Jubile des artisans: Le plaisir de restaurer du bois
Parfum de cire qui domine les senteurs des bois... Au milieu de l'atelier, une armoire réduite en planches, des sièges, une commode qui n'attend qu'un tiroir pour retrouver son lustre... Des établis, un lot de morceaux de bois vieillis pour la restauration...
Nous sommes dans l'atelier de Catherine Eléouet, ébéniste à Grenoble, lourdes chaussures aux pieds et pantalon de travail... mais visage très féminin, léger maquillage et boucles d'oreille.
Le Messager : Comment êtes-vous devenue ébéniste ? Il n'y a pas beaucoup de femmes dans cette branche.
Catherine Eléouet : J'avais commencé des études de comptabilité qui ne me plaisaient pas. Ce qui m'attirait, c'était le bois. Il touche tous les sens, et principalement l'odorat, avec le parfum de la cire. Si je travaille un petit morceau de cèdre, l'atelier est embaumé pendant dix jours. Le toucher aussi est concerné : lorsqu'on fait un vernis au tampon, le bois a la douceur et la chaleur d'une peau de bébé. Quant à l'œil, il est sensible aux volumes, à l'esthétique des meubles. Ce qui me plaît aussi, c'est que c'est un métier où l'on n’a jamais fini d'apprendre.
– Comment devient-on ébéniste, restaurateur ? Les candidates doivent être rares.
– Il y a vingt ans, les écoles étaient fermées aux filles. J'avais le bac, il fallait retourner en CAP. J'ai écrit entre 500 et 1000 lettres pour trouver une formation. J'ai fait un CAP en menuiserie et tournage, puis j'ai fait des stages chez différents ébénistes. Faute de trouver un ébéniste qui veuille m'embaucher, je me suis installée et j'ai employé un vieil ébéniste pour finir d'apprendre ! J'ai eu tellement de mal à trouver des stages, que maintenant j'accueille volontiers des stagiaires!
– Mais n'est-ce pas un métier qui demande de la force physique ?
– Il est vrai que c'est un métier physique. Quand on a raboté toute la journée, on est épuisée ! Mais mes confrères ne peuvent pas plus que moi soulever une armoire normande ! Il y a aussi des techniques de levage. La difficulté, c’est que même à l'heure actuelle, où je suis reconnue par mes pairs, avec un haut niveau de technicité... ce n'est jamais gagné ! Avec les clients, si je vais faire un devis en robe, je n'ai pas de retour.
– Après la formation technique, vous avez voulu continuer à apprendre. Dans quels domaines ?
– L'Histoire. Celle des règnes qui correspondent aux grands styles, mais aussi l'histoire de chaque province et l'histoire industrielle puisque avec elle ont évolué les techniques d'assemblage des meubles. Il faut aussi connaître les outils et les techniques d'autrefois qui vont être utilisés pour restaurer à l'identique.
Je fais partie d'un groupe de recherche. Au XVIIe siècle, il y avait ce qu'on appelle les arts majeurs, comme la peinture, qui sont encore étudiés, mais le bois, la reliure, le vitrail... ne l'étaient pas. Il y avait des tours de mains, mais les secrets de fabrication étaient bien gardés. Par exemple Hache, le grand ébéniste grenoblois, préparait lui-même son vert qui a une tenue exceptionnelle alors que tous les autres virent avec les rayons ultra-violets au bout de vingt ans. Son maître d'atelier ne connaissait pas sa composition. Il faut faire de la physique-chimie pour connaître la réaction des produits sur la cellule du bois. La composition de l'eau, qui diffère selon les régions, intervient aussi. En atelier, on agit souvent de façon empirique mais avec un scientifique, on a fabriqué 4000 échantillons de bois, qui ont été vieillis avec des accélérateurs de temps pour voir leur évolution. De même pour les colles. Actuellement, les anciennes colles de nerf et d'os et les colles de poisson sont les plus résistantes et on peut les coller et décoller jusqu'à sept fois. Elles vieillissent très bien alors que les autres colles ne résistent pas même vingt ans.
Ces métiers d'art sont en voie de disparition, et les échanges entres nous sont très importants pour une communication des techniques. Je suis président du syndicat des métiers d'art, qui sont tous nés à la même époque, fin XVIe, début XVIIe siècles et qui utilisent tous les mêmes produits de base. Nos échanges sont bénéfiques.
– Pour restaurer à l'identique, vous employez donc des matériaux traditionnels et des outils anciens ?
– On peut débiter le bois sur de grosses machines, comme un menuisier, mais tout est fini à la main. On peut tolérer que les restaurations se voient, par exemple à l'intérieur. On ne cherche pas à cacher l'histoire du meuble. C'est un grand principe de restauration : il faut restaurer en gardant au meuble son identité. Chaque personne qui est intervenue sur le meuble a laissé des traces de sa personnalité et souvent en restaurant, je laisse ces traces. Un autre grand principe est que la restauration doit toujours demeurer réversible.
– Mais les clients comprennent-ils ce soucis ?
– Certains clients voudraient que ce soit comme neuf. J'essaie de leur expliquer comment je travaille. Je vais chez eux, je vois leur intérieur. Souvent, derrière une commande, il y a un rêve qui n'est pas exprimé. Ce n'est pas toujours facile de le percevoir. On peut faire très bien son métier, mais si les finitions ne correspondent pas à ce rêve, c'est un échec. Quand des gens demandent de fabriquer un meuble, c'est souvent lié à un changement de catégorie sociale, à une évolution. J'aime bien voir quelque temps après si le meuble est bien intégré dans la vie des clients. Une fois, j'ai été déçue, j'ai vu que le meuble que j'avais fait n'était pas intégré... Je m'étais un peu trompée. Et je travaille aussi pour des musées.
– Vous est-il arrivé de devoir travailler sur un meuble qui vous déplaisait ou, au contraire, d'avoir envie de garder un meuble que vous aviez restauré ?
– Un meuble a deux valeurs, une valeur économique et une valeur sentimentale. Il m'est arrivé de faire une restauration plus chère que la valeur du meuble dont je fais toujours une estimation. J'ai restauré des meubles qui valent 300 000 FF, mais je garde le souvenir d'une petite table, toute simple, aux pieds un peu tordus. Elle ne valait rien, mais je lui trouvais une saveur... je l'aurais bien gardée ! Les meubles de prestige sont moins usés, moins émouvants.
Propos recueillis par
Françoise Duret
Programme du Jubilé des Artisans Samedi 18 mars : 21 h - Basilique Saint-Jean de Latran. Veille de préparation et de prière.Dimanche 19 mars: 10 h 30 - Place Saint-Pierre. Messe présidée par le pape Jean-Paul II. |