billon, le directeur du service biblique catholique français, il ne faut pas sous-estimer les barrières psychologiques. Surtout dans la France laïque, note-t-il, où lire la Bible est considéré comme une forme de prosélytisme.
La barrière culturelle est aussi importante. En effet, les références cosmologiques, historiques et sociales de la Bible, et a fortiori de l’Ancien Testament, sont très différentes des références contemporaines. Dans le document de travail du synode, l’Instrumentum laboris, les évêques assurent qu’il existe « une certaine résistance devant des pages de l’Ancien Testament qui semble incompréhensible ». Mais selon Gérard Billon, les textes antiques comme l’Illiade d’Homère ou Les Grenouilles d’Aristophane rencontrent les mêmes problèmes.
Les révolutions de Dei Verbum
Le tableau est-il si noir ? Gérard Billon rappelle qu’avant la constitution conciliaire Dei Verbum, la majorité des catholiques à l’image de Thérèse de Lisieux, n’avait jamais lu la Bible en entier. Ils la connaissaient partiellement par la médiation des prédicateurs et par la catéchèse. Aussi cette constitution a introduit de grands changements liturgiques et universitaires, et a produit d’importants bouillonnements ecclésiaux et spirituels.
En modifiant le lectionnaire* qui introduit notamment une première lecture extraite de l’Ancien Testament lors de la liturgie, la notion d’accomplissement des Ecritures en Jésus Christ a élargi la connaissance de la Bible. Comme le lieu le plus commun de l’écoute de la Parole de Dieu reste la messe dominicale, la connaissance globale par les fidèles de la Bible a aussi progressé. Les évêques insistent ainsi dans l’Instrumentum laboris sur « l’urgence que le laïcat ne soit pas seulement un sujet passif, mais devienne aussi bien un auditeur de la Parole de Dieu qu’un annonceur correctement préparé, soutenu par la communauté ».
Grâce au renouveau des études universitaires exégétiques, on lit également mieux la Bible. On sait beaucoup mieux distinguer le caractère historique et littéraire des textes. Les lectures fondamentalistes diminuent même si encore un tiers des Américains et des Polonais pensent que la Bible décrit réellement l’histoire de l’Humanité, selon l’étude de la Fédération biblique catholique (avril 2008).
Enfin, les groupes d’étude biblique, même s’ils sont minoritaires (2% des lecteurs de la Bible) ont été dynamisés par Dei Verbum. Après des périodes de réflexions historicistes et structuralistes dans les années 1970-1980, ces groupes insistent depuis les années 1990 sur la Lectio divina. Cette “méthode” reprend en fait la vieille tradition monastique qui consiste dans un premier temps à observer le texte, puis à le méditer et enfin à prier (meditatio, contemplatio, oratio). Pour Gérard Billon, cette lecture « avec ses procédures et ses limites offre un nécessaire, éprouvant et fructueux passage par la “distanciation objective” avant d’entamer le deuxième temps, celui de “l’appropriation subjective” ».
Valoriser et encourager la Lectio divina
Après le synode sur l’Eucharistie (2005), ce synode sur la Parole de Dieu poursuit la réflexion sur la Parole comme Pain de vie. Comme au cours des célébrations dominicales c’est sur le même autel que le prêtre prend la Parole et le Pain, il convient de réfléchir sur l’interaction de ces deux modes de la présence du Christ.
Dans la lignée de Dei Verbum, les 200 évêques qui participeront à ce synode mettront en avant la place centrale de la Parole de Dieu dans la vie de chaque fidèle. Car selon eux « on constate une plus grande familiarité avec la Bible, mais une connaissance insuffisante de l’ensemble du dépôt de la foi à laquelle elle appartient ». Ils devraient encourager la pratique de la Lectio divina et la formation des prédicateurs, car ils aident « les fidèles à avoir [une] vision harmonieuse de la Parole, en évitant toute forme erronée, réductive ou ambiguë de compréhension, et en leur donnant la possibilité de devenir des auditeurs attentifs de la Parole partout où elle résonne » (cf. Instrumentum laboris). Ils encourageront certainement les conférences épiscopales à organiser une pastorale biblique.
Dei Verbum
« Les premiers mots de Dei Verbum font l’objet d’une réflexion permanente et d’une application fidèle : “quand il écoute religieusement et proclame hardiment la Parole de Dieu” (DV 1).
Ces mots résument l’essence de l’Eglise dans sa double dimension d’écoute et de proclamation de la Parole de Dieu. Aucun doute ne subsiste : la Parole de Dieu doit occuper la première place. Ce n’est qu’à travers elle qu’on peut comprendre l’Eglise. Elle se définit comme étant l’Eglise qui écoute. C’est dans la mesure où elle écoute qu’elle peut aussi être une Eglise qui proclame. »
Instrumentum laboris pour la XIIe assemblée générale ordinaire du Synode des évêques (11 juin 2008).