« Jean-Paul Ier a tenu une rubrique dans Le Messager »
Quels souvenirs avez-vous de Jean-Paul Ier ?
Je n’ai jamais eu de contacts directs ou personnels avec Albino Luciani mais j’ai en revanche eu l’occasion de le voir à plusieurs reprises lorsqu’il était patriarche de Venise, de 1969 à son élection en 1978. Comme Padoue et Venise sont deux villes très proches, il venait souvent dans notre communauté – c’était d’ailleurs aussi le cas pour le cardinal Roncalli, futur Jean XXIII, lorsqu’il était lui aussi patriarche de la cité des doges.
Pour Jean-Paul Ier, je me souviens très bien de son élection, à l’été 1978. Juste avant l’entrée en conclave, un frère l’avait rencontré à Rome et lui avait présenté ses vœux pour une éventuelle élection. « On ne fait pas de la polenta avec ce genre de farine », lui avait rétorqué le cardinal Luciani, pour dire qu’il ne lui semblait pas être le plus adapté pour ce rôle.
J’ai bien sûr été également marqué, avec une certaine stupeur, par son décès, seulement quelques semaines après son élection. Quand on m’a annoncé « Le pape est mort », j’ai rétorqué : « Oui, cela fait plus d’un mois ! », [le pape Paul VI est mort le 6 août 1978 et Jean-Paul Ier le 28 septembre 1978, NDLR].
Quels étaient les liens entre Le Messager de Saint Antoine et Albino Luciani ?
De 1971 à 1976, Mgr Luciani a tenu une rubrique dans l’édition italienne du Messager. Celle-ci était intitulée Illustrissimi – Les très célèbres – et il y imaginait une lettre à une personne illustre, réelle ou non, comme sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, Charles Péguy, le roi David ou encore Jésus Christ lui-même. Il y abordait de façon très didactique des problèmes très contemporains.
C’était une façon très pédagogique de parler de ces sujets. Ces courriers imaginaires ont ensuite été rassemblés dans un volume qui a été largement diffusé en Italie. Lorsqu’Albino Luciani a été élu pape, il y a eu une demande mondiale de traduction de ces écrits. Mais comme il est mort presque aussitôt, cela n’a pas rencontré un franc succès ! Cela fait partie désormais de la légende autour de lui.
Cette tribune mensuelle lui avait été proposée car nous savions qu’il avait une plume de journaliste fluide, aisée à lire. De plus, en tant que patriarche de Venise, c’était un voisin avec lequel nous entretenions des rapports cordiaux. Enfin, pour l’édition italienne du Messager, cela relève de la tradition d’entretenir des collaborations avec des évêques. C’est d’ailleurs encore le cas aujourd’hui.
Quel genre d’homme était Jean-Paul Ier ?
Albino Luciani était un homme immédiat, qui ne tenait pas les autres à l’écart. C’était un homme très proche, cordial. Il n’avait pas la distance épiscopale que certains pouvaient avoir. Il avait des racines très simples, il venait des montagnes, né à un moment très dur, marqué par la famine et les émigrations. Il n’a jamais voulu se rendre supérieur aux autres. Mais quand il devait prendre des positions, il le faisait avec précision.
Vous qui l’avez vu à plusieurs reprises, comprenez-vous le surnom de « pape au sourire » qui lui est donné ?
Certains visages parlent d’eux-mêmes sans qu’une parole ne soit prononcée. Jean-Paul Ier faisait partie de ces personnes, avec une physionomie très expressive. À l’inverse d’un Pie XII très hiératique, qui ne semblait jamais sourire, Luciani était marqué par ce sourire très large. Celui-ci a notamment marqué lors des catéchèses du mercredi et, après sa mort, le pape a été identifié à ce sourire.
Moi-même, l’image que je garde de lui, c’est ce sourire éclatant qu’il avait, comme celui d’un enfant. C’est une image qui me rappelle celle de l’élection du pape François en mars 2013 : je me souviens de son avancée tout en simplicité sur le balcon de la basilique Saint-Pierre, avec ce moment très émouvant où il a demandé à la foule présente sur la place de le bénir.
Cela dit, malgré son sourire, Albino Luciani était un homme qui pouvait se mettre en colère, avec parfois des prises de position très fortes lorsqu’il était archevêque de Venise – d’autant que c’étaient des années difficiles en Italie et dans la région. Je me souviens notamment du cas d’une paroisse qui avait refusé le nouveau curé qu’il avait nommé. Il avait alors imposé l’interdit sur cette paroisse.
Après 1968, toujours à Venise, il a également pris des mesures fortes contre des mouvements catholiques qui étaient alors très fortement à gauche. N’oublions pas que Jean-Paul Ier a été formé avant les mesures du Concile Vatican II, selon une approche où l’obéissance ne pouvait être remise en question.
Que pensez-vous du parallèle qui est parfois fait entre le pape François et Jean-Paul Ier ?
Ces deux papes ont certainement en commun d’être deux pasteurs issus d’une Église populaire – celle de Luciani était d’ailleurs encore plus immergée dans le peuple ; maintenant, la société est bien plus sécularisée. Autre point commun : la simplicité de ces deux hommes dans leurs relations, marquées par leur côté informel. On retrouve aussi chez l’un et chez l’autre un embarras de se retrouver devant l’appareil curial du Vatican, gêne tout à fait notable chez Jean-Paul Ier.
Toutefois, il est toujours difficile de faire des comparaisons entre des époques aussi éloignées l’une de l’autre et il ne faut pas oublier que le pontificat d’Albino Luciani n’a duré qu’un mois.
Comment interprétez-vous l’annonce de sa prochaine béatification ?
On commence à s’habituer à la béatification et à la canonisation des derniers papes ! Cela fait partie de l’histoire, je ne saurais pas en dire plus. Une chose sont les choix d’un pape dans son pontificat, une autre est sa sainteté personnelle et nul n’est parfait sur cette terre.
Concernant Luciani, c’était assurément une figure de haut niveau, de grande qualité morale et pastorale. Jean-Paul Ier était un pasteur convaincu, qui a mené sa mission jusqu’au bout. Et à propos de la légende noire qui l’a entouré aussitôt après sa mort, elle relève de fantaisies de journalistes. Il est décédé d’un infarctus et avait d’ailleurs eu des problèmes cardiaques par le passé. Un mois après son élection, son heure était arrivée.