La bande dessinée, outil de charme
À 37 ans, Joseph voit la bande dessinée comme un « ressourcement » qu’il s’octroie régulièrement. « Une fois par mois, j’en prends une dans ma bibliothèque, c’est un moment de vraie détente hyper sympa », confie ce père de six enfants, directeur d’établissement scolaire, à l’agenda bien rempli. Ses albums préférés ? « Tintin, Calvin et Hobbes, Pico Bogue et son immense humour, Corto Maltese, les Tuniques bleues, qui apportent tout un univers, mythique, poétique, nostalgique, avec un scénario improbable et un héros solitaire bagarreur… »
Pour Cyprien, également trentenaire, la bande dessinée revêt une image « d’unité familiale », notamment à Noël. « On a la tradition de s’offrir mutuellement des BD, et pour moi c’est un outil de communication familiale. Mon père a une surdité et on a toujours eu du mal à communiquer, mais la BD nous apporte un lien facile, spontané, naturel ». Ainsi, dans cette famille à la tradition rurale, une complicité se crée autour du dernier Black et Mortimer ou Michel Vaillant. « Pour moi l’image de la BD, c’est mon frère et mon père assis sur le divan du salon au milieu du tourbillon familial, en train de lire leur cadeau… En général, la soirée de Noël se termine par un grand club de lecture », s’amuse Cyprien.
Un pont entre les générations
Le premier souvenir de BD de cet amateur inconditionnel ? « La fin des Cigares du Pharaon ,quand Tintin défile à dos d’éléphant. C’est une image chatoyante qui m’avait beaucoup fasciné quand j’étais petit, et j’ai le souvenir d’avoir lu, relu, re-relu cette séquence quand j’étais chez mes grands-parents, allongé par terre sur le tapis ». Une lecture accessible aux enfants mais partagée par tous les âges, tel est le mérite de la bande dessinée, estime encore Cyprien. « Je regardais les images de toutes les scènes animalières dans Tintin avec passion avant de savoir lire. Puis au fil des années et de la maturité, on peut les relire avec un angle différent, une compréhension différente, on passe de l’image simple à la complexité des dialogues et des cultures ».
Dotée de différents niveaux de lecture, poursuit-il, la BD « va créer le pont entre les générations. Comme Johnny qui faisait venir à ses concerts le grand-père, le père et le fils, la BD, et particulièrement Tintin et les grands classiques, réunit les générations ». Et de noter : « Les romans un peu sophistiqués ne créent pas la même communion ».
Une interprétation de la vie
Cependant la bande dessinée, « ce n’est pas du Proust », tempère Joseph. Pour ses enfants, il veille au choix des BD, afin que « ce soient des moments qui élèvent, qui fassent grandir ». Il regrette que ses garçons soient « plus friands de BD que de lecture de romans. Il font peu d’efforts, c’est une histoire imagée qu’ils regardent ». Louis-Charles rejoint sa réserve. Artisan dans les Côtes d’Armor, père de famille, il pense qu’à l’âge de l’apprentissage de la lecture, « il faut être vigilant à ouvrir à la lecture classique, qui développe plus l’imaginaire que les BD ». Dans sa jeunesse, ses parents avaient ainsi passé « un deal » avec lui : « J’avais le droit de prendre une BD en bibliothèque s’il y avait un livre aussi ». La BD reste un « parallèle de la littérature classique, un complément de lecture », glisse Louis-Charles, même si selon lui, « il est plus sain de lire une BD que de regarder une série ».
« Non, la BD n’est pas du tout un art mineur ! », défend Cyprien de son côté. « Comme les films, comme les séries, comme les romans, comme dans tous les domaines de la vie culturelle, on y trouve des choses vulgaires et perverses, et au contraire des lectures vraiment enrichissantes, qui font découvrir un moment d’histoire. La fiction pure aussi fait réfléchir, elle réveille une interprétation de la vie très enrichissante ». « Lorsque mes neveux se jettent sur une BD en arrivant chez moi, je le vois comme un signe d’éveil, de curiosité », assure-t-il. « Pour moi, conclut Cyprien, Hergé aurait mérité d’avoir le prix Nobel de littérature. C’est une forme de littérature, une forme d’écriture. Et si Bob Dylan a eu le Nobel pour des chansons, ne peut-on pas imaginer que la BD soit récompensée aussi un jour ? »